PFAS dans l’eau du robinet des Hennuyers : ne nous trompons pas de coupable

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Agathe Defourny et Pierre Jamar

Le 08 novembre 2023, le magazine Investigation de la RTBF faisait état d’une alarmante contamination de l’eau du robinet en Hainaut par des PFAS, les ‘polluants éternels’, substances chimiques que l’on retrouve un peu partout et dont l’une des caractéristiques est d’être quasiment indestructibles. L’émission pointe, à raison, un manque de transparence de la SWDE (Société wallonne des eaux) qui aurait manqué de proactivité dans sa communication vers les citoyen·nes concerné·es. Canopea estime que plus fondamentalement, la responsabilité principale incombe aux entreprises qui ont mis ces substances sur le marché sans une évaluation suffisante de leur impact environnemental.

Réalité des producteurs d’eau

Les producteurs d’eau sont pris en tenaille entre une ressource en eau qu’on découvre chaque jour un peu plus polluée et des normes de potabilité – heureusement de plus en plus nombreuses et strictes – à respecter. Leur rôle est de traiter cette eau brute pour qu’elle corresponde aux standards de qualité. Ils ne sont donc en rien responsables de la détérioration galopante de la qualité des ressources en eau.

Une eau de toujours meilleure qualité

Il est primordial de savoir et comprendre que ces substances ne viennent pas d’arriver dans l’eau. Il est fort probable que ces PFAS, comme d’autres substances préoccupantes comme les pesticides, sont présents dans l’eau de distribution depuis plusieurs dizaines d’années. Si le problème émerge aujourd’hui, c’est parce qu’on commence seulement à les rechercher, et donc à les trouver. On est une guerre en retard. Quand une substance est introduite dans l’environnement, on se rend généralement compte bien des années après qu’elle s’est largement diffusée. Les autorités commanditent alors des études pour évaluer l’ampleur de la contamination, et in fine on envisage une interdiction de mise sur le marché de la substance… qui est loin d’être acquise aisément.

A chaque fois que l’on découvre une nouvelle substance, l’EU qui est compétente en la matière, fixe une norme de potabilité que les producteurs d’eau devront alors respecter. On peut, sur cette base, dire que la qualité de l’eau de distribution s’améliore puisque des nouvelles normes à respecter s’ajoutent.

Pour l’instant, c’est le citoyen qui paye la facture

Pour respecter ces nouvelles normes, il faut traiter l’eau. Ce processus de traitement, coûteux et énergivore, est actuellement financé par la facture d’eau, et donc payé par le citoyen. Il paye en effet, via sa facture, le coût exact du captage et du traitement de l’eau. Plus l’eau est polluée, plus le traitement sera important et plus le coût de l’eau augmentera.

Pour Canopea, c’est une entorse flagrante au principe du pollueur-payeur. C’est aux entreprises qui ont mis ces substances, PFAS ou pesticides, sur le marché sans évaluation de leur impact environnemental et sanitaire de payer la facture du traitement. Il est à ce titre crucial que la Région Wallonne et les producteurs d’eau demandent aux entreprises concernées d’assumer les pollutions dont elles sont responsables. Mais le mal est plus profond…

Quand les politiques plient face à la pression des lobbys

Le schéma est on ne peut plus classique : une nouvelle molécule miracle et « sans risques » est mise sur le marché par les entreprises pétrochimiques ou phytopharmaceutiques et est rapidement et largement utilisée pendant des dizaines d’années. Elle se diffuse tout aussi largement : dans l’eau, dans l’air, dans notre nourriture, dans nos corps. S’en suit un long combat des associations et de certaines autorités pour la faire interdire, combat qui se heurte à la frilosité des politiques harcelés par les lobbys des industries et des utilisateurs les plus puissants qui crient à la faillite si on leur retire cette molécule[1]. Le registre de transparence des lobbys montre que les groupes de lobbys « chimiques » ont déclaré avoir dépensé 33,5 millions d’euros en lobbying auprès des institutions européennes au cours de l’année passée[2].

Les services de la Commission ont quant à eux évalué que « la traduction économique des bénéfices attendus [suite au retrait des substances chimiques sur le marché] pour la population européenne se situerait entre 11 et 31 milliards d’euros par an à l’échelle de l’UE. Le poids économique de telles mesures pour les secteurs industriels concernés était de l’ordre de dix fois inférieur, compris entre 0,9 et 2,7 milliards d’euros par an »[3].

La récente mise au frigo du programme REACH est le dernier exemple en date de cette machinerie bien huilée.

La certes regrettable faible proactivité de la SWDE n’est donc qu’une triste « distraction » dans le dossier des substances chimiques qui mérite un éclairage beaucoup plus systémique pour fournir aux citoyen·nes les éléments de compréhension nécessaires à une action efficace.

Ce texte est paru en carte blanche sur le site du journal La Libre le 10/11/2023 sous le titre : « PFAS dans l’eau du robinet: les politiques plient face aux lobbys et les citoyens paient la facture » et sur le site du journal Le Soir


[1] Voir notamment : P·F·A·S – Des lobbys tout aussi toxiques que les substances qu’ils défendent, Pierre Jamar, https://www.canopea.be/pfas-des-lobby-toxiques/, consulté le 9/12/2023

[2] CEO, Corporate Europe Observatory, Big Toxics and their lobby firepower, 25/05/2023

[3] Le Monde, « En Europe, le retrait du marché des substances chimiques les plus dangereuses permettrait d’économiser entre 11 et 31 milliards d’euros par an », 11/07/2023