Agriculture et environnement : l’inaction politique creuse le fossé !

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Ce n’est certes pas en Wallonie que l’on pourrait entendre des discours musclés incitant à « relâcher la pression de l’environnement sur le monde agricole », comme ce fut le cas en France en ce début de période électorale. Mais ces incantations sarkozistes s’inscrivent dans un contexte d’avancées, modestes, issues du grenelle de l’environnement : seuil minimum de surfaces dédiées à la biodiversité au sein des exploitations, bandes tampons enherbées le long des cours d’eau, objectif « théorique » de réduction de 50 % des pesticides agricoles,… Rien de tel dans notre Région où pratiquement aucune initiative n’a été prise en matière environnementale depuis 5 ans, si ce n’est l’implémentation des obligations européennes, dans une version a minima. En Wallonie, hélas, la cogestion avec le secteur conduit à l’inaction politique, ce qui situe notre région en décrochage avec nos voisins et probablement aussi, la prochaine Politique Agricole Commune.

Un système qui prend l’eau

cochonmoyen.jpg Si l’agriculture a progressé dans la prise en compte des questions environnementales, paradoxalement, les systèmes agricoles ont accru leur impact sur l’environnement. La taille des parcelles augmente chaque année, favorisant l’érosion des sols et de la biodiversité, les exploitations se spécialisent et les systèmes agricoles se simplifient accentuant la dépendance aux engrais et pesticides. Si l’agriculture « s’adapte » ainsi à l’évolution du contexte économique, les normes environnementales pallient « à rebours » un modèle agricole qui prend l’eau de toutes parts. Santé des agriculteurs, résidus de pesticides dans l’alimentation, sols agricoles dégradés et érodés, atteintes multiples à l’environnement et à la biodiversité… Autant de problèmes que l’on tente de résoudre avec des rustines, sans remettre en cause le système.

Des alternatives crédibles… sauf en Wallonie ?

Entre le modèle agricole conventionnel et l’agriculture biologique, il existe des systèmes durables et plus efficients dans l’utilisation des ressources. L’INRA, dans le cadre d’une recherche pluridisciplinaire, a déjà démontré que l’on pouvait produire autant avec moins de pesticides et d’engrais en développant « l’agro-écologie », et ce, sans porter atteinte au revenu agricole. Ces systèmes passent par une plus forte liaison entre agriculture et élevage et par la réintroduction des légumineuses au sein de rotations plus longues. Ces solutions ne sont pas que théoriques, des agriculteurs les expérimentent et démontrent leur intérêt et leur efficacité. La démonstration réalisée par les agriculteurs du Réseau Agriculture Durable en France est à ce titre exemplaire. Les exploitations de ce réseau ont réduit de 50 % les pesticides utilisés, évitent la pollution des nappes par les nitrates, consomment 20 % d’énergie en moins et émettent également 20 % de gaz à effet de serre en moins. En Wallonie, certains agriculteurs s’engagent sur cette voie, à la recherche d’un autre système entre le conventionnel et le bio mais leurs démarches restent très informelles.

Des rustines pour limiter les pollutions…

Certains aménagements sont possibles pour atténuer l’impact environnemental de l’agriculture. Les mesures agroenvironnementales en font partie, mais elles ne sont appliquées que par une partie de la profession. Les différentes normes établies (ou en discussion) en vertu des directives « pesticides » et « nitrates » ou du règlement européen sur la conditionnalité sont autant de rustines sur un système qui prend l’eau. Mais ces approches spécifiques empêchent toute critique du système et n’aboutissent à de réels résultats que dans les États membres volontaires. Ces « rustines » peuvent également avoir des incidences sur d’autres compartiments de l’environnement… En Wallonie, plutôt que de travailler sur le bilan azoté des cultures afin d’aboutir à des résidus satisfaisants d’azote dans les sols, l’option a été prise d’imposer la Culture Intermédiaire Piège à Nitrate[[Une Culture Intermédiaire Piège à Nitrate est une culture semée en fin d’été qui absorbe le reliquat d’azote présent dans le sol après la récolte. Dès lors, cet azote absorbé ne sera pas lessivé vers les nappes d’eau souterraine pendant l’hiver mais sera restitué aux cultures suivantes après destruction de la culture.]]. Or cette dernière implique le recours aux herbicides. L’obligation de couverture des sols coïncide avec l’augmentation des résidus des principaux herbicides totaux dans nos eaux de surface.

Pollutions des eaux de surface par les engrais et les pesticides

L’implantation de bandes enherbées en bordure de cours d’eau, une mesure essentielle pour limiter l’érosion et la pollution de l’eau, rencontre un vif succès, mais chez peu d’agriculteurs. En conséquence, moins de 20 % des berges sont protégées par de tels dispositifs. En France, les cours d’eau sont protégés systématiquement par des bandes tampon enherbées, depuis des années. En Wallonie, ce dossier vient juste d’aboutir alors que l’impact des bandes enherbées est connu depuis longtemps : impact économique, effet sur la qualité de l’eau, compatibilité avec les mesures agroenvironnementales existantes… Si on analyse les choses, on se rend rapidement compte que l’évolution réglementaire, pour se conformer à nos engagements européens de restauration de qualité de l’eau, n’a pas l’ambition de résoudre l’enjeu environnemental mais plutôt d’éviter de nouvelles sanctions européennes. Ainsi, l’adaptation des exploitations aux nouvelles normes de stockage se finalise seulement chez nous alors qu’elle est clôturée et contrôlée depuis plus de 10 ans dans les pays limitrophes.

Par ailleurs, la co-gestion de ce dossier avec le secteur laisse perplexe… La Wallonie vient en effet de transposer cette mesure importante du Règlement de Développement Rural européen (73/2009) en intégrant dans la conditionnalité la mesure existante inscrite dans le Code de l’eau, tout en restreignant son étendue[Le code de l’eau vise les cours d’eau, en ce compris les têtes de bassin alors que la conditionnalité se limite aux seuls cours d’eau classés. Les têtes de bassin, représentant les zones les plus sensibles et les principales sources de pollutions sont donc exclues de la conditionnalité.]]. [A entendre le nouveau Ministre compétant, l’administration wallonne renforcera les contrôles de cette mesure … incontrôlable. L’épandage d’engrais minéral se fait majoritairement via des épandeurs « à la volée » sur une largeur de 24 mètres et sa trace disparaît à la première rosée. De plus la bande cultivée plutôt qu’enherbée n’arrêtera ni l’érosion ni le ruissellement des engrais et pesticides. Aucun effort n’est donc demandé au secteur des grandes cultures, le grand bénéficiaire de la réforme de la PAC…

Fuites d’azote dans les nappes wallonnes

La directive « Nitrate » impose la mise en place de programmes d’actions, revus tous les 4 ans, pour assurer la protection de l’eau. Ces programmes ont abouti à des résultats probants en Flandre, résultats qui se font désespérément attendre en Wallonie. Ainsi, le bilan d’azote[[GYBELS, K., WUSTENBERGHS, H., CLAEYS, D., VERHAEGEN, E., LAUWERS, L. and KESTEMONT, B. 2009. Nutrient Balance for Nitrogen. Statistics Belgium, Working paper n°22. SPF Economie, PME, Classes moyennes et Energie et ILVO. 54 p.]] de l’agriculture flamande est passé d’un excédent de 193 kg/ha à 95,4 kg/ha entre 91/96 et 2001/2006. Pour la même période, ce bilan est passé, en Wallonie, de 75,6 à 81,2 kg/ha. Certes, la situation « initiale » en Wallonie est plus favorable malgré l’augmentation des surplus d’azote dans nos sols. Mais depuis 2006, le programme d’action de la Flandre a été renforcé à deux reprises et de manière importante alors qu’en Wallonie, notre Fédération a du attaquer au Conseil d’Etat le programme d’action adopté en 2007, sur base d’une régression substantielle de la protection des nappes. Plus encore, la révision amorcée du programme actuel ne semble pas provoquer le revirement nécessaire. En effet, les seuils de reliquats azotés autorisés correspondant aux bonnes pratiques agricoles « reconnues en Wallonie » sont insuffisants pour assurer la protection de l’eau et une utilisation optimale, même d’un point économique, de la fertilisation. Les seuils de contrôle de ces normes resteront insuffisants…

Les Bonnes Conditions Agricoles et Environnementales… une boite vide

L’application du principe de subsidiarité laisse à désirer. L’option principale retenue est simple : limiter au maximum l’incidence de ces mesures sur les exploitations et leur développement. En Wallonie, la conditionnalité agricole vise des pratiques inexistantes ou des situations extrêmes… Elle n’apporte aucune réponse à la dégradation des sols cultivés, limite l’érosion des sols aux seules situations extrêmes et conforte la législation existante pour assurer la protection des haies de nos paysages. Même cette mesure n’atténue pas la régression des haies sur notre territoire : elles continuent de se dégrader et finissent par disparaître « non intentionnellement » par le biais des regroupements du parcellaire et l’action du bétail notamment.

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Lionel Delvaux

Anciennement: Nature & Ruralité