Agriculture urbaine et périurbaine selon le CoDT et le plan de secteur

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Y a-t-il des prérequis pour exercer une activité agricole ? Pour exploiter un élevage, des cultures, est-ce que le permis d’urbanisme s’applique et dans quels cas ? Le CoDT fixe-t-il des règles en matière d’agriculture urbaine et périurbaine ? La zone agricole du plan de secteur influe-t-elle sur ce qui se passe sur le terrain endéans ses limites ?

La réponse à toutes ces questions pourrait être aussi bien oui que non. « Oui et non, oui et non », comme dirait GuiHome (ici en vacances en Condroz slash Famenne slash Ardenne slash VTT Land).

Qu’est-ce qui encadre l’autorisation à cultiver ou élever ?

Devenir agricultrice ou agriculteur en Wallonie, c’est possible et fortement souhaité par le secteur, d’autant que les fermes à remettre trouvent de moins en moins de repreneurs. Les informations à rassembler et à examiner pour constituer un dossier d’installation sont détaillées ici : https://agriculture.wallonie.be/devenir-agriculteur-le-parcours-d-installation

Je me permets de m’interroger sur l’absence, dans cette liste, dans la « réflexion initiale par rapport au projet », de toute référence au lieu, que ce soit en termes géographiques (localité, type de sols, types de couvert, présence de cours d’eau) ou urbanistiques (nature des bâtiments présents sur le site, nature des arbres et haies présents sur le site, raccordement aux voiries publiques, distance approximative aux autres constructions, organisation du parcellaire, etc.). Je ne trouve pas non plus de référence à une liste des exploitations à reprendre. En période de pénurie, cela me semble un ajout indispensable.

Pour plus de 60 % des terrains agricoles exploités en Wallonie, le cadre de référence est le bail à ferme.

Un positionnement de la FUGEA, rapporté par l’Agence Belga et largement répercuté en novembre 2020 par divers organes de presse, était motivé par une initiative de la Région de Bruxelles Capitale d’acheter des terres en Wallonie pour contribuer à son autonomie alimentaire. Voici ce que disait la Fédération Unie de Groupements d’Éleveurs et d’Agriculteurs en des termes on ne peut plus clairs : « Pour rappel, la mise à disposition de terres à des agriculteurs en Wallonie est encadrée par la loi du bail à ferme. Et une des dispositions principales de cette loi est la liberté de culture pour celles et ceux qui travaillent la terre. Dans ce cadre, la Région ne pourra en aucun cas dicter les orientations stratégiques des exploitations. (…) La FUGEA ose espérer que la politique des autorités publiques en termes d’approvisionnement alimentaire ne va pas se calquer sur les stratégies douteuses d’entreprises privées. »

« En terme d’accès à la terre, (…) Les marchés du foncier agricole wallon et flamand sont déjà bouchés (seulement 1% des terres ont changé de propriétaire en 2019) et sont peu voire pas accessibles à une majeure partie des agriculteurs tant les terres se vendent cher. On ne peut que craindre que la présence d’une région parmi les potentiels acquéreurs de terres accentue, même involontairement, ces phénomènes. »

« Nourrir la capitale avec une nourriture produite localement et dans le respect de l’environnement est un défi de taille. (…) Des agriculteurs travaillant dans le respect de la biodiversité et des filières sont déjà en place aujourd’hui et pourraient, avec une volonté conjointe des deux régions, alimenter la population bruxelloise. Certains producteurs sont d’ailleurs en demande de débouchés. Outre l’existant, il faut continuer à investir des moyens pour structurer des filières courtes de façon coordonnée et concertée. »

La FUGEA défend, « la mise en place de filières territorialisées et locales comme accélérateur de la transition de notre agriculture. Créer une ceinture alimentaire autour de Bruxelles a donc du sens, mais uniquement à travers une collaboration étroite avec les agriculteurs wallons et flamands, et certainement pas par le biais d’achats de terres agricoles. Il nous semble en effet plus judicieux d’investir dans cette direction plutôt que de dépenser de l’argent public dans l’achat de nouvelles terres ».

Waterloo, le Triage Sainte-Gertrude, terre agricole au nord de la commune, à la limite avec Rhode-st-Genèse.
Photo https://aiqw.home.blog/2019/12/14/triage-sainte-gertrude

Dans quels cas le permis d’urbanisme trouve-t-il à s’appliquer ?

1. Supposons que l’activité agricole ait déjà lieu et qu’elle nécessite un nouveau bâtiment.

Il faut introduire une demande de permis d’urbanisme lorsqu’il y a construction ou si un ou des bâtiments existants sont transformés de manière à nécessiter un permis d’urbanisme. La partie réglementaire du CoDT, dans son article R.I.IV., donne la liste des actes et travaux qui sont dispensés de permis d’urbanisme.

Un permis unique (combinaison du permis d’urbanisme et du permis d’environnement) est nécessaire lorsque l’on veut à la fois construire / transformer de manière substantielle ET mener une activité dite classée, donc relevant de la classe 1, 2 ou 3 du permis d’environnement. Il existe de très nombreuses rubriques, vous en trouverez le détail ici : http://environnement.wallonie.be/cgi/dgrne/aerw/pe/__drup/chx_rub_intro.idc

Si le projet d’urbanisme est associé à une demande de permis d’environnement de classe 1, il y aura étude d’incidences et enquête publique en vertu du Code de l’Environnement ; si le projet relève de la classe 2, l’autorité compétente peut estimer nécessaire de demander une étude d’incidences et d’organiser une enquête publique, mais ce n’est pas obligatoire. Les activités agricoles relevant de la classe 3 font l’objet d’une simple déclaration (laquelle comporte tout de même un formulaire qui peut s’avérer complexe à remplir).

Le Service d’Urbanisme vérifiera d’abord, en prérequis, si l’activité projetée dans la zone du Plan de Secteur correspond bien à la destination de la zone, telle que définie au CoDT. Les deux zones où l’activité agricole va de soi : la zone agricole et la zone d’habitat à caractère rural, aux conditions détaillées dans le CoDT. Dans une certaine mesure, la zone forestière peut accueillir des activités agricoles, toujours dans le respect des conditions détaillées dans le CoDT.

2. Supposons à présent qu’aucune activité agricole ne se déroule encore sur la parcelle et qu’elle ne contienne encore aucune construction.

La même procédure que ci-dessus sera d’application.

Dans les deux cas, l’adéquation entre la nature des activités projetées et le plan de secteur fera l’objet d’un examen attentif ; dans les deux cas le fait de déposer une demande de permis ne garantira pas l’obtention du permis. C’est tout.

A ce jour, aucune règle régionale ne contraint les communes par rapport à l’artificialisation des sols, qu’il s’agisse, comme dans le cas 1., d’ajouts à une parcelle déjà bâtie ou, dans le cas 2.,de nouvelles construction.

Spoiler Alert, le Plan de Secteur ne protège pas l’agriculture !

En construisant les hangars et les bâtiments techniques jugés indispensables pour le bon déroulement d’une activité agricole sur la zone agricole, la Wallonie a l’impression de bien utiliser sa ressource sol. Elle suit le prescrit du CoDT, en fonction de la définition qui y est donnée pour chaque zone du plan de secteur. Mais nous avons affaire à une ressource finie, et les constructions sont très rarement réversibles, qu’il s’agisse de dalles de béton coulées sur plusieurs dizaines de centimètres, de voies d’accès ou de bâtiments, tout agricoles qu’ils soient. Deux numéros d’Échelle Humaine ont déjà démontré que le Plan de Secteur est incapable de défendre les fonctions faibles (n°5 – 2020) et que le Plan de Secteur ne prévoit pas la possibilité d’accroître la surface globale de terrains non urbanisables (n°4 – 2020).

L’activité agricole était là avant

L’agriculture périurbaine et urbaine n’est pas une chose bizarre, une anomalie dans la planification. Ce sont nos villes, nos parcs d’activités économiques et commerciales, nos quartiers résidentiels, qui ont pris sa place. Là où elle survit, si la zone du Plan de Secteur est une zone urbanisable, l’agriculture est en sursis. Si la zone du Plan de Secteur est en zone agricole, elle pourrait aussi basculer du côté des zones urbanisables, pour installer par exemple une nouvelle Zone d’Activités Économiques, en passant par une révision du Plan de Secteur.

C’est ce qui se passe depuis des années aux Hauts-Sarts, « zoning » bien connu du nord de l’agglomération liégeoise, aux limites entre Herstal, Milmort et Oupeye. Un zoning qui n’en finit pas de grandir, au détriment de l’agriculture périurbaine.

Localisation des Haut-Sarts dans l’agglomération liégeoise. Le zoning est connecté à l’E313 (Anvers) et l’E40 (Bruxelles- Allemagne) via l’E25 et l’E42. Il n’a pas un recours fréquent au Canal Albert (la voie d’eau plutôt rectiligne à gauche de la Meuse).
évision du Plan de Secteur ayant pour objectif d’ajouter au zoning des Hauts-Sarts une zone d’activité industrielle et une zone d’activités économiques mixtes. A gauche, la situation avant révision, la partie révisée est cernée de bleu pâle; à droite, un agrandissement de la partie révisée dans son nouveau zonage, avec deux nouvelles couleurs. Ma flèche jaune « agricole » indique la partie du territoire d’Oupeye qui restera agricole. Pour combien de temps ? Document disponible sur le site de l’agence de développement économique SPI : http://www.hautssarts.be/fr/projet-extension/procedures/revision-du-plan-de-secteur
Hauts-Sarts, capture d’écran d’un trail enregistré sur Wikiloc. En marchant sur le tracé d’anciennes autoroutes, on passe de Milmort à Herstal, du périurbain à l’urbain, et l’on découvre les poches de résistance agricoles coincées entre les infrastructures. https://www.wikiloc.com/walking-trails/milmort-promenade-sur-lancienne-autoroute-44844203

Ces mises en œuvres et révisions ont pour effet que les terrains agricoles subsistants se retrouvent enclavés, c’est à dire que l’accès à la voie publique n’est pas suffisant. Avec le gabarit de plus en plus impressionnant des engins agricoles, on y est vite, à cet enclavement. La suite logique, aujourd’hui, n’est malheureusement pas d’utiliser les terrains résiduels pour des usages ou spéculations nécessitant un plus petit passage, ni de revendre ces parcelles comme fonds de jardins aux riverains, et encore moins d’en faire des potagers, entrepreneuriaux, collectifs ou familiaux. Non, dans la plupart des cas, on lotit pour de la résidence en installant une voirie, qui sera ensuite cédée à la commune pour une somme symbolique. A chacun sa recette du bonheur. Tant que ce sont les autres qui sont inondés…

Je forme le paysage

La zone agricole, dans le CoDT, est l’une des trois zones qui façonnent le paysage : « Elle contribue au maintien ou à la formation du paysage ainsi qu’à la conservation de l’équilibre écologique. » (CoDT D.II.36). Elle partage cet honneur avec la zone forestière et la zone d’espace vert. D’aucuns diront que la zone agricole EST le paysage.

En bordure de nos agglomérations, il reste des coins complètements ruraux. Certains d’entre eux sont en zone urbanisable ou en ZACC au Plan de Secteur. C’est le cas du Triage Sainte-Gertrude et du Bois des Bruyères, à Waterloo.

Alors que les autorités communales s’étaient engagées à ne pas le laisser urbaniser, le Triage Sainte-Gertrude fait l’objet de demandes successives de permis. La dernière en date vient de passer en enquête publique. Les citoyens se battent depuis 1992, via différentes associations, dont l’association InterQuartiers Waterloo, des associations sportives, les scouts, les marcheurs, pour que les 60 ha agricoles du Triage Sainte-Gertrude, aujourd’hui en ZACC, soient convertis en zone agricole.

Waterloo, le Triage Sainte-Gertrude, photo AIQW.

Voici en quels termes l’Association InterQuartiers de Waterloo a plaidé la cause du Triage auprès de l’administration régionale :
«  Association InterQuartiers de Waterloo-asbl, Environnement Waterloo asbl, Adesa-asbl ,avec le support de Natagora, demandent la préservation du Bois des Bruyères dans son intégralité y compris la partie (ex-Fiat) du bois, et demandons le classement de celui-ci ainsi que du site agricole connexe du Triage St Gertrude en zone d’intérêt paysager. (…) Ce site permettrait aussi d’assurer et de développer le maillage écologique entre le Bois de Hal et la forêt de Soignes en préservant faune et flore. Enfin l’aspect économique de l’exploitation agricole de cette terre fertile et d’un seul tenant sur deux régions du pays serait mis en péril par l’urbanisation de la partie agricole sur Waterloo. Plus de 50 hectares de terre agricoles seraient définitivement perdus. Rappelons aussi que, en dehors du Champ de Bataille (site classé), le triage est le dernier grand ensemble agricole de Waterloo. Remarquons aussi que Waterloo est la commune la plus dense du Brabant Wallon avec plus de 1400 habitants au Km². C’est aussi la commune qui a connu le plus fort taux d’accroissement de logements les 30 dernières  années en Brabant Wallon avec des problèmes d’urbanisme et de mobilité. »

Le fond des communes du Ry-Ponet

Ce jeu de mot qui fait allusion au « Fonds des Communes » se réfère à une réalité très courante en Wallonie : sur les limites entre communes se trouvent souvent des lieux un peu délaissés, encore non urbanisés ou affectés à des fonctions de coulisses, plutôt que de façade : parc à conteneurs, cimetière, etc. Et si c’était là une richesse cachée ?

Le site dit du Ry-Ponet doit son nom à un des ruisseaux qui le parcourent, et sa non urbanisation à une situation escarpée aux confins de Liège, Beyne-Heusay et Chaudfontaine. Ex-charbonnage, il est aujourd’hui en partie cultivé, boisé, parcouru de haies anciennes, bref, un paradis. Sauf que, ici aussi, depuis plusieurs années, la promotion immobilière veut profiter de ces arpents verts pour installer de nouveaux habitants. Alors qu’à un km de là, dans la vallée, des anciens sites industriels de grande envergure, bien connectés avec le tissu urbain et les transports en commun attendent d’être reconvertis… et sont déjà en zone urbanisable au Plan de Secteur.

Le projet de parc métropolitain du Ry-Ponet, contour en noir, tracé des sentiers en jaune. Le ruisseau du Ry-Ponet traverse la zone boisée du nord, le ruisseau de Beyne longe par le sud la zone boisée centrale. Document http://www.ryponet.be/carte
Plan de Secteur, planche 42/6, Version coordonnée, SPW. Le site du Ry-Ponet est une mosaïque de zones : zones d’habitat à caractère rural, zone agricole, zone d’espaces verts, plusieurs ZACC, une zone de parc, une zone d’habitat « classique », deux petites zones naturelles, une petite zone de loisirs et une zone d’espace public et communautaire. La commune de Chaudfontaine a ajouté la surimpression « Site d’intérêt paysager » (fines hachures noires obliques) sur la zone agricole qui se trouve sur son territoire

L’enjeu, pour les défenseurs du site, est de valoriser ses qualités pour qu’il devienne un parc métropolitain, où l’agriculture périurbaine aura toute sa place.

Ces sites-là, et tous les autres…

Ce ne sont là que trois exemples. A côté d’eux, parfois quelques rues plus loin, combien de milliers d’autres sites dans notre région sont l’objet de demandes de permis pour faire disparaître à jamais ces respirations ? Val-St-Lambert, Biercée, Wanne, Frasnes, Genappe, Anton, Couvin, Perwez, Pont-à-Celles, Comines-Warneton, Bomel, Cointe, Soignies, Gembloux, Montegnée, Arlon, pour ne citer que quelques uns des « cas locaux » sur lesquels IEW est alerté.

Quel édile communal n’a pas prononcé le fameux « Vous ne nous avez pas compris, nous n’avons pas été assez pédagogiques ! » pour justifier la machine à urbaniser ?

Combien de fois n’a-t-on pas accusé les riverains de « NIMBYsme » lorsqu’ils défendaient les biens communs ?

Quand est-ce que le franc va tomber ?

Manifeste « No Nature , No Future »

WWF, Natagora et IEW ont coécrit un manifeste, « No Nature , No Future » – « Sans nature, pas de futur »  . Ce texte demande au Gouvernement wallonde prendre des mesures fortes en faveur de la nature, endéans la législature actuelle, à travers trois axes de travail : aménagement du territoire, agriculture, forêts et zones humides.

Au-delà du cri d’alarme sur l’état de la nature en Wallonie et la perte vertigineuse de biodiversité, ce manifeste met en évidence les services irremplaçables rendus aux sociétés humaines par la nature et les écosystèmes. Les inondations sont évidemment en ligne de mire, pour souligner la façon dont le milieu naturel aide à amortir les coups d’eaux et les conséquences des crues.

En matière d’aménagement du territoire, les mesures présentées au Gouvernement wallon sont :

  1. Amorcer la révision des plans de secteur pour réduire les surfaces à bâtir et revoir les zones où l’urbanisation est souhaitable. Trouver un meilleur équilibre entre le droit de la collectivité à disposer d’un territoire résilient aux événements climatiques extrêmes et le droit de propriété privé de bâtir sur des terrains ayant été classés constructibles il y a parfois plus de 50 ans.
  2. Définir, au niveau régional, les balises contraignantes lorsqu’il s’agit de délivrer des permis d’urbanisation et/ou permis unique. Neuf permis sur dix sont délivrés par les communes, souvent sans avis de la Région ni vision stratégique du développement du territoire. Il importe que la Région puisse, par ces balises contraignantes, coordonner l’action des différentes autorités locales tout en respectant leurs compétences propres.
  3. Modifier le Code du développement territorial (CoDT) pour privilégier systématiquement l’infiltration des eaux dans le sol, imposer la consultation de l’organisme d’assainissement, rendre contraignants les avis de la cellule GISER (Gestion Intégrée Sol – Érosion – Ruissellement) ; afin de limiter, voire interdire, la construction et l’imperméabilisation des sols en zone inondable, à la source des cours d’eau, en zone humide et en zone d’épanchement des cours d’eau.

Tout le monde est invité à signer le manifeste « Sans nature, pas de futur » . Plusieurs institutions ont accepté de porter le message, qui sera mieux entendu par nos dirigeant s’il est soutenu par le plus large panel de citoyens et d’acteurs de notre cadre de vie.

www.nonaturenofuture.be