Carte blanche parue sur le site de La Libre Belgique le 3 avril 2024
Dans un marché foncier agricole wallon très peu régulé, l’agrandissement des surfaces dédiées à la production énergétique aura un effet mécanique sur l’augmentation du prix des terres. Laisser les terres nourricières au plus offrant revient à détruire l’agriculture et à mettre en danger notre souveraineté alimentaire.
Une opinion d’un collectif de 28 associations
En Wallonie, une nouvelle couleur apparaît dans nos prés. Au jaune du colza et au vert des prairies et des pousses de blé, s’ajoute le noir luisant des panneaux photovoltaïques. Le printemps 2024 risque d’être celui de l’agrivoltaïsme en Belgique. Cette pratique consiste à installer des milliers de panneaux solaires sur les terres agricoles, parfois en laissant paître des animaux sur l’espace restant. Grâce à sa rentabilité, cette technique pourrait donc réduire notre dépendance aux énergies fossiles tout en arrondissant les fins de mois des agriculteurs et agricultrices. Fin de mois qui, on le sait, sont particulièrement difficiles. Comment ne pas être charmé par une initiative qui réconcilie climat et agriculture ? Malheureusement, comme toutes les cartes postales un peu trop parfaites, ça sent la retouche.
Attractivité financière évidente
Pour les propriétaires terriens, l’attractivité financière de l’agrivoltaïsme est évidente. Les rentes promises sont jusqu’à vingt fois supérieures à ce que permet une location en bail à ferme. Le calcul est vite fait et les éleveurs ou agriculteurs qui occupent les terres convoitées n’auront qu’à aller voir ailleurs. À défaut, ils devront accepter de limiter leur liberté de culture en se contentant d’activités compatibles avec la présence des installations photovoltaïques. Dans un marché foncier agricole wallon très peu régulé, l’agrandissement des surfaces dédiées à la production énergétique aura un effet mécanique sur l’augmentation du prix des terres. Cela rendra encore plus difficile l’accès à la terre pour nos jeunes agriculteurs et agricultrices. Pour limiter la menace, le ministre wallon de l’Agriculture, Willy Borsus, avait publié en 2022 une circulaire limitant strictement la délivrance de permis pour le photovoltaïque au sol. Le ministre se montrait ferme sur la question et déclarait encore récemment en commission parlementaire : “Je dis à certains qui sont en train d’élaborer des projets à droite ou à gauche de ne pas jeter leur argent par la fenêtre, car ce sera « non ». C’est clair ». Ce mois de mars, sans concertation avec le milieu agricole, ce même ministre et son gouvernement ont assoupli la directive, ouvrant la porte à des projets pilotes agrivoltaïques. Pourtant, quelques semaines auparavant, il était invité au congrès du syndicat agricole FUGEA, où il s’était engagé à faciliter l’accès à la terre pour les jeunes agriculteurs et agricultrices.
En Wallonie, la hausse des prix à l’hectare est un enjeu crucial pour la survie de l’agriculture. Une terre achetée au prix moyen nécessitera deux générations pour être rentabilisée grâce à l’agriculture. Les jeunes sont découragés ou fuient à l’étranger. La moyenne d’âge dans le secteur est de 56 ans et les plus âgés ne trouvent plus de repreneurs pour leurs fermes. Cet envol des prix n’est pas dû au hasard, mais à une politique qui laisse les mains libres aux spéculateurs et aux usages non alimentaires des terres nourricières. La production énergétique s’ajoute à l’artificialisation, la culture de sapins de noël ou l’élevage de chevaux de loisir. Laisser les terres nourricières au plus offrant revient à détruire l’agriculture et à mettre en danger notre souveraineté alimentaire.
Un symptôme de plus de la crise
Dans le contexte actuel, il serait indécent de condamner les agriculteurs et les agricultrices qui laissent des terres partir vers d’autres usages, alors qu’ils et elles luttent pour payer leurs emprunts. Il s’agit d’un symptôme de plus de la crise agricole générée par des décennies de politique néolibérale. Aujourd’hui, se consacrer à nourrir la population ne permet pas d’assurer un revenu digne. Les manifestations agricoles se succèdent pour le rappeler. La terre est trop chère et les prix des produits agricoles sont trop bas. La survie du monde paysan ne peut reposer uniquement sur la diversification des revenus et autres bricolages pour arrondir les fins de mois. Il est urgent de réguler les marchés pour arriver à des prix justes. Le gouvernement wallon sortant doit dès à présent poser les bases pour une future interdiction de l’installation de panneaux photovoltaïques sur les terres agricoles et la mise en place d’un organisme public doté d’un droit de préemption avec possibilité de révision des prix, afin de bloquer l’envolée du prix des terres et de maintenir les terres aux mains des agriculteurs et agricultrices qui nous nourrissent.
Ne nous méprenons pas, le déploiement du photovoltaïque est nécessaire et est un élément clé de la transition. Mais il doit être pensé de manière intelligente et avec une vision à long terme. Les promoteurs privés sont attirés par les terres agricoles car cela permet une installation facile, rapide et à moindre coût. Mais si l’on suit l’intérêt collectif et le bon sens, il est évident qu’il faut privilégier les espaces déjà urbanisés pour installer le photovoltaïque. Outre les toitures des bâtiments publics et privés, il existe encore des milliers d’hectares de friches industrielles en Wallonie qui attendent désespérément leur reconversion. Ces espaces sont compatibles avec le photovoltaïque, sans que cela ne menace notre agriculture, notre souveraineté alimentaire et la biodiversité. Les énergies renouvelables et l’agriculture paysanne ne doivent pas être mises en concurrence. Notons par ailleurs que le soutien à l’agroécologie par des politiques adéquates et des moyens suffisants serait l’une des mesures les plus efficaces pour lutter contre le dérèglement climatique.
Manifestation
Pour défendre les terres nourricières et s’opposer à leur conversion en centrales énergétiques, le Réseau de Soutien à l’Agriculture Paysanne se rendra à Aiseau-Presles le 17 avril, journée internationale des luttes paysannes. Les syndicats paysans et leurs alliés soutiennent le combat local contre l’implantation de 22 000 panneaux photovoltaïques sur 30 hectares de terres agricoles, tout en rappelant qu’il ne s’agit pas de l’unique projet agrivoltaïque en Wallonie et que ces projets ne représentent pas la seule menace pour l’accès à la terre.
Liste des signataires
Résap (Réseau de soutien à l’agriculture paysanne), Agroecology in Action, Quinoa asbl, FIAN, Terre en Vue, FUGEA, MAP, Canopea, Ceinture Alimentaire Charleroi Métropole, Oxfam-Magasins du monde, Entraide & Fraternité, Le Début des Haricots ASBL, Brigades d’Actions Paysannes, Occupons le Terrain, Autre Terre, Actrices et Acteurs des Temps Présents, Le Réseau des GASAP (Groupes d’Achats Solidaires de l’Agriculture Paysanne), SCI-Projets Internationaux asbl, Ceinture Aliment-Terre Liégeoise, Rencontre des Continents, UNAB, Nos Oignons asbl, Nourrir Bruxelles, Fabriek Paysanne, Ceinture Alimentaire Namuroise, Les Amis de la Terre Belgique, Coopérative La Botte Paysanne, Coalition Climat.
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