A l’heure du bilan de santé de la Politique Agricole Commune, nos éminences grises ont réalisé un bilan plus que consensuel. Continuons les politiques qui fonctionnent! Plus de libéralisation, un soupçon d’environnement pour faire passer la pilule et une pincée d’enjeux climatiques. Rien de nouveau, donc, alors que le contexte agricole évolue rapidement conduisant à des tensions croissantes sur les marchés. Demain, le développement incontrolé des agrocarburants, conjugué à une demande croissante au niveau mondial de lait et de viande pourrait bien bouleverser le rapport des prix alimentaires, créer une forte inflation tout en accentuant la production de gaz à effet de serre par l’agriculture. Dans ce contexte, la PAC mérite bien plus qu’un bilan de santé! Elle pourrait (et devrait) bien être la clé de voûte d’une politique de santé et d’une politique climatique ambitieuses.
Du rationnement à la surconsommation
Si la PAC a été conçue pour relancer une production agricole déficitaire, elle n’en a pas moins rapidement dépassé cet objectif puisque son principal souci a été, dès les années 80, de gérer les excédents produits. Et l’un des moyens utilisés pour gérer ses excédents n’a été autre que… la propagande. Les excédents ont fait l’objet de véritables campagnes de promotion, utilisant des arguments de santé sans aucune base scientifique. Le lait et ses dérivés en est probablement l’un des exemples les plus parlant. Et cette propagande c’est développée d’autant plus que l’industrie agro-alimentaire a maintenant emboité le pas. La consommation de produits laitiers (fromages, yaourt, …) est depuis des décennies en augmentation en Europe et le niveau de consommation est tel aujourd’hui qu’il est difficile de ne pas tenir compte des controverses en terme de santé publique, qui entoure sa surconsommation : ostéoporose, sclérose en plaque, cancers, diabète de type I, alzheimer, … autant de « vertus » qui génèrent des coûts importants de santé publique.
Une dégradation de la valeur nutritionnelle des aliments
La PAC ne s’est pas limitée à modifier nos comportements alimentaires pour s’affranchir à bon compte des excédents qu’elle a générés. Elle a également induit une modification de leur valeur nutritionnelle. Pour soutenir le développement agricole, la PAC a favorisé [Le maïs fourrager a été largement soutenu par la PAC depuis 1992, au détriment des prairies]] un modèle de production intensif à base d’alimentation concentrée (le couple maïs-soja), au détriment des herbages, modifiant la qualité intrinsèque du lait et de ses dérivés. De nombreuses études mettent en évidence ces différences : le rapport oméga 3/oméga 6 (que vous pouvez télécharger ci-dessus) des produits laitiers de type « extensifs » est beaucoup plus favorable pour la santé. Il en va de même pour leurs taux d’antioxydants [[dont le rôle est important pour la prévention des cancers]] et de vitamines. Mais aussi, les fruits et légumes produits en agriculture biologique présentent des taux supérieurs d’antioxydants [[Les fruits produits en agriculture biologique, et donc sans traitement fongicide, ont des [taux d’antioxydants plus élevés qui trouvent leur origine dans la stratégie de la plante développée pour se protéger des attaques fongiques…]] et de vitamines et ne dépassent pas les limites de résidus en pesticides encore courantes pour cette catégorie d’aliments[[Environ 5 % des fruits et légumes conventionnel dépassent les limites maximales de résidus en pesticides]].
Dégradation des habitudes alimentaires
Parallèlement, la consommation des protéines animales a pris une place prépondérante dans notre alimentation. Cette modification des habitudes alimentaires est facilitée par l’augmentation du pouvoir d’achat, la promotion de ces produits et l’absence de politique publique nutritionnelle. La PAC, fer de lance des politiques Européennes, n’a eu de cesse de soutenir un modèle productiviste à grand renfort d’aides à la production et de soutiens à la consommation… En Belgique, la consommation moyenne de viande est de 280 grammes/personne/jour, soit une consommation trois fois supérieure à nos besoins. Cela sans même prendre en compte les autres sources de protéines animales (oeufs, produits laitiers, poissons…). Mais le bilan de santé de la PAC ne s’interroge pas sur la santé des consommateurs que nous sommes… ni sur celui des coûts en termes de santé publique : surpoids, diabète, maladie vasculaire, taux de cancers plus élevés, …
De l’alimentation à la santé
En France, près de 700.000 personnes sont touchées par la maladie d’Alzheimer. En 2020 elles seront 1,3 millions. Les causes, de plus en plus (re)connues, sont bien sûr multifactorielles, mais fortement liées à notre alimentation. Ainsi, parmi ces facteurs de risque on retrouve l’excès d’acides gras « trans » [[provenant de l’hydrogénation des graisses végétales et des matières grasses contenues dans les produits laitiers et la viande bovine]], une insuffisance en antioxydants contenus dans notre alimentation, en acide gras oméga 3 et notamment en l’acide docosahexaénoïque (DHA) [[O. Tickell. Alzheimer : comment réduire les risques. L’écologiste, n°24; octobre-novembre 2007]]. Ces risques se cumulent d’un facteur allant de 1 à 6 ! L’augmentation dans notre alimentation des produits d’origine animale au détriment des végétaux est l’un des facteurs de risques les plus importants, aggravé par la dégradation nutritionnelle des aliments induite par l’agriculture productiviste.
Sans aborder les aspects humains, la maladie d’Alzheimer coûte en France 4,5 milliard d’Euros et en Grande Bretagne, pas moins de 25 milliard d’Euros. Allant dans le même sens, une étude plus large réalisée en France considère que la majeure partie des maladies cardiovasculaires, du diabète et de l’obésité, et 40% des cancers pourraient pourrait être évitées en utilisant les connaissances accumulées, en changeant simplement les habitudes alimentaires. L’économie sur les seules affections de longues durées serait déjà de 38 milliards d’euros/an. Sans parler des autres coûts (arrêts maladie, perte de production, etc.) Des chiffres à comparer aux quelques 50 milliards d’Euros dépensés pour la PAC … et qui montrent combien agriculture, alimentation et santé devraient à l’avenir être liés.
De l’alimentation au climat
L’impact de l’agriculture sur l’environnement, à l’échelle mondiale, est considérable: 18% des gaz à effet de serre sont produits directement par l’agriculture et trouvent principalment leur origine dans l’élevage [via les GES produits par le bétail, la production de l’alimentation du bétail et la gestion des effluents]]. Pour une calorie alimentaire consommée en Europe, près de quatre sont destinées à l’élevage… Si la part des GES produite en Europe par l’agriculture est de 10 %, la production alimentaire des 25 contribue pour 25 à 30% des émissions de GES [[ce calcul prend en compte les GES liés à la production des engrais et des pesticides, la transformation des produits, les emballages, la réfrigération et, bien entendu, les transports]]. Le gisement en terme de réduction de gaz à effet de serre est donc plus que considérable. Un gisement qu’il faut comparer, à politique inchangée, aux [33 à 65 milliards d’Euros engendré par le développement des agrocarburants avec un risque important d’augmenter les GES !
Agriculture – alimentation – santé et climat : des synergies colossales
Si l’on considère les enjeux tant en termes climatique que de santé publique, il est souhaitable de modifier nos habitudes alimentaires en développant des politiques préventives ambitieuses [Depuis 2005, un premier pas a été fait puisqu'[un plan national nutrition et santé pour la Belgique a été établi]], conjointement à l’amélioration de la qualité intrinsèque des produits agricoles. La mise en place d’une politique publique « nutritionnelle » et d’une politique agricole accompagnant ces changements nécessaires offre des perspectives importantes dans la production des agroénergies. Ainsi, une adéquation entre consommation et besoins permettrait de « libérer » plus de 50 % des terres cultivées en Europe et de les consacrer à l’extensification et au développement des énergies renouvelables. A l’inverse, la politique du laisser faire pourrait conduire à un résultat équivalent du fait de la compétition entre utilisations énergétiques et alimentaires des sols mais avec un coût et une inéquité irresponsable.
Une politique de décroissance pour plus de bien-être!