(A)ménager le territoire : prendre soin

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Territoire
  • Temps de lecture :10 min de lecture
You are currently viewing (A)ménager le territoire : prendre soin

Ce lundi 25 octobre, quelques jours après avoir écouté Philippe Madec, auteur du Manifeste pour une frugalité heureuse et créative 1, parler de ménagement du territoire lors de la matinée de conférence « La fabrique du déjà-là » organisée par Bruxelles Environnement et be.sustainable.brussels, j’ai failli casser Google.

Impossible pour le moteur de recherche de ne pas corriger automatiquement l’orthographe de ma recherche de « ménagement » en « aménagement ». J’ai eu un peu plus de chance en cherchant des occurrences contenant « ménager le territoire »2. Cette idée de ménager au lieu d’aménager, ce n’est pourtant pas la première fois que je la croise. J’avais déjà pu en lire quelques mots dans l’interview de Karima Haoudy qui citait Thierry Paquot et la thématique m’avait déjà interpellée.  Cette conception d’un nouveau rapport au territoire et à l’urbanisme m’a fait penser à la conférence donnée par Michel Lussault en préambule du colloque « How to reconnect people in cities » organisée par la FUP et également à la journée d’échange « La ville s’en fr()iche » organisée par le CIVA, l’ARAU, Apis Bruoc Sella, Bruxelles Nature et Natagora.

Trois événements qui ont en commun de plébisciter un nouveau rapport au territoire, qui font écho et nourrissent l’approche « Stop Béton » défendue par IEW. Leur point commun : mettre en avant la nécessité de prendre le temps pour observer et comprendre ce qui est déjà là avant d’agir, entendre et écouter les besoins des habitants et habitantes, valoriser l’existant et la participation citoyenne. Le constat unanimement partagé : la valeur du sol est trop souvent réduite à son potentiel de réalisation foncière, à sa valeur « marchande ». Or, penser les villes, c’est aussi faire de la place au « vide », aux espaces ouverts et de rencontres, aux espaces de pause et de respiration. C’est aussi créer des espaces de convivialité, c’est rendre sa place au vivant, végétal, animal. Comment, à partir de ces constats imaginer une nouvelle manière d’habiter les lieux ?

Prendre soin du vivant

Les tables rondes et conférences se succédant, les intervenants et intervenantes se multipliant, une ritournelle éthique et existentielle se répétait : nous sommes des êtres sensibles, relationnels, interdépendants, vulnérables, en relation avec le vivant. Et l’aménagement du territoire doit intégrer ces composantes.

Ces mots font écho à la philosophie du care (terme intraduisible en langue française par un mot unique) adoptée par Michel Lussault.  En 1990, Joan Tronto et Bérénice Fisher ont élaboré une définition du care comme « une activité caractéristique de l’espèce humaine qui inclut tout ce que nous faisons en vue de maintenir, de continuer ou de réparer  notre « monde » de telle sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde inclut nos corps, nos individualités (selves) et notre environnement, que nous cherchons à tisser dans un maillage complexe qui soutient la vie.» 3

La philosophie du care interroge « l’articulation entre la dimension interpersonnelle de la relation et sa dimension sociale, jusqu’à se demander comment prendre soin de la société et du monde dans lequel nous vivons. » 4 Si nous acceptons le postulat que nous sommes des êtres humains interdépendants et vulnérables, au même titre que les écosystèmes, dès lors, la conception des territoires, dans l’aménagement des lieux et des espaces, peut devenir un moyen de prendre soin de nos fragilités, de nos vulnérabilités.

Le care ne se réduit à une morale, une éthique. Elle est aussi une pratique qui se structure en quatre grands principes :

  • « caring about, se soucier de : il s’agit de constater l’existence d’un besoin, de reconnaître la nécessité d’y répondre et d’évaluer la possibilité d’y apporter une réponse ;
  • taking care of, prendre en charge : assumer une responsabilité par rapport à ce qui a été constaté, c’est-à-dire agir en vue de répondre au besoin identifié ;
  • care giving, prendre soin, qui désigne la rencontre directe d’autrui à travers son besoin ;
  • care receiving, recevoir le soin, c’est-à-dire reconnaître la manière dont celui le reçoit réagit au soin. »5

Créer un nouveau ménagement

Michel Lussault, dans sa conférence L’urbanisme de l’attention et du prendre soin, à partir de ces principes, amorce une théorie de l’urbanisme du soin qui s’articule autour de trois étapes :

  • Logique de la considération : que considère-t-on et que dé-considérons-nous dans un même mouvement, c’est-à-dire que prenons-nous en compte ? Par exemple, en reconsidérant la pratique d’habiter (dans le sens habiter comme espace de vie de l’espèce humaine) comme une pratique anthropologique et non comme une fonction.
  • Écologie de l’attention, c’est-à-dire rentrer dans le détail de ce qui fait sens. Qu’est-ce qui fait sens pour un individu dans son habitat ? Comment sonder au plus près ce qui importe pour les habitants et habitantes ?
  • Ménagement, c’est-à-dire, prendre soin ce qui a été considéré et de ce à quoi nous avons été attentifs dans les étapes préalables. Comment être soigneux ? A quoi devons-nous apporter du soin (dans le sens de bien-être) ? Comment apporter le geste juste ?

Dès lors que l’on fait sienne cette philosophie, une approche purement fonctionnaliste du territoire, faisant fi du vivant, du déjà-là, qui ne serait pas à l’écoute des besoins identifiés et exprimés, apparaît obsolète et inadéquate. Pour penser et faire la ville de demain, il faut écouter les dynamiques humaines, aller à la rencontre, mettre en test – grâce à l’urbanisme tactique, à l’occupation provisoire, etc. La participation citoyenne doit être valorisée en tant que source de connaissances et d’expertises d’usage et de terrain.

Parce que nous sommes convaincus et convaincues de l’importance de penser un nouveau ménagement du territoire qui favorise la participation citoyenne, Inter-Environnement Wallonie, l’ADSVN, Namur 2080, urbAgora, la Plateforme Ry Ponet et la CWEPSS vous invitent à prendre part aux rencontres citoyennes centrées sur différents enjeux liés à l’artificialisation des sols :

Vous serez chaleureusement acueilli.es, même si ces rencontres se déroulent en distanciel. La participation est gratuite, sur inscription. Au-delà de ces rencontres, IEW portera vers les mandataires politiques les messages issus de nos débats. Venez nous rejoindre !


Aidez-nous à protéger l’environnement,
faites un don !

  1. https://www.frugalite.org/fr/le-manifeste.html
  2. https://topophile.net/rendez-vous/menager-nos-territoires-thierry-paquot-metamorphoser-lacte-de-construire/
  3. Sous la direction de Molinier Pascale, Paperman Patricia, Laugier Sandra, Qu’est-ce que le care, souci des autres, sensibilité, responsabilité, Payot, 2021, p37
  4. Zielinski, Agata. « L’éthique du care. Une nouvelle façon de prendre soin », Études, vol. 413, no. 12, 2010, p. 632
  5. Idem, pp 633 – 635