Appel à bifurquer vers un projet de société soutenable

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Montée du populisme, réélection de Donald Trump, propos regrettables de la part du gouverneur de la BNB… Le scepticisme ambiant nous éloigne encore plus des efforts urgents pour convertir nos sociétés à des modes de vie soutenables.

Carte Blanche parue dans L’Echo du 12/11/2024

impérative bifurcation écologique de nos économies et de nos sociétés a pris du plomb dans l’aile. Alors qu’en 2022, on se bousculait à Davos pour écouter Greta Thunberg, depuis lors, on observe qu’un nombre conséquent de fonds de gestion d’actifs se retirent des « actifs verts », tandis que certains réassureurs refusent désormais d’assurer les événements climatiques extrêmes.

La montée du populisme en Europe et la réélection, aux États-Unis, de Donald Trump, notoirement hostile à l’environnement, créent aussi un climat peu favorable à une discussion sereine des enjeux liés à la décarbonation et à la biodiversité.

Elle est pourtant plus que jamais indispensable. En témoignent les dramatiques inondations qui ravagent l’Europe de l’Est et l’Espagne, après l’Allemagne, la Wallonie et les Hauts-de-France. En 2021, un rapport de Swiss Re
1 annonçait que le réchauffement pourrait coûter chaque année entre 7% et 10% du PIB de l’Union européenne (UE) dès 2050.

Récemment, le gouverneur de la BNB a donné un nouvel exemple du scepticisme ambiant en prenant position contre la sortie rapide des combustibles fossiles, la sobriété et la prise au sérieux des efforts qu’exige la bifurcation de nos sociétés vers des modes de vie soutenables
2.

En finir avec le financement des énergies fossiles

Tout d’abord, selon M. Wunsch, mettre fin aux financements des énergies fossiles ne faciliterait pas la décarbonation de nos économies. On parle de sommes significatives: les banques européennes comptent, en effet, parmi les plus gros financeurs des énergies fossiles au niveau mondial. En 2022, elles ont fourni 27,5 milliards d’euros aux 100 principaux développeurs d’énergies fossiles
3. Et la suppression de ces financements augmenterait, selon le gouverneur de la BNB, le prix de l’énergie et constituerait un cadeau pour des régimes peu recommandables, comme celui de Vladimir Poutine.

Pourtant, le crédit bancaire économisé par l’arrêt de ces financements pourrait être investi justement dans les infrastructures liées aux énergies renouvelables, au transport décarboné et dans la rénovation des bâtiments, qui restent parmi les meilleurs moyens de nous affranchir de notre dépendance aux fossiles, des régimes qui les produisent et de l’inflation que provoque la hausse de leur coût d’extraction.

Et que dire des subventions publiques à ces énergies fossiles? L’État belge a octroyé plus de 12 milliards d’euros de subventions directes aux énergies fossiles en 2021
4. La prime qu’octroient ces incitants à émettre du gaz à effet de serre constitue une concurrence déloyale envers les entreprises qui tentent de décarboner leurs opérations et de rendre leur modèle économique vertueux.

Une fiscalité trop favorable au gaz par rapport à l’électricité

Deuxio, M. Wunsch considère que l’électricité « verte » est trop chère. Si la volonté d’en faire baisser le prix est louable, la cherté des coûts de production de l’énergie renouvelable doit être nuancée. En effet, le prix du kWh « vert » a considérablement baissé au cours des dix dernières années, au point de devenir une des sources de production électrique parmi les moins coûteuses
5. Là où nous rejoignons M. Wunsch, c’est sur la nécessité d’opérer un changement de la fiscalité, aujourd’hui trop favorable au gaz et défavorable à l’électricité.

Tertio, le gouverneur estime le coût de la décarbonation des économies européennes entre 2 et 3,5% du PIB. Il le juge équivalent à un choc pétrolier qu’il serait possible, selon lui, d’étaler sur 25 ans.

Nous ne pouvons souscrire à un tel optimisme. Sur quelles études se fondent ces chiffres? Le récent rapport de l’Institut Rousseau « Road to Net Zero »
6 est plus réaliste: la décarbonation nette de l’UE nécessite d’y allouer une part de nos investissements et d’y ajouter en moyenne 2,3% du PIB de l’Union, chaque année jusqu’en 2050.

Nous avons besoin d’une discussion démocratique sur les moyens de financer cet effort collectif: dette européenne (comme le propose le récent rapport Draghi), prix du carbone aux frontières, fiscalité sur les hauts patrimoines, utilisation plus fine de la TVA pour mieux orienter les choix des consommateurs. De nombreuses options sont disponibles. Encore faut-il raisonner avec les ordres de grandeur pertinents.

Une sobriété organisée vaut mieux qu’une sobriété imposée

Enfin, M. Wunsch avance que la sobriété n’est plus à l’ordre du jour, car seuls 10% de la population européenne seraient prêts à y consentir. En réalité, selon une étude menée par Ipsos en 2022, 87% des citoyens de dix pays, dont plusieurs en Europe, considèrent la sobriété énergétique comme un objectif important, voire prioritaire.

Loin d’imaginer une transition juste, le gouverneur estime que ceux qui chauffent leur piscine doivent pouvoir continuer de le faire. Cet exemple est d’autant moins pertinent que, selon le WRI
7, en 2040, le sud de l’Europe pourrait perdre près de 80% de l’accès à l’eau potable dont il jouissait en 2000.

L’enjeu pour les Européens est de constituer des réserves durables d’eau, de se protéger contre les événements climatiques extrêmes et de réduire leur dépendance aux énergies fossiles. Pour cela, une sobriété organisée est préférable à une sobriété imposée par les dérèglements du climat et de la biodiversité.

Contrairement à la caricature qu’en font certains, cela ne signifie nullement une « punition collective ». Les Européens jettent un tiers de la nourriture qu’ils achètent et les Belges utilisent leur voiture majoritairement pour des déplacements de moins de 5 km, la laissant immobile de 92 à 95% du temps.

Apprendre à se loger et se déplacer autrement, à consommer ce dont chacun a réellement besoin et à partager nos richesses, c’est un projet de société qui pourrait rendre chacun de nous plus heureux. Voilà ce que signifie, à nos yeux, la bifurcation écologique. Qu’attendons-nous?

*La coalition belge des écopreneurs Kaya, le centre de recherche et d’action sociales Avec, la fédération des associations environnementales belge Canopéa, avec le soutien de G. Blackman (Realco), O. Bouche (Corporate Regeneration), A. Brohé (Agendi), J-M Caudron (Ressources), A. Charlier, R. Collin (Positive Transition), L. Collinet (Tapio), A. Corbusier (Aquila Advisors), S. Droulans (ConsomAction), A. Geerinckx (CO2logic), T. Georgin, Antoine et Alexandre Helson (Maison Dandoy), N. Henry (Pulsitive), B. Huybrechts (IESEG), N. Lambert (UCLouvain/Helha), O. Lefebvre (Climact), P. Lovens (Urbike), S. Meekers (Canopéa), S. Mertens (Université de Liège), C. Mikolacjzak, L. Morauw, R. Moreau, E. Mossay (EcoRes), L. Pazienza, B. Ǫuittre (Kaya), N. Stranart (S Management), T. Van Craen (Banque Triodos), S. van den Hove (Bridging for Sustainability), M. Van der Meerschen (GiveActions), P. Vermeulen (Climact), M. Vranckx (Aquila Advisors), P. Yernaux (Atelier 80).

  1. The economics of climate change: no action not an option, Swiss Re Institute, Avril 2021
  2. Cesser de financer le pétrole n’aidera pas à la transition climatique, L’Écho, 21 octobre 2024
  3. Fossil fuel finance report 2023, Banking on Climate Chaos
  4. Service public fédéral Finances, Inventaire fédéral des subventions aux énergies fossiles, Mai 2024
  5. Renewable power generation costs in 2023, IRENA, 2024
  6. Road to Net Zero – Bridging the green investment gap, Institut Rousseau, Janvier 2024
  7. Aqueduct Global Water Risk Atlas, World Resources Institute, Mai 2024

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