Le Gouvernement papillon a déjà consenti un effort budgétaire à hauteur de 11,3 milliards d’euros. On s’en souvient, l’accouchement fut laborieux. Pourtant, croissance en berne et agences de notation et autres institutions internationales aux aguets, la Belgique se voit à nouveau contrainte de dégager des moyens supplémentaires, de l’ordre de 2 milliards d’euros. C’est chose faite aujourd’hui, mais… Inter-Environnement Wallonie rappelle encore et toujours qu’une cure d’austérité n’est guère une solution adéquate et appelle plutôt à une refonte de notre système fiscal dans la perspective de lutter contre les différences crises qui nous frappent, environnementale et économique en tête. En 2011 déjà, le mouvement environnemental enjoignait le gouvernement fédéral à y recourir, proposant une dizaine de mesures fiscales en faveur de l’environnement permettant de générer pas moins de 8 milliards d’euros.
Les prévisions de croissance ayant été revues à la baisse (les prévisions les plus pessimistes tablent sur une croissance de – 0,1 %), les mesures d’économie prises fin 2011 par l’État fédéral ne rapporteront pas autant qu’escompté, grevant quelque peu au passage les finances publiques. Du coup, marchés et institutions internationales somment fermement la Belgique à consentir à un effort budgétaire supplémentaire. Certes, tant l’agence de notation Fitch (qui a récemment dégradé la note de la Belgique) que la Commission européenne ont salué l’effort réalisé – en particulier le gel des dépenses publiques en 2012 – mais appellent notre pays à améliorer son budget, jugé insuffisamment crédible pour faire face aux impératifs européens et du marché. Parmi leurs recettes : reconsidérer l’indexation automatique des salaires, bien évidemment inacceptable aux yeux des mouvements syndicaux.
Estimé à 2 milliards d’euros, il reste encore à la majorité actuelle de voir comment répartir cet effort et trouver un juste équilibre entre dépenses et recettes. Et les membres de la majorité Di Rupo peinent à accorder leurs violons, les uns à l’instar du Ministre des Finances Steven Vanackere privilégieant une réduction des dépenses, les autres – citons l’aile gauche du gouvernement – un accroissement des recettes. Certains se sont déjà exprimés de vives voix. D’après le Ministre de l’économie Johan Vande Lanotte, « le contrôle budgétaire est davantage une râpe à fromage, il s’agit d’affiner, de coordonner des mesures de plus petite ampleur« . Sans trop s’avancer sur les mesures préconisées, Joëlle Milquet estime pour sa part qu’il importe de raisonner sur le plus long terme : « on ne peut pas avoir la récession pour seul horizon. Le rigueur est un outil, pas une fin en soi. L’horizon, c’est le retour de la confiance et de la relance. L’assainissement doit s’accompagner d’un processus de relance et d’emploi. » Quant à Laurette Onkelinx, Ministre des Affaires sociales, elle s’est aventurée sur un terrain assez glissant en proposant un impôt minimum pour les sociétés. Autant dire que la proposition de la Vice-Première, pourtant ardemment – et à juste titre – défendue par différents acteurs dont le Réseau pour la Justice Fiscale (RJF), s’est rapidement attirée les foudres de ses « confrères » et du patronat.
La justice fiscale comme remède à la crise
Pour résister à la crise, beaucoup de voix s’élèvent en faveur d’un sape pur et simple des dépenses publiques. Pourtant, sur le terrain, on constate que ce sont les pays (d’Europe) caractérisés par une faible fiscalité – située en-deçà de la moyenne européenne –, à l’instar de la Grèce, du Portugal ou encore de l’Irlande, qui ont le plus souffert de la crise. Ceux-ci ont en effet connu une récession plus sévère et de plus fortes contractions sur le marché de l’emploi. A contrario, les pays connaissant des charges fiscales plus fortes, tels que les pays nordiques, semblent mieux résister à la crise. Certes, des hausses fiscales sont, dans une moindre mesure, également légion mais il ne s’agit pas du courant dominant. Celles-ci concernent avant tout les taxes à la consommation (TVA, accises, …) qui par essence sont socialement injustes et devraient, à tout le moins, s’accompagner de mesures compensatoires à l’attention des personnes défavorisées. En revanche, à l’heure où l’Europe réaffirme ses engagements climatiques, la fiscalité environnementale tend à se faire timide. Mais nous y reviendrons.
Dans les rangs syndicaux, l’appel à une fiscalité plus équilibrée est également de mise. « Nous craignons de ne pas arriver à un bon équilibre dans la recherche des deux milliards d’euros. On ne veut pas se détourner de notre responsabilité, mais nous demandons aussi plus de justice dans le système d’impôts et que tous les acteurs y contribuent, en ce compris les grosses fortunes, les entreprises, les indépendants… » affirmait ainsi Marc Leemans, président de la CSC, ce 28 février à l’occasion du lancement de la campagne de recrutement du syndicat chrétien pour les élections sociales. Et de proposer, entre autres, au gouvernement de renforcer la lutte contre la fraude fiscale ou encore de taxer les billets d’avion.
La grogne est également palpable à l’échelon européen. C’est ainsi que, à l’appel de la Confédération européenne des syndicats (CES), diverses manifestations syndicales se sont tenues le 29 février dernier aux quatre coins de l’Europe. Par ce biais, la CES tend à dénoncer l’austérité généralisée et réclame la mise en place d’une véritable Europe sociale. Présente à Bruxelles, la Secrétaire générale de la CES s’est exprimée en ces mots : « Ce que nous voulons dire ici, c’est que trop, c’est trop ! Toutes les mesures d’austérité imposées aux travailleurs de l’Union européenne ne vont pas apporter les solutions dont nous avons besoin« . Les syndicats prônent au contraire l’investissement (et non l’épargne), la création d’une taxe sur les transactions financières et l’émission d’obligations européennes.
La fiscalité environnementale, la grande absente
Au-delà de la crise financière, la lutte contre le réchauffement climatique représente un défi fondamental qui peut notamment être combattu au moyen de la fiscalité environnementale.
En Europe, en dépit d’effets d’annonce et de grands discours, on a pu constater une baisse des recettes liées aux taxes environnementales. Néanmoins, la tendance s’est quelque peu inversée sous l’effet de la crise financière, mais elle reste cependant marginale. Par ailleurs, fortes sont les disparités entre les États membres, l’Allemagne, le Danemark ou encore les Pays-Bas recourant plus que d’autres aux mesures écofiscales.
La Belgique pour sa part fait figure de cancre en matière de fiscalité verte. En effet, les taxes environnementales se situent en queue de peloton européen, et c’est sans compter le recours aux subventions dommageables à l’environnement. Relever la fiscalité environnementale au niveau moyen européen permettrait à lui seul de générer 2 milliards d’euros supplémentaires, soit l’effort budgétaire additionnel demandé à notre pays
En outre, la verdurisation de notre système fiscal contribuerait également à gérer plus efficacement nos finances publiques. En effet, celle-ci vise non seulement à supprimer les subsides dommageables à l’environnement et à créer de nouvelles rentrées fiscales, mais permet également d’internaliser les coûts externes imputables à des comportements préjudiciables à l’environnement, actuellement indûment supportés par la collectivité. Dans la mesure où la fiscalité environnementale permet de (ré)orienter les comportements, il est fort à parier que celle-ci contribue à réduire ces coûts dits externes. Ainsi, à titre illustratif, une taxe kilométrique intelligente, de par son effet incitatif, portera à la baisse les investissements colossaux dédiés au développement et à l’aménagement des infrastructures routières.
En 2011, le milieu environnemental (Inter-Environnement Wallonie, le Bond Beter Leefmilieu (BBL), Inter-Environnement Bruxelles (IEB), le Brusselse Raad voor het Leefmilieu (BRAL), Greenpeace et le WWF) ont transmis au Gouvernement fédéral leurs propositions concrètes en matière de fiscalité environnementale. Sur base d’études existantes, les ONG environnementales ont estimé le rendement budgétaire de ces mesures à 8 milliards d’euros :
- Moduler les accises sur l’énergie en fonction de considérations environnementales pourrait non seulement générer des recettes considérables – de l’ordre de 2 milliards d’euros – mais également atteindre les objectifs du Paquet Énergie Climat à l’horizon 2020.
- Une augmentation de l’objectif de réduction des émissions de CO2 de 20 à 30 % d’ici 2020 est non seulement requise pour la lutte contre le changement climatique mais offre également des avantages économiques, parmi lesquels de plus importantes recettes résultant de la mise aux enchères des permis d’émissions.
- Une taxe sur l’électricité d’origine nucléaire devrait mettre un terme aux profits illégitimes des centrales nucléaires belges amorties. Les recettes de cette taxe devraient être réaffectées aux consommateurs sous forme d’investissements dans les économies d’énergie et le développement des énergies renouvelables.
- Considérant la faiblesse actuelle des critères de durabilité des agrocarburants et l’utilisation inefficace de ceux-ci dans le secteur des transports, nous appelons à supprimer l’exonération fiscale qui leur est octroyée.
- Voitures de société : une combinaison de mesures[[revoir le régime fiscal qui encourage les sociétés à recourir aux voitures de société, – revoir le régime fiscal qui rend les voitures de société bénéfiques pour les employés, – rendre l’usage d’une voiture de société moins intéressant, et, – rémunérer les déplacements professionnels occasionnels via le régime d’indemnités existant.]] pourrait rapporter au minimum 4,1 milliards d’euros, et c’est sans compter les économies réalisées en matière de frais de soins de santé et de travaux d’infrastructure.
- L’alignement de la taxe de mise en circulation (TMC) au niveau moyen des pays de référence européens apportera au minimum 200 millions d’euros. L’introduction d’une progressivité beaucoup plus forte de la TMC en fonction de l’impact des véhicules sur l’environnement aura un effet important sur l’impact des véhicules sur l’environnement, ce qui, à son tour, entraînera des coûts sociétaux externes réduits.
- Un relèvement des accises sur le diesel peut rapporter un supplément de revenus nets de l’ordre de 300 à 600 millions d’euros.
- Une taxe kilométrique intelligente est par excellence une mesure incitative, dont les retombées financières sont réelles, entre autres du fait qu’elle permettrait d’éviter de gros travaux d’infrastructure.
- Une taxe sur les billets d’avion, modulée en fonction de la distance parcourue, permettrait de générer quelques 240 millions d’euros. Les coûts externes induits par ce mode de transport s’en trouveraient également réduits.
- Une taxe sur les pesticides différenciée en fonction du type d’utilisation pourrait non seulement pallier les incidences négatives sur la société mais également générer 50 millions d’euros qui pourraient être rétrocédés aux organismes publics et privés qui supportent aujourd’hui ces coûts.
- Un réajustement du revenu cadastral et du précompte immobilier peut rendre la ville plus attrayante et limiter les déplacements automobiles. Les recettes additionnelles générées par cet ajustement pourraient être affectées au renforcement de politiques de base et à l’abaissement des droits d’enregistrement.
EN SAVOIR PLUS
Cahier de revendications en matière de fiscalité environnemental des ONG d’environnement