Le Salon de l’auto de Bruxelles vient de fermer ses portes et les organisateurs se félicitent d’un record de fréquentation des années impaires battu tandis que les exposants se réjouissent de carnets de commandes bien remplis. Ainsi donc, une fois de plus, la fascination de l’automobile aura joué à plein. Alors que l’année 2012 avait été marquée par des ventes en baisse (486.737 voitures neuves vendues, soit 3,6% sous la moyenne d’un peu moins de 505.000 observée sur les treize dernières années), un marché mondial en pleine mutation et des constructeurs aux abois, ce premier bilan plus que positif en 2013 tend à démontrer que la voiture continue d’occuper une place aussi privilégiée qu’irrationnelle dans nos habitudes de vie et de déplacement. En conséquence de quoi il importe plus que jamais que l’action politique s’attache à la mettre en phase avec les enjeux de l’époque, à savoir la lutte contre le réchauffement global et la raréfaction des ressources énergétiques.
Lors de la conférence de presse du 10 janvier ouvrant officiellement le Salon de l’auto 2013, Thierry van Kan, président de la FEBIAC, soulignait avec force que les ventes de voitures en Belgique n’avaient pas subi un crash en 2012 – tout au plus un coup de frein, bien compréhensible vu le contexte économique. Nous souscrivons à ce propos : les enseignements de l’année 2012 ne résident en effet pas dans le chiffre global du marché mais dans la réorientation des achats. Il apparaît ainsi que les particuliers ont, en moyenne, choisi un modèle plus grand, un peu plus puissant et plus polluant que les années précédentes. Une explication plausible réside dans la suppression des primes fédérales pour l’achat de voitures moins polluantes. Les sociétés quant à elles ont, globalement, acheté des voitures à plus faibles émissions de CO2, une évolution qui peut être imputée au nouveau mode de calcul de l’avantage de toute nature (ATN). Mais la puissance moyenne des véhicules « de société », cependant, n’a que peu baissé. Enfin, si les ventes de voitures neuves aux indépendants ont chuté, ceux-ci ont souvent opté pour un segment supérieur.
Il semble donc qu’en l’absence d’un signal fiscal clair à l’achat donné par les pouvoirs publics, les trois catégories d’acheteurs (particuliers, sociétés et indépendants) choisissent « naturellement » des voitures puissantes, d’un segment élevé. Cette tendance « naturelle » est, bien sûr, savamment entretenue par l’industrie qui, bien qu’elle s’en défende souvent, continue à vendre du rêve. En témoigne la surprise réservée par la FEBIAC « aux véritables amoureux des voitures » dans le palais 11 du Heysel : l’exposition exclusive Dream Cars for Wishes qui accueillait plus de 50 voitures exclusives « présentées sous leur plus beau jour ». De quoi renforcer la voiture puissante, rapide, luxueuse – et financièrement inaccessible pour l’immense majorité de la population – dans son statut d’idéal vers lequel il faut tendre, quitte à s’endetter au-delà du raisonnable. Malheureusement ( ?), tout cela est incompatible avec les exigences d’un environnement … et d’un développement économique durables.
Laissons de côté les nombreuses autres incidences négatives du système de transport routier pour nous arrêter sur ses seules émissions de CO2. Dans son Livre blanc « Feuille de route pour un espace européen unique des transports », la Commission européenne soulignait en 2011 que, pour atteindre l’objectif de 80 à 95 % de réduction des émissions de GES à l’horizon 2050 par rapport à l’année 1990 indispensables pour maintenir à +2°C maximum le réchauffement planétaire, il « est impératif de parvenir à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 60 % par rapport à 1990 dans le secteur des transports », ce qui correspond à -70 % par rapport à 2010. Une telle diminution en un peu moins de 40 ans (une demi-vie humaine !) ne peut, raisonnablement, se faire en laissant les citoyens et les constructeurs jouer le jeu actuel, les premiers tentant d’acheter les véhicules « de rêve » que les seconds leur vantent pour mieux leur vendre.
Les pouvoirs publics se doivent donc d’intervenir ! S’ils ambitionnent d’atteindre les objectifs rappelés ci-dessus, il leur faut impérativement définir des plans d’action à la hauteur de leur ambition et ne négligeant aucune piste : réduction de la demande de transport, transfert vers les modes les moins polluants, diminution du nombre de véhicules et réduction de leurs émissions spécifiques. Cette dernière voie peut être suivie en utilisant deux types d’outils complémentaires. D’une part la fiscalité : un signal-prix clair peut orienter les achats vers les véhicules les moins polluants. Il est intéressant de noter à ce propos que les trois pays européens (Malte excepté) où les émissions de CO2 des voitures neuves étaient les plus basses en 2012 (Portugal, Danemark et Pays-Bas) ont en commun des taxes de mise en circulation élevées et fortement corrélées aux émissions de CO2. D’autre part la normalisation : les normes Euro ont permis de diminuer les émissions de polluants locaux qui affectent la santé humaine. Les émissions de CO2 sont, quant à elles, soumises à un régime particulier : c’est la moyenne des émissions des véhicules vendus qui doit respecter un objectif défini pour chaque constructeur. Une bataille farouche se déroule en ce moment autour de la révision du règlement européen (CE) N° 443/2009 qui fixe ces objectifs. Freinant des quatre roues motrices, l’industrie tente d’affaiblir le projet de la Commission, en utilisant un arsenal de propositions d’amendements toutes plus ingénieuses les unes que les autres. Il revient aux députés européens qui instruisent le dossier de garder à l’esprit les objectifs environnementaux et d’aider (malgré elle !) l’industrie automobile européenne à développer dès aujourd’hui les véhicules de demain, confortant ainsi sa place de leader sur le marché mondial des voitures à haute efficacité énergétique.