Une taxe carbone à 20 ¤ la tonne de CO2, tel est le souhait de la Commission européenne. Son parcours risque néanmoins d’être semé d’embûches si l’on considère la réticence de certains États membres envers ce concept et que l’on sait qu’en matière de fiscalité au niveau européen, l’unanimité est de rigueur. Sur le fond, la proposition européenne présente malgré tout quelques petits bémols, au niveau notamment du régime d’exemptions qu’elle prévoit.
La taxe carbone semble faire son petit bonhomme de chemin à Bruxelles. La Commission envisagerait en effet son introduction à un taux plancher de 20 ¤ la tonne de CO2.
L’idée sous-jacente, comme le rappelle le commissaire en charge de la fiscalité, Algirdas Semeta, n’est pas de créer une nouvelle taxe mais plutôt de «refondre la taxation sur l’énergie, pour servir notre agenda politique au sujet de la lutte contre le réchauffement». Cette taxe s’inscrirait ainsi dans le cadre de la révision de la Directive relative à la taxation de l’énergie et serait calculée à la fois en fonction des émissions de CO2 et du contenu énergétique.
Déjà soumis au marché des quotas d’émissions de CO2, le secteur industriel serait exempté de la taxe. Seraient par contre touchés les secteurs des transports, du logement et de l’agriculture, lesquels représentent la moitié des émissions de gaz à effet de serre européennes (émissions qui doivent être réduite de 20 % d’ici 2020).
La commission n’exclut toutefois pas d’aménager des dispositions pour le secteur agricole, les ménages pauvres et les zones rurales isolées. Ceux-ci pourraient ainsi se voir exemptés de la taxe ou bénéficier d’une réduction du montant de celle-ci.
Quant aux recettes, estimées à 300 milliards d’euros par an au niveau de l’Union, les États auraient le loisir d’en disposer comme bon leur semble. En effet, le texte énumère différentes pistes de réaffectation du produit de la taxe : «réduire la dette, réduire d’autres impôts, compenser les effets négatifs vis-à-vis des contribuables».
Pas pour tout de suite !
Bien que la taxe carbone fasse déjà ses preuves dans certains États comme la Suède, le Danemark et la Finlande, on peut craindre que sa mise sur pied au niveau européen ne soit pas une sinécure.
En effet, toute décision européenne prise en matière fiscale requiert l’unanimité. Or, les réticences se font déjà ressentir dans le chef de certains États membres. Tantôt du côté de l’Allemagne, soucieuse de préserver les intérêts de son industrie automobile, tantôt de celui du Royaume-Uni, peu enclin à voir l’Europe s’immiscer dans ses affaires fiscales.
A noter que le débat sur la taxe carbone n’est pas neuf. En réalité, c’est en 1991 qu’il émergea pour la première fois, suite à une communication de la Commission européenne intitulée «Une stratégie communautaire pour limiter les émissions de dioxyde de carbone et améliorer l’efficacité énergétique». La Commission proposait alors d’instituer une taxe communautaire hybride sur l’énergie et le carbone. Proposé aux États membres, ce projet sera rejeté à trois reprises (déjà, le Royaume-Uni faisait barrage, pour les mêmes raisons qu’aujourd’hui), débouchant finalement, 12 ans plus tard, sur une bien pâle Directive sur la fiscalité de l’énergie.
Il n’empêche, si d’aventure les États membres se montraient unanimes sur la taxe carbone (osons le rêve…), celle-ci serait progressivement mise en ½uvre entre 2013 et 2018, complétant alors le marché des quotas d’émissions de CO2.
Petits bémols
Voir la taxe carbone arrivé à l’agenda européen est une bonne nouvelle. On peut néanmoins déplorer que la proposition actuelle fasse trop la part belle aux exemptions et permette aux États membres de réaffecter les recettes fiscales à l’assainissement de leurs finances publiques.
La Commission parle d’exempter les entreprises soumises au régime des quotas d’émissions de CO2. Or, on sait combien ce système, en l’état actuel des choses, est défectueux (surallocation de quotas, crise économique…), tant et si bien qu’il n’engage pas à d’ambitieuses réductions d’émissions de CO2 et, pis encore, permet à certaines entreprises de gracieusement s’enrichir sur le dos des quotas. Avant d’exempter ces entreprises, il y aurait lieu de profondément réformer le mécanisme afin de le rendre efficace (mise aux enchères maximale des droits d’émission, instauration d’un régulateur européen chargé de fixer un prix minimum et assurer une certaine stabilité de ce prix…).
Enfin, n’oublions pas que l’objectif premier d’une taxe environnementale est allocatif et non budgétaire. Dans ce sens, la taxe carbone doit s’inscrire dans une logique environnementale visant à donner un signal-prix. Permettre aux États d’assainir leurs caisses budgétaires au moyen de la taxe carbone est un mauvais signal pour le citoyen, dont l’adhésion est primordiale. Il risque de voir cette taxe comme «une taxe en plus visant à renflouer les caisses de l’État». La taxe carbone devrait au contraire être vue comme un instrument permettant d’anticiper la crise énergétique future et préparer le citoyen à s’y adapter. Et pour ce faire, il y a également lieu de mettre en place des mesures d’aide à l’investissement économiseur d’énergie, prioritairement à destination des ménages fragilisés.