La Politique Agricole Commune (PAC) est en permanente restructuration. Ses révisions successives ont eu pour objectif une plus grande compétitivité de l’agriculture européenne et son intégration dans les marchés mondiaux. D’un système de gestion et de planification des marchés passant principalement par des mesures de protection douanière, la PAC a transité par des soutiens directs à la production et des quotas, dans un marché plus ouvert. La dernière réforme a fait passer les aides à la production vers des aides sans lien avec la production, basées sur des payements historiques dont bénéficiait chaque agriculteur ou sur des aides à la superficie. Le bilan de santé constitue une nouvelle étape pour permettre à l’Europe de justifier le démantèlement des derniers outils de gestion des marchés (les quotas sucriers, laitiers, les jachères, les protections douanières,…) et de mettre un peu plus en concurrence les agriculteurs et agricultures de part le monde. Dans le même temps, la Commission propose de renforcer les politiques de développement rural en rendant les aides agricoles un peu plus équitable.
Une PAC toujours plus libérale et mondialisée
La commission a annoncé la couleur, le bilan de santé sera l’occasion de rendre notre agriculture un peu plus compétitive et ouverte. Les mécanismes de régulation de l’offre permettant de stabiliser les marchés au profit tant des consommateurs que des producteurs seront un peu plus démantelés au profit … de la spéculation et des intermédiaires. De plus, en augmentant les quotas laitiers pour préparer leur démantèlement, l’Europe et ses zones de productions les plus intensives transformeront encore un peu plus de protéines végétales importées en lisier et produits laitiers destinés à l’exportation, générant transports inutiles, gaz à effets de serre et un peu plus de nitrates dans nos eaux…
Une agriculture incapable de s’orienter vers plus de durabilité
Que ce soit à travers l’évaluation du millénaire pour les écosystèmes ou les analyses de l’Agence Européenne de l’Environnement, le constat est le même: l’agriculture contribue à la régression de la biodiversité, au réchauffement climatique, à la dégradation des sols et aux pollutions de l’eau et de l’air, sans compter la dégradation nutritive des aliments et les résidus de pesticides qu’ils contiennent. Notre environnement et notre santé trinquent mais le bilan de santé de la PAC tel que présenté par la commission semble lui, positif. Les mécanismes sont connus et pourtant rien ne semble les remettre fondamentalement en cause. L’agence européenne considère même que l’agriculture est l’un des secteurs économiques le moins capable d’inverser les tendances pour aboutir à une forme d’agriculture durable.
Plonger tête baissée dans le mythe des biocarburants
Pour la Commission, le premier défi environnemental semble bien être celui des agrocarburants. On croit rêver! Les agrocarburant sont décriés pour leur inefficacité en terme de réduction de GES et leurs nombreux effets pervers. L’agriculture est un des secteurs qui fournit le moins d’efforts pour réduire sa production de GES alors qu’elle pourrait les réduire de manière conséquente. Les solutions pour atteindre cet objectif sont à peine esquissée par la Commission. Si la Commission ne semble pas vouloir impliquer plus avant l’agriculture dans la lutte contre les changement climatique, elle passe également sous silence les implications environnementales induites par l’augmentation récente des prix agricoles. Ces augmentations ne sont pas neutre environnementalement parlant car elles incitent à une intensification des pratiques agricoles. Les réformes de 1992 et de 2000 ont d’ailleurs été pour partie justifiées par l’impact bénéfique sur l’environnement d’une diminution des prix agricoles.
La subsidiarité, un indicateur des priorités européennes
Les enjeux relatifs à la gestion de l’eau et de la biodiversité sont certes bien présents dans le bilan de santé de la Commission, mais celle-ci ne semble pas vouloir imposer de mesures concrètes pour les rencontrer. La protection de l’eau et le maintien de la biodiversité risquent bien d’être laissés, au nom du principe de subsidiarité, aux mains des Etats-Membres sans aucun objectif contraignant. Un principe qui vous l’aurez compris ne s’applique pas aux obligations des états membres en matière d’agrocarburants. Et qui dit subsidiarité dit aussi politique des minima dans les Etats les moins volontaires, il suffit pour cela de voir où en est la conditionnalité en région wallonne.
La suppression des jachères sans compensations environnementales
L’évolution récente des marchés et les objectifs de production d’agrocarburants font que le gel des terres n’a plus aucun sens économique. Pourtant, les jachères disposées dans les zones les plus fragiles (sols peu profonds, bords de cours d’eau, …) et gérées convenablement ont permis d’atténuer les impacts environnementaux de l’agriculture. Dans son bilan de santé, la Commission propose de supprimer les jachères et de compenser leurs effets positifs par un renforcement des politiques incitatives telles les mesures agroenvironnementales à travers le développement rural.
Une mesure généreuse en soi … pour les agriculteurs et certainement pas pour l’environnement. La Commission est mieux que quiconque consciente que les mesures incitatives actuelles ont perdu en partie leur attrait auprès des agriculteurs. Le prix des productions agricoles a augmenté de 35 % en un an alors que les primes sont restées stables… Les propositions de la Commission ne permettront que de réajuster le tir sans compenser la suppression des jachères. De plus, les politiques de développement rural sont des politiques soumises au principe de subsidiarité. En région Wallonne, une partie importante du budget alloué au développement rural est destiné à soutenir la restructuration économique des exploitations agricoles alors que les budgets « environnementaux » incitent plus souvent les agriculteurs à respecter la législation qu’à aller au-delà.
Vers des payements uniques plus équitables
La Commission envisage, comme lors de la réforme précédente, de rendre la PAC plus équitable. Chaque état membre devra bientôt publier la liste des bénéficiaires des aides agricoles et des montants perçus. Une liste qui démontre dans les pays qui l’on déjà publiée combien la PAC est inéquitable. Lors de la précédente réforme, la Commission avait proposé un plafonnement des aides à 100.000 ¤, ce qui avait été rejeté par les Etats membres. Aujourd’hui, elle envisage une diminution proportionnelle des aides par paliers. Les montants dégagés seraient affectés à des politiques de développement rural au sein des Etats concernés, espérant par ce retour financier au Etats membres arriver à un consensus. Une proposition intéressante, même en Wallonie, où les disparités existent bien.
Un tabou, celui de la légitimité des aides
Les prix agricoles ont augmenté et ne semblent pas près de redescendre. Pour certaines productions, ils sont revenus à ceux des années 80, avant que les primes ne viennent compenser la diminution des prix nécessaires à l’ouverture des marchés. Depuis, les exploitations agricoles se sont étendues à un rythme plus rapide que celui de l’inflation, ce qui signifie qu’aujourd’hui ces aides n’ont plus vraiment de légitimité car les prix agricoles sont redevenus rémunérateurs.
Dans ce contexte, et pour une agriculture qui semble incapable de changer de cap, ne faut-il pas rapidemment se poser la question des budgets qui y sont affectés. L’utilisation d’un peu moins de 50 % du budget européen doit-elle rester le tabou de ce bilan de santé. Ces questions devront être reposées rapidement sans quoi le contribuable et le consommateur payeront deux fois un même « service ».
La PAC est malade, il faut la réformer !
Sans souscrire sur le fond aux propositions Françaises, il faut reconnaître qu’elles ont le mérite de jeter un pavé dans la mare du consensus mou entourant la politique agricole européenne. Un consensus mou qui se traduit par un petit plus de libéralisme, une gouttelette d’équité et un peu de greenwashing pour relancer la PAC jusqu’en 2013 sans proposer les réformes dont elle a besoin.