Biodiversité : 6 visions contrastées pour une protection efficace

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La biodiversité est une notion jeune, née de la volonté scientifique de montrer qu’il ne s’agit pas de préserver telle ou telle espèce mais bien de répondre à une rupture globale de notre relation à la nature.

Une rupture objectivée par le taux de perte de biodiversité et la vitesse de son érosion, vitesse jamais atteinte depuis que l’homme existe, excepté peut-être sur l’Ile de Pâques… Une extinction des espèces donc qui dépasse les 6 extinctions de masse qui nous ont précédé dans l’histoire planétaire1.

Cette chute spectaculaire provient d’une exploitation démesurée des écosystèmes planétaires. L’évaluation des écosystèmes pour le millénaire estimait en 2005 que deux tiers de ceux-ci étaient exploités au-delà de leur capacité.

Si beaucoup de progrès ont été fait pour comprendre les causes de la dégradation de la biodiversité et rendre plus explicites les « bénéfices » que nos sociétés en retirent, cette notion très récente – à peine 25 ans – est par nature très complexe.

Elle souffre d’un manque d’appropriation par les citoyens alors même qu’elle fait l’objet d’une recherche intense et de développements scientifiques importants et qu’elle vient de faire l’objet de développements politiques considérables à Nagoya.

Après l’échec de l’objectif 2010 d’arrêter l’érosion de la biodiversité, l’Institut de prospective du Ministère du développement durable français offrent l’opportunité d’inverser ces tendances, du moins au sein des pays européens et pour autant que l’ampleur des changements climatiques ne renforcent pas la pression sur nos écosystèmes.

Cet institut a esquissé différents scenarii représentant quelques-unes des grandes visions contrastées qui pourront servir, demain, de références à l’action. L’apport de la démarche prospective est d’expliciter et mettre en débat les visions portées par les différents acteurs et d’ensuite, ré-articuler ces visions avec les évolutions anticipées en matière d’économie, d’aménagement du territoire, d’agriculture, d’énergie.

Enfin, elle vise à évaluer les opportunités et des marges de manoeuvre qui seront celles des politiques.

Les prospectivistes identifient 6 visions différentes de l’action future en matière de biodiversité. Ces visions se distinguent sur 2 axes. Leur approche à l’échelle du territoire d’une part et l’intégration sectorielle d’autre part.

Il en résulte les six visions suivantes, selon l’axe de l’intégration territoriale : l’arche de Noé (Conservation de la nature) ou la bio-économie (intégration sectorielle), les Hotspots ou la planète jardin et enfin, les aires protégées et le développement durable des territoires.

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L’arche de Noé

L’objectif est ici de garantir, sur une très longue période, la conservation du patrimoine génétique mondial. Certains envisagent également la conservation d’écosystèmes ex-situ dans des biomes2 du type biosphère 2.

Une vision qui peut paraître caricaturale et qui ne s’attaquera en rien aux causes de la perte de la biodiversité. Elle est aussi très centralisée et totalement désincarnée, et reste l’affaire de spécialistes internationaux.

La bio-économie

L’idée est ici de constituer progressivement une véritable économie de la biodiversité, intégrant tous les services écosystémiques et notamment ceux qui ne sont pas rémunérés aujourd’hui par le marché et qui nous sont fournis gratuitement par nos écosystèmes.

Pour développer ce marché, il faudrait à la fois redéfinir les droits de propriété et se donner les moyens d’internaliser les coûts environnementaux aux activités.

Ce mécanisme est déjà ébauché aux États-Unis où il est possible de détruire une zone humide si cette destruction est compensée par le rachat de crédits environnementaux dans une banque spécialisée chargée de compenser cette dégradation.

Cette vision est actuellement développée au sein des Nations-Unies à travers la convention sur la diversité biologique. Les tenants de cette vision assurent qu’elle aboutirait à une gestion efficace de la biodiversité.

Cette approche, outre la complexité des outils à mettre en oeuvre, ne permet pas d’articuler dans le temps et l’espace des objectifs aussi contradictoires que la conservation et l’exploitation des services fournis par nos écosystèmes.

Elle est également particulièrement technocratique tant dans la manière de valoriser la biodiversité que dans la gestion par un marché. Une telle orientation éloignerait plus encore le citoyen d’une notion déjà difficile à appréhender.

Les Hotspots

Quelques régions du monde abritent une biodiversité exceptionnelle caractérisée à la fois par le nombre d’espèces et par la présence importante d’espèces endémiques.

En ajoutant à ces régions les grandes zones sauvages très riches représentatives des principales écorégions (Amazonie, bassin du Congo…), ce seraient près de deux tiers des espèces de plantes et la moitié des vertébrés qui pourraient être protégés.

Dans une perspective de rentabilité, cette approche permet de limiter l’investissement en matière de protection en le concentrant dans les territoires naturel les plus riches. Elle nécessite cependant l’adhésion des populations locales et des systèmes équitables de compensation et de partage des coûts.

Cette vision est relativement similaire à celle de l’arche de Noé, si ce n’est qu’elle vise une conservation in situ. Elle conduit également à une démobilisation en dehors des zones concernées et dualise les territoires à l’échelle de la planète.

La planète jardin

Cette vision ferait passer l’humain de prédateur, consommateur de biodiversité à celui de jardinier, voire infirmier de la nature.

Cette vision est imprégnée du développement récent du « biomimétisme » et a recours à l’ingénierie et au design des systèmes écologiques, au génie génétique, écologique et aux technologies vertes. Le courant est celui de l’urbanisme végétal ou encore celui de l’écologie industrielle.

Cette vision s’inscrit à une échelle planétaire mais a le souci d’optimiser au sein des territoires les relations entre les activités humaines et la nature.

Cette vision est développée partiellement aux Pays-Bas où la protection de la biodiversité est orientée vers l’avenir allant de la régulation des inondations, à la potabilisation de l’eau jusqu’à son intégration dans l’architecture.

Une telle approche implique cependant des investissements importants et sophistiqués, peu transposables aux pays pauvres. Cette vision est aussi celle d’une artificialisation progressive de la nature.

Le réseau d’aires protégées

Cette vision est celle héritée des politiques de conservation lancées dans les années ’70, mais complétées par les notions de réseau et d’infrastructures écologiques.

Cette vision implique la protection, pays par pays, des espaces de grand intérêt biologique et l’organisation de leur mise en réseau. Á l’opposé de la vision de la planète jardin, il s’agit plus d’une sanctuarisation de la Nature.

Cette vision conduit également à une dualisation voire une spécialisation des territoires. Une telle approche ne permet pas de mobiliser les gestionnaires « économiques » autour des enjeux de la biodiversité puisque sa protection est exclue de leur activité.

L’approche territoriale à l’échelle des régions apporte cependant une plus grande proximité à la nature pour les citoyens.

Le développement durable des territoires

Cette dernière vision inscrit la gestion de la biodiversité dans une perspective qui est celle du développement durable territorial et d’une valorisation intelligente du capital naturel.

De nombreux éléments évoqués précédemment peuvent y être intégrés mais à deux conditions : l’échelle doit rester celle du territoire et les actions sont adaptées à la spécificité de chaque territoire, sans exclusivité.

Cette approche conduit à aborder la biodiversité dans toutes ses dimensions – écologique, économique, sociale et culturelle – sans privilégier l’une ou l’autre et met en permanence l’accent sur son intégration en amont dans les politiques sectorielles allant jusqu’à la qualité de vie des habitants et la réduction des inégalités écologiques.

L’approche territoriale accorde également une place centrale aux questions d’appropriation de la nature et d’accès à celle-ci. Elle s’organise par la voie participative, faisant de la biodiversité un problème d’intérêt commun et pas seulement de spécialistes.

Il en résulte un réel ancrage dans les pratiques et les décisions de toutes les parties prenantes. Le plus gros inconvénient est d’en faire une préoccupation dépendante des aspirations et des priorités de chaque territoire.

Ces six visions, même si elles paraissent plutôt caricaturales, ont l’intérêt de montrer qu’il existe des perceptions très différentes de ce qu’il faudrait mettre en oeuvre pour protéger la biodiversité. Elles se caractérisent par leur cohérence interne et sont souvent portées par des acteurs bien spécifiques.

La prospective peut être un support très utile pour favoriser une mise en débat et donc expliciter les choix mais aussi pour aider à évaluer, vision par vision, les forces et les faiblesses mais aussi les impacts prévisibles des différentes stratégies envisageables.

Ces visions ne sont pas exclusives mais elles ne peuvent non plus coexister facilement. Ainsi la Flandre a opté pour la mise en oeuvre d’un réseau écologique, renforçant ses aires protégées au détriment de surfaces agricoles et forestières importantes.

En contrepartie, le monde politique et environnemental ne revendique plus l’intégration de la biodiversité en agriculture… De même, la mise en oeuvre tardive du projet Natura 2000 et la difficulté de gestion de ce dossier résultent principalement de l’affrontement de deux visions différentes : la vision initiale s’inscrivait dans la logique du « réseau d’aires protégées » tandis que le Forum Natura 2000 l’a réorientée vers une vision de type « développement durable des territoires ».

Ces visions si différentes auraient gagné à être évaluées en amont même du processus. C’est précisément ce que l’institut de prospective du Ministère du développement durable réalise en amont de la mise en oeuvre des nouveaux objectifs de protection de la biodiversité adoptés à Nagoya.

Extrait de nIEWs 90, (17 au 31 mars 2011),

la Lettre d’information de la Fédération.

Découvrez les autres articles en cliquant ici.

  1. http://fr.wikipedia.org/wiki/Extinction_des_espèces
  2. http://www.techno-science.net/?onglet=glossaire&definition=1065

Lionel Delvaux

Anciennement: Nature & Ruralité