La place de la biodiversité dans cette Déclaration de politique régionale (DPR) wallonne marque une réelle inflexion par rapport à l’ambition des précédents gouvernements. Certaines mesures sont très concrètes, d’autres encore un peu floues mais l’adoption d’une stratégie « Biodiversité 360° » laisse entendre que le Gouvernement s’appropriera cet enjeu à la hauteur qu’il mérite.
Une stratégie « Biodiversité 360° »
Les mots sont importants : « le Gouvernement wallon mettra en œuvre une stratégie « biodiversité 360° » pour la Wallonie, en s’appuyant notamment sur les résultats des Ateliers de la biodiversité. Cette stratégie fixera des objectifs ambitieux pour la législature et plus globalement pour la décennie 2020-2030. » L’adoption d’une véritable stratégie était attendue depuis 1992 ! Elle devrait donc être transversale et à l’origine de nouvelles impulsions en faveur de la biodiversité. Et surtout elle devrait engager les prochains gouvernements plutôt que d’être régulièrement classée verticalement comme ce fut le cas par le passé.
Des engagements concrets
Pour illustrer sa volonté, le Gouvernement s’engage à créer 1.000 hectares de réserves naturelles chaque année, un objectif ambitieux qui permettra d’augmenter de 30 % en 5 ans la surface de ces « hot spots » de biodiversité. En termes de protection de sites, le tempo, toute proportion gardée, se rapproche de celui de la Flandre ou des Pays-bas sans pour autant rattraper le retard pris depuis des dizaines d’années par notre Région en termes de protection des zones cœur de biodiversité. L’un des enjeux sera évidemment de consacrer une part importante des moyens dévolus à cette politique aux milieux les plus menacés par les activités humaines (sites agricoles sans aucun statut de protection notamment).
Autre mesure très concrète : les déjà célèbres 4.000 km de haies et/ou un million d’arbres en milieu ouvert sur la législature, avec les moyens associés. Cette mesure a suscité beaucoup d’intérêts et quelques sarcasmes… mais elle aura servi d’exemple. A titre de comparaison, le tout nouveau Gouvernement flamand s’est engagé à planter 4.000 hectares de forêt… Certes, cela représente à peine quelques pourcents du réseau de haies des années 50 (200.000 km) tout en étant très significatif au regard de la situation actuelle (13.000 km sous mesure agri-environnementale). Avec des efforts concentrés dans certaines zones plus sensibles, cette ambition affichée du Gouvernement peut faire la différence pour améliorer l’état de conservation des habitats de certaines espèces au sein du réseau de sites Natura 2000 et pour assurer, en dehors des sites, la cohérence écologique de ce réseau. Par ailleurs, développée à une échelle territoriale cohérente en zone de culture, la création d’un maillage dense de haies voire d’alignements d’arbres s’avère bénéfique tant pour la biodiversité que pour l’agriculture. L’enjeu principal de cette mesure sera de mobiliser les acteurs et surtout les agriculteurs / propriétaires autour de projets qui puissent faire sens (bénéfices en termes de production, gestion commune, valorisation de la biomasse, …).
Une volonté de créer un réseau écologique wallon au-delà de Natura 2000
La Flandre développe son réseau écologique depuis 2002, un réseau qui s’étend bien au-delà des périmètres de Natura 2000. La France, suite au grenelle de l’environnement en 2009, dispose d’un cadre législatif pour l’élaboration des trames vertes et bleues, cadre matérialisé aux différentes échelles territoriales, avec des résultats variables. La Wallonie a adopté, en 2019 dans le cadre du schéma de développement territorial, les « liaisons écologiques1 » qui constituent les éléments majeurs du réseau écologique. Elles ont été établies en tenant compte de deux critères : leur valeur biologique et la continuité d’un maillage écologique cohérent à l’échelle du territoire régional. La mise en œuvre opérationnelle des liaisons écologiques est encore très floue.
La DPR prévoit l’instauration « d’un cadre juridique au réseau écologique wallon (trame verte et bleue) et de procéder à l’identification, la préservation et la restauration de ce réseau écologique et des écosystèmes ainsi qu’au déploiement de la nature en ville. » En outre, la DPR prévoit l’intégration des zones candidates Natura 2000 dans ce réseau écologique moyennant actualisation et validation de la pertinence des zones visées. Il s’agit d’objectifs vraiment ambitieux dont l’effectivité dépendra de son étendue, des moyens déployés pour le matérialiser et de sa valeur juridique. Fort heureusement, plusieurs études en cours de réalisation apporteront leur éclairage à ce projet : un cadre méthodologique pour l’identification scientifique du réseau écologique et pour son opérationnalisation, un cadre de réflexion sur sa valeur juridique et une évaluation de la mise en œuvre de Natura 2000.
Et quelques mesures en vrac
Selon la DPR, la biodiversité agricole, en particulier dans les plaines cultivées, devrait constituer un axe phare du prochain programme wallon de développement rural. Cette ambition n’acte cependant pas d’arbitrage clair sur les moyens affectés. Or, les budgets européens seront réduits, avec des conséquences quasi mécaniques sur les moyens affectés aux enjeux environnementaux. Dans ce contexte, il faudra clairement être imaginatif pour créer l’impulsion nécessaire dans la prochaine PAC pour enrayer le déclin de la biodiversité dans les plaines agricoles.
Le Gouvernement prévoit également une révision de la structure et de la composition du pôle ruralité. Un enjeu essentiel pour que le Gouvernement puisse être éclairé, non pas par la voix des sections majoritaires dans le pôle (chasse notamment), mais bien par la voix médiane et commune des acteurs de la ruralité.
En lien avec sa stratégie, le Gouvernement entend renforcer le rôle du DEMNA (Département de l’Étude du milieu naturel et agricole) et assurer son indépendance scientifique. Une très bonne nouvelle !
Les forêts et la chasse
Sur les forêts, la DPR n’apporte pas formellement de réelle inflexion. Au menu, l’adaptation des forêts à la crise climatique et l’élaboration du plan forestier régional, un engagement européen qui permettra à la Wallonie d’avoir une stratégie claire pour leur gestion durable. Néanmoins, la crise climatique qui frappe de plein fouet la forêt wallonne devrait ouvrir le champ d’une réforme en profondeur de la gestion forestière.
Le chapitre sur la chasse nous laisse sur notre faim. La révision indispensable de la Loi qui lui est relative n’est pas programmée… Néanmoins les restrictions prévues du nourrissage artificiel, dans des termes relativement flous, et les objectifs “ambitieux” de réduction des densités de sangliers laissent entendre que ce Gouvernement a bien l’intention de gérer ce fléau. L’on regrettera l’absence de référence aux surdensités de cervidés alors même que, conjuguées aux surdensités de sangliers, elles sont responsables des problèmes de régénération naturelle de plus de 40 % des forêts wallonnes.
Même s’il y a une réelle inflexion en termes d’ambition au regard de la DPR, la crise de la biodiversité semble peu perçue par le Gouvernement comme un enjeu majeur auquel notre société est confrontée.
1 Cinq types de liaisons écologiques sont ainsi identifiés à l’échelle régionale afin de mettre en réseau les milieux naturels caractéristiques de grande valeur biologique : les massifs forestiers feuillus, les pelouses calcaires et les milieux associés, les crêtes ardennaises, les hautes vallées ardennaises et les plaines alluviales typiques des larges vallées du réseau hydrographique.