La biodiversité et les écosystèmes naturels nous rendent un nombre incalculable de services : le cycle de l’eau qui nous garantit pluie et eau potable, la photosynthèse et la production d’oxygène, la pollinisation et la production alimentaire, la production de bois, de sable, comme source d’énergie et matériaux de construction, mais aussi des services culturels et esthétiques. La biodiversité permet une meilleure résilience aux événements climatiques extrêmes (présence de végétation lors d’une canicule, ou d’inondations) et elle permet également de filtrer et épurer les eaux, les sols ou l’air. Il est également prouvé que l’accès aux espaces verts améliore la santé mentale.
Cependant, on reproche parfois à ces écosystèmes naturels d’être porteurs et vecteurs de maladies, et l’on souhaite alors – logiquement- s’en protéger. On pense aux maladies transmises par les tiques (maladie de Lyme), par les moustiques (la malaria, la dengue…) ou par les morsures animales (la rage). Au regard d’une logique hygiéniste, une zone riche en biodiversité est potentiellement riche en pathogènes.
De plus, les dérèglements climatiques, en modifiant les températures, les périodes de pollinisation ou l’hygrométrie de régions (manque de pluie ou inondation), vont également modifier la biodiversité présente dans une région, pouvant alors augmenter la proportion de pathogènes ou d’insectes « nuisibles”. La mondialisation, avec le développement du transport international de marchandises et de personnes, par avion et par bateau, contribue également à l’introduction d’espèces exotiques, dont certaines sont porteuses de pathogènes. Que penser dès lors de ces liens entre espaces naturels riches en biodiversité et risque pour la santé ?
Nous organisons, précisément pour y voir plus clair, une matinée de réflexion sur le sujet le samedi 11 mars 2023 de 9h30 à 13h (suivie d’un lunch de networking). Le programme complet et les inscriptions se trouvent ici. On y parlera de maladies à tique, de l’évolution des chenilles urticantes ou encore de la saisonnalité des pollens en Belgique en lien avec le dérèglement climatique.
La suite de cet article est inspirée d’une conférence donnée par Hélène Soubelet, directrice générale de la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité, lors du congrès annuel de la Société Francophone de Santé et d’Environnement en novembre 2022.
Emergence infectieuse et effondrement de la biodiversité
Dans cet article, nous allons faire un focus sur les zoonoses. Ce sont les maladies infectieuses qui passent d’un animal à un homme. Par exemple : la malaria, la rage ou la maladie de lyme. 60% des maladies infectieuses humaines sont des zoonoses.
Selon ce rapport de l’OMS2 et tous les animaux ne sont pas hôtes de ces maladies transmissibles à l’homme. Par exemple, tous les moustiques ne piquent pas les humains (seulement 300 piquent sur plus de 3500 espèces au total), et parmi ceux qui nous piquent, peu peuvent transmettre la malaria (seulement 60 à 70 espèces).
Lorsqu’un écosystème se dégrade, on constate que les espèces qui survivent le mieux, sont malheureusement des espèces porteuses de pathogènes partagés avec l’homme. Aussi, contrairement à ce que l’on croit, lorsque l’on habite dans un territoire à forte pression humaine et donc moins riche en biodiversité, on est plus susceptible de contracter une maladie transmise par les animaux. Par exemple, les régions à forte intensité agricoles sont plus susceptibles d’être le berceau d’épidémies telles que la dengue ou le Zika, que les zones protégées comme des forêts. En Afrique on observe une grande différence dans le risque de piqûre que l’on soit dans une rizière (zone déforestée) avec en moyenne 8,33 piqûres par rapport aux forêts avec seulement 0,33 piqûres en moyenne sur une soirée3. La déforestation de la forêt amazonienne entraine donc directement une augmentation de la transmission de la malaria.
Déforestation et santé : même combat
La déforestation est un facteur majeur de développement de zoonoses de plusieurs façons.
Tout d’abord, la déforestation provoque une exposition renforcée des villageois avec des milieux humides où les potentiels pathogènes prospèrent. En diminuant la végétation, les populations peuvent se rendre dans des zones qui étaient auparavant inaccessibles.
Ensuite, en ouvrant les milieux, les phénomènes de ruissellement et d’inondation sont favorisés. Les pathogènes peuvent alors être entrainés par les pluies et les coulées de boue et se propager dans les villages alentours, là où ils auraient été naturellement contenus dans une mare ou un bassin.
Aussi, dans les zones déforestées, il y a moins de possibilités de régulation du pathogène par la biodiversité déjà présente. Par exemple, à cause de la déforestation, on observe une diminution des populations d’amphibiens par altération de leur milieu de vie, qui sont eux- mêmes prédateurs de moustiques. La déforestation entraine donc une augmentation de la présence des moustiques.
Pour continuer avec l’exemple des moustiques, la déforestation rend globalement les conditions plus favorables à l’installation de ces insectes : il y fait plus chaud, ce qui raccourcit le cycle de reproduction, il y a moins de prédateurs, les sols des forêts sont moins acides et plus favorables, et les ornières fabriquent les abris parfaits pour leur reproduction.
Ces moustiques ont donc une grande capacité de se développer dans des milieux dégradés et fortement anthropisés. Et comme nous l’avons vu plus haut, par un phénomène involontaire, ce sont en priorité les moustiques piquant les hommes et partageant les pathogènes qui vont s’installer dans ces milieux.
Le risque d’émergence d’une zoonose est la résultante de ces éléments. Il sera maximal dans les régions accueillant des populations densément peuplées, pauvres, ayant peu d’accès aux soins, dans des zones où la biodiversité est riche (et abrite potentiellement de nombreux pathogènes) et qui subit une forte pression anthropique (agriculture, déforestation…). Autrement dit, une biodiversité riche sur un territoire non altéré ne pose pas de problèmes majeurs ; cependant une altération des paysages dans ces mêmes zones peut mener à de grands problèmes de santé publique.
Qui déforeste le plus ?
Comme on peut le voir dans le schéma ci-dessous, le Canada, le Brésil et la Suède déforestent beaucoup (compté en m2 de déforestation par habitant) sur leurs territoires. Alors que la France par exemple, déforeste peu sur son territoire mais a une grande empreinte de déforestation à l’étranger, appelée déforestation importée (en rouge).
Le WWF a publié un rapport en 2019, intitulé « Déforestation importée, arrêtons de scier la branche » reprenant les produits importés en Belgique dont la production entraîne de la déforestation. Au total, nous importons des produits qui ont nécessité 10,4 millions d’hectares de déforestation… Néanmoins, sur ces 10,4 millions d’hectares, ce ne sont que 3,8 millions d’hectares qui sont destinés à la consommation en Belgique (l’équivalent de la surface belge). Une grande partie de ces produits sont finalement ré-exportés sous forme brute ou transformée. Les pays d’origines de ces importations présentent différents risques environnementaux ou sociaux. Au Brésil, en Côte d’Ivoire ou en Argentine, les destructions de forêts au profit de l’agriculture intensive associée à de l’accaparement des terres et de la corruption sont largement documentés. C’est pourquoi, il y a 40% des surfaces ci-dessous qui sont associés à de la déforestation « à risque ». Les produits les plus concernés sont le soja, le cacao et l’huile de palme.
Nous pouvons donc être acteur·rice·s et responsables en tant que citoyen·ne·s de cette déforestation importée en limitant l’achat de ces produits.
Médecine vétérinaire et santé publique : quels liens ?
Depuis plusieurs années, à travers le monde, des scientifiques tirent la sonnette d’alarme sur l’utilisation de diclofénac (un anti inflammatoire) chez les animaux et particulièrement les bovins.
En quoi cela a-t-il un lien avec la santé humaine ?
En Inde, dans les années 1990, le diclofénac a été introduit comme médicament vétérinaire pour des troupeaux de bovins pour des maux variés. Ce médicament est hautement toxique à faible dose pour les vautours qui s’occupaient gratuitement d’un service d’équarrissage complet en quelques jours seulement. Entre 1990 et 2010, 97% des populations de vautours ont disparu en Inde. Ce n’est qu’en 2003 que la toxicité du diclofénac a été mise en évidence. Une des espèces de vautours est passé en 20 ans du rapace le plus commun à une espèce en danger critique d’extinction.
Mais ce n’est pas tout, les carcasses de bétail n’étant plus rapidement éliminées, ce sont les chiens et les rats qui se sont mis à table, de façon beaucoup moins efficace, entrainant des proliférations de bactéries, des contaminations des eaux potables et une augmentation des cas de rages et de pestes chez les chiens, qui attaquaient à leur tour les humains et surtout les enfants. Aujourd’hui en Inde, une personne est mordue toutes les deux secondes, et une meurt de la rage toutes les 30 minutes. L’Inde rassemble la moitié de tous les cas mondiaux de rage. Ce pays a dû mettre en place un système de vaccination à large échelle pour la population, ainsi qu’un système d’équarrissage, avec un coût estimé de 50 milliards de dollars par an. La réintroduction des vautours a été laborieuse à cause de l’utilisation résiduelle de diclofénac malgré son interdiction…
Ces interactions entre médecine vétérinaire et santé humaine nous rappellent le concept de One Health, Une Santé. Les santés humaine, animale et de l’environnement sont étroitement liées.
Conclusion
La biodiversité et la santé sont donc étroitement liées. Un écosystème altéré peut induire des problèmes de santé chez les humains. C’est largement décrit dans la littérature. De quelle façon une altération va-t-elle impacter la santé publique ? C’est une question difficile à appréhender car cela dépend fortement des conditions locales et des interactions existantes. Ces interactions sont impossibles à généraliser d’un écosystème à l’autre. De plus la biodiversité reste encore en grande partie inconnue. Le nombre d’espèces vivantes sur terre n’est pas tout à fait établi. Il serait estimé à une fourchette entre 8 millions et plusieurs milliards ! Et même parmi les 8 millions, on ne connait aujourd’hui que 2 millions d’espèces. En connaissant 20% du système, l’impact d’une action est difficile à évaluer. C’est pourquoi, le principe de précaution, et de préservation doit primer. On sait qu’un écosystème riche et préservé favorise une bonne santé. Toutes les actions perturbantes doivent être soigneusement pondérées afin de maintenir ces fragiles écosystèmes en place.
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- Nature, biodiversity and health: an overview of interconnections [Internet] [cité 16 févr 2023]. Disponible sur: https://www.who.int/europe/publications/i/item/9789289055581[/efn_note], 75% de l’environnement terrestre et 66% de l’environnement marin ont été « significativement altérés » par les actions humaines. Ces modifications environnementales changent la biodiversité. Environ un million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction lors de la prochaine décennie.
Des scientifiques (Morand, 2017) ont décrit une corrélation (et non une causalité) entre le nombre de maladies infectieuses et le nombre d’espèces de mammifères et d’oiseaux en danger ainsi que le nombre de langues humaines en danger d’extinction. Cette corrélation vient sous-entendre que la biodiversité en danger, tout comme les diversités culturelles, peuvent favoriser l’émergences de maladies. Est-ce vrai ?
Fait évident : au plus un territoire est anthropisé, avec des grandes pressions humaines comme l’agriculture ou l’urbanisation, au moins il a de diversité dans les espèces animales qui y vivent.
Ce qui est plus curieux en revanche, c’est que la disparition des espèces animales n’est pas uniforme. Les zoonoses sont transmises par des animaux hôtes1qui peuvent être porteurs sains (sans être aux même malades comme la borréliose de Lyme) ou des porteurs malade comme un chien enragé.
- Lainhart W, Bickersmith SA, Nadler KJ, Moreno M, Saavedra MP, Chu VM, et al. Evidence for temporal population replacement and the signature of ecological adaptation in a major Neotropical malaria vector in Amazonian Peru. Malar J. 29 sept 2015;14(1):375.