Biodiversité : la compensation sur la sellette

L’adoption de mesures de compensation en faveur de la biodiversité est avant tout un mécanisme politique qui permet d’équilibrer d’une part de développement et d’autre part des objectifs de conservation de la biodiversité. Les compensations envisagées ont en général pour objectif de restaurer des habitats naturels pour « recréer » la biodiversité dont l’autorité publique a, par ailleurs, permis la destruction en faisant l’hypothèse que la restauration de cet habitat serait rapide et prévisible. La mise en place de ces dispositifs de compensation est encore très complexe. Une étude récente interroge cependant ces mécanismes et va même jusqu’à les mettre en cause.

Différentes recherches ont remis en question ces hypothèses en démontrant, dans les cas étudiés, que la restauration impliquait des délais nettement plus longs avec un taux de succès plutôt faible. Pour en avoir le cœur net, des chercheurs viennent de réaliser une méta-analyse afin d’évaluer la robustesse des preuves empiriques qui ont justifié les politiques de compensation. Cette méta-analyse est basée sur les données de 108 études relatives à des « habitats secondaires », soit des habitats restaurés après une très forte perturbation (incendie, agriculture,…) et des « habitats naturels » (forêts anciennes non plantées,…). Certains sites étudiés ont fait l’objet d’une compensation mais la plupart se sont rétablis naturellement après une perturbation (incendie ou reprise de la gestion « traditionnelle » après son abandon). Les chercheurs ont veillé à ce que l’on soit bien revenu à une situation comparable celle qui préexistait à la compensation et qu’il soit possible de déduire les effets en terme de développement écologique. Au total, ces études couvrent 1228 sites d’habitats secondaires et 716 sites de d’habitats anciens. Trois de ces études portent sur des sites européens, la majorité concernant l’Amérique centrale et du Sud et l’Asie du Sud-Est.

Les scientifiques se sont basés sur des indicateurs de biodiversité classiques afin d’évaluer la qualité biologique des sites étudiés. Ils ont modélisé le changement de la biodiversité avec l’âge de l’habitat et vérifié si la diversité de l’habitat passivement et activement restauré convergeait au fil du temps vers la diversité des habitats anciens, si la restauration active accélère le processus de restauration et si les politiques de compensation étudiées sont appropriés à l’imprévisibilité (inhérente à la nature) et aux délais de la restauration des habitats.

Dans le meilleur des cas, les résultats indiquent que la richesse en espèces converge vers les valeurs de référence des habitats naturels au terme d’un siècle, que le développement de l’ensemble des espèces spécifiques à ce milieu prend environ deux fois plus de temps, et qu’un florilège équivalent d’espèces similaires nécessitait plus ou moins un millier d’années.

Les mesures de restauration active accélèrent considérablement le processus pour tous les indices, mais les décalages temporels importants propres à la nature ainsi que l’incertitude et le risque d’échec de la restauration exigent des ratios entre habitats détruits et habitats restaurés qui dépassent de beaucoup ce qui est actuellement appliqué dans la pratique.

Actuellement, les ratios moyens imposés dans le cadre de compensation sont de 10:1, mais cette étude montre que des ratios de 20:1 voire de 100:1 seraient plus réalistes.

Dans ce contexte, la compensation ne devrait être utilisée qu’en dernier recours et dans des cas exceptionnels après avoir appliqué strictement la séquence éviter, réduire et compenser. Les mécanismes de compensation mènent donc à une perte nette de biodiversité et représentent une utilisation inappropriée de l’outil autrement plus précieux qu’est la restauration des écosystèmes.

Source : Curran, M., Hellweg, S. Beck, J. (2014). Is there any empirical support for biodiversity offset policy? Ecological Applications. 24(4): 617-632. DOI:10.1890/13-0243.1.

Lionel Delvaux

Anciennement: Nature & Ruralité