Parent pauvre parmi les énergies renouvelables ? Bientôt à l’origine d’une ruée vers « l’or vert » en Wallonie ? La biométhanisation, encore assez discrète dans le paysage énergétique wallon actuel, pourrait bien se développer davantage dans les années à venir. Limites et perspectives…
La biométhanisation est un processus biologique de fermentation de matières organiques, en l’absence d’oxygène et de lumière. Cette transformation des matières sous l’action de bactéries, et sous température contrôlée, produit du biogaz et un résidu, le digestat. Le biogaz est principalement composé de méthane (entre 50 et 75% selon les substrats) et d’autres gaz (CO2, H2O, N2, H2S). Le biogaz est un vecteur énergétique très intéressant puisqu’il peut être utilisé pour produire de la chaleur et/ou de l’électricité (cogénération). Il peut également être valorisé sous forme de carburant ou directement injecté dans le réseau de gaz à condition d’atteindre un niveau d’épuration élevé.
Le digestat a quant à lui la particularité de contenir l’azote de substrat mais sous une forme minérale (NH4+) et non plus organique. Il contient également encore une grande partie du carbone non digéré par les micro-organismes. Le digestat conserve donc une charge structurante pour la formation d’humus dans le sol. Ce résidu à valeur d’engrais est par ailleurs débarrassé des mauvaises odeurs et contient moins d’agents pathogènes que les effluents bruts.
Quant aux matières entrantes, elles peuvent être de natures diverses : fractions fermentescible des ordures ménagères (FFOM), tontes et déchets de jardins (non ligneux), résidus de culture, effluents d’élevage, sous-produits des agro-industries…Si tous ces substrats sont méthanisables, tous n’ont pas le même potentiel méthanogène. Il s’agit donc de trouver un équilibre pour le bon fonctionnement du digesteur et un rendement en méthane optimal (les graisses ont un bon potentiel méthanogène comparativement aux effluents d’élevage mais ceux-ci ont un pouvoir tampon et contiennent les bactéries nécessaires à la fermentation).
On le voit la biométhanisation offre plus d’un avantage : production d’énergie renouvelable et souplesse de ce vecteur énergétique, production d’un engrais de valeur agronomique, valorisation de biodéchets…De plus, comparativement à une situation où les effluents sont simplement entreposés, la valorisation du méthane contribue à réduire les gaz à effet de serre pour peu que celle-ci s’inscrive dans un cycle du carbone fermé.
La biométhanisation ne repose pas sur un procédé inédit et ne dépend pas de technologies encore peu matures. Dès lors, on peut s’interroger sur le faible développement de cette technologie en Wallonie.
En effet, comparativement à d’autres pays européens, la biométhanisation a peine à décoller en Wallonie. Si la première unité de biométhanisation agricole à vu le jour dans les cantons de l’Est en 1999, à ce jour, il existe chez nous :
4 unités industrielles
1 unité de traitement de la FFOM à Tenneville
8 unités en exploitations agricoles
Du point de vue énergétique, cela représente une puissance installée de plus de 12MWé. pour une production annuelle de 128 000 MWh électrique (~ 3600 ménages) et 160 000 MW thermique (~ 5000 ménages). Une dizaine de projets seraient à différents stades de concrétisation. A cette production, il faut aussi ajouter la récupération de biogaz issu des décharges (CET) et des boues de station d’épuration (STEP).
Bien tout cela, mais on peut certainement mieux faire quand on voit comment la filière s’est développée chez nos voisins.
La Flandre s’est dotée d’un cadre établissant un contexte législatif et financier plus favorable à cette filière, notamment par l’instauration d’un mécanisme de soutien à la chaleur verte et d’un prix minimum garanti des certificats verts de 90¤ (contre 65¤ en Wallonie). Fin 2010, la Flandre comptait 36 unités de biométhanisation pour une puissance installée de 61,7 MW[[Source : Biogas-E vzw, Anaerobe vergisting in Vlaanderen, rapport 2010]].
Le Royaume-Uni et l’Italie ont aussi misé sur la biométhanisation pour remplir leurs objectifs en matière d’énergie renouvelable mais ces deux pays ont développé des stratégies différentes. Le Royaume-Uni (2ème producteur européen) tire profit de la valorisation énergétique du gaz de décharge tandis que l’Italie (4ème producteur européen) mise sur le biogaz agricole grâce à un cadre incitatif et à un tarif de rachat préférentiel de l’électricité produite par des petites unités agricoles (< 1MW). Quant à l’Allemagne, champion toutes catégories, elle comporte près de 6000 unités, pour le ¾ agricoles. Cette situation est due à une série d’incitants (tarif d’achat de l’électricité, bonus si utilisation de plantes énergétiques, si cogénération, etc.). Mais cette formidable volonté de développer cette filière n’est pas sans conséquence sur le « paysage » agricole allemand. La plupart des ces unités utilisant des plantes énergétiques, principalement du maïs, c’est jusqu’à 1,8 millions d’ha qui sont voués à ces cultures énergétiques soit + de 10% de la SAU[[Fachagentur Nachwachsende Rohstoffe e.V. (FNR), 2010]]. Comme c’est le cas pour la production d’agrocarburants, ce sont des surfaces qui sont détournées de leur vocation première avec des conséquences pour l’environnement local (cultures très gourmandes en intrants et potentiellement dommageables pour le sol) et mondial (changement d’allocation des sols pour importer vers l’Allemagne ce qu’elle ne peut (veut) produire). Les raisons du faible développement chez nous de la biométhanisation sont multiples. Premièrement, le cadre législatif et réglementaire ne facilite aucunement ce développement. La concrétisation d’un projet ressemble parfois à un vrai chemin de croix durant parfois de 2 à 5 ans. Il n’existe pas, comme c’est le cas dans certains pays, de liste positive des matières qui pourraient être valorisées par la biométhanisation. D’autre part, le digestat a un statut assez flou et est actuellement reconnu comme « déchet » organique (alors que la majorité de l’azote est minéralisé), il relève donc de la Directive Nitrate. Le digestat n’est pas considéré comme un « produit » et ne peut être commercialisé. Autre frein et non des moindres, la hauteur des investissements est très élevée, de 1 à 10 millions ¤, avec un temps de retour qui peut avoisiner les 10 ans. Actuellement, les porteurs de projet peuvent faire appel à l’un ou l’autre subside selon la nature du projet (agricole ou autre) et selon la capacité installée. Mais ces aides sont actuellement jugées insuffisantes. Si les rentrées générées par les certificats verts contribuent grandement à la rentabilité des projets, les organismes de financement basent leur calcul de rentabilité sur le prix garanti du certificat vert (65 ¤) et non le prix réel du marché (autour de 82¤/CV[[Source CWaPE : Prix au 3ème trimestre 2011]]), ce qui peut faire une sacrée différence. Beaucoup d’incertitudes financières qui ne rassurent pas les investisseurs mais aussi beaucoup de risques au niveau de la régularité de l’approvisionnement des matières entrantes et de leur prix. Autre incertitude pour la rentabilité du projet : parvenir à valoriser l’énergie, et principalement la chaleur, de façon constante et maximale tout au long de l’année. Les consommateurs devant se situer à proximité de l’installation. Enfin, l’organisation d’une véritable filière biogaz nécessite le rapprochement et la coordination entre différents acteurs qui ne défendent pas toujours les mêmes intérêts.
Des perspectives en Wallonie…
La Wallonie élabore son plan d’action énergies renouvelables dont certains axes ont connu un accouchement difficile comme le nouveau cadre de référence éolien. La géothermie profonde en est encore à ses balbutiements mais des projets de recherches et projets pilotes ont démarré en 2011. Autre carte maîtresse de ce plan d’action, le volet biomasse dont fait partie la biométhanisation. Le potentiel énergétique de la valorisation de la biomasse par biométhanisation a été évalué chez nous par ValBiom[[Association pour la Valorisation de la Biomasse]] dans le cadre d’une étude commandée par le Ministre Nollet. Ce potentiel s’élèverait selon cette étude à 3 TWh d’énergie primaire selon les voies de valorisation du biogaz. EDORA, la fédération des producteurs d’énergie renouvelable, considère un potentiel plus élevé, de plus de 8 TWh (estimation prudente). Une différence justifiée notamment par un recours plus important aux cultures intercalaires et intermédiaires, aux plantes énergétiques et une valorisation de l’herbe d’une part non négligeable des prairies permanentes.
Il faut aussi signaler qu’EDORA chapeaute une initiative intéressante destinée à dynamiser cette filière et à l’accompagner pour faciliter son développement. Sous son égide, une plateforme biogaz a été constituée regroupant des acteurs des secteurs agricole, industriel et des développeurs. Cette initiative a permis la rédaction d’un Livre Vert de la Biométhanisation[[EDORA- Livre vert sur la production de biogaz et de fertilisants verts en Wallonie, Octobre 2011]] qui fait état des difficultés structurelles de la filière et propose des recommandations pour un cadre politique et administratif qui diminuerait les freins actuels.
Certaines propositions sont intéressantes comme la mise en place d’un cadre législatif et administratif visant à alléger les procédures souvent très lourdes et démultipliées tant les compétences des instances sollicitées sont éclatées. Un cadre qui facilitera et assurera également la traçabilité des intrants comme celle du digestat. Ou encore un cadre de soutien à la production de chaleur renouvelable et à l’épuration du biogaz pour son utilisation directe en réseau. Le Livre Vert plaide également pour une meilleure coordination avec les autorités locales afin qu’elles soient associées bien en amont du projet.
D’autre part, les environnementalistes que nous sommes peuvent émettre des réserves voire des craintes quant à un recours à des plantes dites énergétiques et à la conversion de prairies permanentes. Nous ne referons pas ici tout le procès des agrocarburants mais l’utilisation de surfaces agricoles pour la production non alimentaire a des effets pervers répercutés mondialement. De plus, certaines plantes dites « énergétiques » comme le maïs, sont particulièrement gourmandes en intrants et ces monocultures appauvrissent la biodiversité.
D’autre part, les prairies permanentes ont des fonctions biologiques et environnementales qu’il serait dangereux de sacrifier sur l’autel de la déesse énergie. Il est parfois simpliste de considérer des terres non cultivées ou inutilisées comme n’ayant « pas de fonction » (économique s’entend). Les effets potentiellement négatifs de la suppression des jachères, de modification des pratiques agricoles et de l’utilisation des sols ou encore l’apparition de cultures énergétiques OGM sont loin d’être négligeables et méritent d’être évalués en termes d’impacts sur la biodiversité, les ressources en eau et la qualité des sols.
Une autre perspective intéressante pour la filière biométhanisation est l’injection du biométhane dans le réseau de gaz. Sous conditions que le biogaz soit épuré pour qu’il soit parfaitement compatible et interchangeable avec le gaz naturel, cette possibilité offre plusieurs avantages : l’assurance pour le producteur de valoriser, indépendamment de l’endroit ou de la saison, le contenu énergétique du biogaz et la possibilité d’utiliser le réseau comme « tampon » entre le moment de production et de consommation. A noter que cette voie de valorisation est la plus efficace du point de vue énergétique et climatique (moins de pertes et la substitution des énergies fossiles dans la filière thermique, plus émettrice de CO2). Le régulateur wallon, la CWaPE, vient de sortir récemment des recommandations[[Commission wallonne pour l’énergie : ‘Stimuler le démarrage de la filière du biométhane’ – 16 décembre 2011]] pour que la Wallonie développe ce marché. Les pistes proposées doivent faciliter la viabilité économique de cette voie de valorisation.
Conclusions…
La biométhanisation a sans conteste sa place au sein du mix énergétique wallon basé sur les énergies renouvelables. Il existe un potentiel indigène encore largement inexploité qu’il conviendra de valoriser de manière judicieuse, dans le respect de l’échelle de Lansink[[Echelle de Lansink : hiérarchie dans le mode de gestion des déchets : 1) prévention, 2) réemploi, 3) recyclage, 4) traitement, 5) rejet]]. Des pistes existent pour lever les freins actuels au développement de cette filière. La Wallonie doit disposer, dans les meilleurs délais d’un cadre, transparent et rigoureux, qui favorisera les investissements et sécurisera la filière. Dans le cadre de l’élaboration d’une stratégie wallonne « biomasse-énergie » plus large, il conviendra de porter la réflexion sur les impacts, autres qu’économiques, d’un recours plus intensif à la biomasse. Pour Inter-Environnement Wallonie, la réflexion doit aller au devant des problèmes de durabilité et concurrence entre les matières qui pourrait survenir. Les projets de biométhanisation, comme les autres projets de valorisation énergétique de la biomasse, doivent être « intégrés » et aller dans le sens d’une optimisation du rapport coût/efficacité, où les coûts environnementaux seront totalement considérés.
La Fédération Inter-Environnement Wallonie consultera ses membres sur ces questions relatives à la biomasse énergie lors de pôles de compétences organisés dès le printemps 2012.