Le sénat vient de voter une proposition de loi interdisant l’utilisation du bisphénol A dans les contenants alimentaires pour enfants de 0 à 3 ans, et ce à partir de 2013. Mais outre l’amoindrissement du texte initial, la discussion sénatoriale a aussi été l’occasion de rejeter une proposition de résolution promouvant une approche globale de la problématique des perturbateurs endocriniens. La Chambre, qui doit se pencher sur cette proposition dans les semaines à venir, sera-t-elle plus… inspirée ?
Nous vous annoncions, en mars 2010, que Le Sénateur Philippe Mahoux (PS) venait de déposer une proposition de loi visant à interdire le Bisphenol A (BPA) dans les récipients alimentaires. Des liens évidents ont été faits, rappelions-nous, entre exposition au BPA et cancer de la prostate, du sein, puberté précoce, obésité, diabète, troubles de la thyroïde, problèmes de reproduction et du développement du cerveau. Les données épidémiologiques chez l’homme, assez récentes, montrent notamment un lien entre l’imprégnation maternelle par le BPA à la 16ème semaine de grossesse et les troubles du comportement. La proposition du Sénateur Mahoux s’inscrivait donc, avions-nous conclu à l’époque, dans un mouvement de fond qui, un peu partout à travers le monde, voit certains politiques anticiper les recommandations trop lentes, prudentes et parfois contradictoires des différentes agences sanitaires. L’attitude de l’agence européenne de sécurité sanitaire (EFSA) a notamment été largement remise en cause dans le cadre de ce dossier. Il faut également noter ici qu’une proposition de loi allant de le même sens fut déposée en décembre 2010 par les députés Thérèse Snoy (Ecolo) et Kristof Calvo (Groen!).
Le projet initial visait l’interdiction totale du BPA dans les contenants alimentaires. Mais le sénat a pris en compte l’amendement cosigné par les sénateurs Mahoux et Brotchi, tous deux médecins par ailleurs. Et c’est là que le bât blesse: de tous les contenants alimentaires, on passe uniquement à ceux destinés à la nourriture des enfants de moins de 3 ans. S’il est difficile de comprendre ce qui a amené le sénateur Mahoux à ce recul par rapport à sa proposition initiale (le communiqué du PS est particulièrement laconique), l’argumentation avancée dans la presse et sur son site par le sénateur Brotchi est plus claire et consiste en deux points :
d’une part, la littérature scientifique et les nombreuses études internationales sur la toxicité du BPA ont conclu « qu’il n’y avait pas de preuves qui permettent de considérer le BPA nocif pour les enfants de plus de 3 ans et pour les adultes car ceux-ci pourraient le tolérer sans risque probant pour leur santé » ;
d’autre part, « sans toxicité avérée, il nous semblait, surtout en période de crise, inadéquat de bouleverser le secteur alimentaire belge.
Celui-ci aurait été particulièrement et injustement touché par ce changement, alors que sur les 5.200 entreprises que composent le monde alimentaire, 95% sont des PME. Les conséquences auraient été désastreuses sur l’emploi des 89.000 travailleurs de ce secteur, » a expliqué le sénateur Brotchi.
Cette argumentation nous parait pour le moins discutable:
les nombreuses recherches réalisées sur la problématique et compilées notamment par le Réseau Environnement Santé (RES) constituent un faisceau de preuves plus que suffisant pour se décider à agir. A cet égard, il importe de mettre en évidence le rôle critiquable de l’Agence Européenne de Sécurité Sanitaire (EFSA) qui continue de nier la réalité écrasante des données scientifiques et affirmait encore, fin 2011, que la dose journalière admissible protège de manière adéquate la santé publique. Ce rapport répond à l’évaluation publiée le 27 septembre 2011 par l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire (ANSES) française. Ces 311 pages de littérature scientifique recèlent pourtant un catalogue bien inquiétant d’effets sur la santé humaine et animale. Au terme de ce travail, l’Anses présente d’ailleurs le remplacement du bisphénol A comme un « objectif prioritaire ».
Comment expliquer cette différence d’interprétation des deux agences? Sur base d’une notion d’apparence anodine – et pourtant fondamentale: l’EFSA continue de considérer que « c’est la dose qui fait le poison » – alors que dans le cas des perturbateurs endocriniens, des doses très faibles sont susceptibles d’avoir plus d’impacts que des doses élevées et, surtout, que la période d’exposition est essentielle – typiquement la période de la grossesse. Et nous n’aborderons même pas la question des effets cocktails – qui mériterait pourtant largement d’être prise en considération par l’Agence européenne.
Par ailleurs, les questions posées sur l’indépendance de l’EFSA – et son refus de revoir ses procédures pour y répondre – incitent également à utiliser plus que prudemment les conclusions qu’elle peut avoir formulé.
l’argument économique est, lui, risible!! Les sénateurs se sont faits le relais de l’argument le plus éculé avancé traditionnellement par l’industrie quand celle-ci se voit « menacée de régulation » fût-ce pour des motifs évidents de santé publique. Présenter les conséquences potentielles comme susceptibles de toucher l’ensemble du secteur et de ses travailleurs est une généralisation abusive et frise la démagogie. L’industrie du biberon en plastique s’est-elle effondrée après que le BPA ait été interdit à l’échelle européenne? Non, tout va bien de ce côté là! Des alternatives sont d’ailleurs déjà disponibles. Par ailleurs, il est totalement fait abstraction des coûts moraux et de soins de santé générés par les impacts du BPA – qui rappellons-le, n’est pas le seul perturbateur endocrinien en circulation! Nous y reviendrons plus loin.
la mauvaise foi est patente quand le sénateur affirme : Par ailleurs, au niveau de la prévention, je plaide également pour le renforcement de l’information aux femmes enceintes ainsi qu’aux professionnels de la santé, car, malheureusement, le BPA passe aussi par le placenta et par le lait. Informer ? Plus facile à dire qu’à faire ! Le sénateur prévoit-il un étiquetage des contenants alimentaires de manière à faciliter le choix en magasin ? A-t-il par ailleurs de solides arguments démontrant que cette information sera efficace ? Il s’agit pourtant d’une question cruciale en matière de santé publique ! Alors, arrêtons de tergiverser et prenons nos responsabilité en interdisant le BPA – approche déjà adoptée, soit dit en passant, par la France et le Danemark…
enfin, la mesure devient stupide quand on sait que dès l’âge d’un an, un an et demi, la majorité des enfants consomment la même chose que leurs parents.
La limitation d’interdiction ne se justifie pas et génère, pour toute femme soucieuse de la santé de sa progéniture, une charge et une responsabilité non négligeable: elle va en effet devoir, avant même le début de sa grossesse et jusqu’à la fin de l’allaitement faire attention à ne consommer aucun aliment ayant été en contact avec du BPA [[à tout le moins puisque le BPA ne se limite pas aux contenants alimentaires]] – à condition qu’elle puisse avoir accès à cette information! – tout en veillant, lors de la diversification de l’alimentation de l’enfant, à faire de même. Pour une majorité de femmes cela va représenter une difficulté pendant 5 à 10 ans ! Tout cela pour protéger les bénéfices des entreprises du secteur alimentaire…
Soulignons d’ailleurs que la question ne se limite pas au seul BPA, mais à tous les perturbateurs endocriniens. Et c’est là que le rejet par les sénateurs d’une [proposition de résolution visant à promouvoir la recherche sur les perturbateurs endocriniens et à lutter
contre leurs effets nocifs sur la population et les écosystèmes->http://www.senate.be/www/?MIval=/publications/viewPub.html&COLL=S&LEG=5&NR=1144&VOLGNR=1&LANG=fr] est incompréhensible! Car c’est bien là qu’est l’enjeu: avoir une approche globale sur la question, en terme de recherche et d’information mais surtout, en terme de mesures politiques. Il est temps de soutenir le mouvement volontariste initié par le Danemark, la Suède et la France et son élargissement à l’ensemble du territoire européen.
C’est désormais à la chambre que les choses se jouent: la Commission de la Santé Publique sera amenée à discuter les deux propositions de loi BPA et à voter dans les semaines à venir. Gageons que les votes y seront plus attentifs à la protection de la santé!