On peut qualifier l’ambiance des négociations internationales sur le climat à Bonn de tout ce qu’il y a de plus sérieuse voire studieuse – costards, cravates marchant d’un pas pressé accrochés à leur ordinateur portable – … mais ce n’est heureusement pas toujours le cas. Ainsi, hier midi, un groupe a déboulé sur la terrasse à l’arrière de l’hôtel où se déroulent les négociations, une tronçonneuse en carton sous le bras et s’est s’attaqué symboliquement aux arbres ! Le message « It’s easy to reduce emissions with LULUCF, you just need to cut trees! »[[C’est facile de réduire ces émissions, il suffit de couper des arbres!]]. LULUCF – prononcez à l’anglaise « louloucièf », fait partie des innombrables acronymes du jargon onusien dont on a beaucoup parlé ces jours-ci à Bonn. Ces initiales sont l’abréviation de « Land Use, Land Use Change and Forestry », en français « utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie ». Cette action humoristique avait pour objectif de sensibiliser à un sujet grave qui mérite quelques explications.
L’utilisation des terres est un facteur d’émission (déforestation) ou de stockage (reboisement) de CO2 et influence donc les changements climatiques. Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur les changements climatiques) estime que le changement d’affectation des terres (par exemple la conversion de forêts en terres agricoles) contribue à une émission nette de 1,6 ± 0,8 gigatonnes de carbone par an dans l’atmosphère. A titre de comparaison, la principale source de CO2, à savoir les émissions provenant de la combustion d’énergies fossiles et de la production de ciment, est estimée à 6,3 ± 0,6 gigatonnes de carbone par an.
Le Protocole de Kyoto définit des règles pour comptabiliser les émissions/stockages de carbone liés à l’utilisation des terres, le changement d’affectation et la foresterie. Pour les pays de l’Annexe I (pays industrialisés qui se sont engagés à réduire leurs émissions), la comptabilisation est obligatoire pour la déforestation et le (re)boisement mais est seulement volontaire en ce qui concerne la gestion des terres cultivées, des pâturages et la gestion forestière.
Ces règles sont en cours de renégociation dans le cadre des discussions sur le prolongement du Protocole de Kyoto au delà de 2012. Au début de la session, le président du groupe de travail AWG KP (voir article précédent) avait annoncé vouloir atteindre une décision sur LULUCF durant les deux semaines. Mais le texte sur la table était inacceptable pour les ONG environnementales. Il prévoyait en effet de fixer un niveau de référence pour la gestion forestière, non pas dans le passé mais dans le futur! Ce mécanisme est compréhensible jusqu’à un certain point car la gestion forestière s’étend sur une période beaucoup plus longue que celle du Protocole de Kyoto. Les pays dont la forêt arrive à maturité d’ici 2020, comme par exemple l’Autriche, seront amenés à réaliser des coupes importantes et verront donc leur stock de carbone diminuer. Même si ces forêts sont replantées, le bilan sur la période 2012-2020 sera négatif et ces pays seront pénalisés pour atteindre leur objectif de réduction de gaz à effet de serre (GES). D’où l’idée de fixer un niveau de référence dans le futur en fonction de la structure d’âge du patrimoine forestier et de mesurer si les pays performent mieux ou moins bien qu’attendu. Evidemment, l’estimation de la variation future des puits de carbone forestiers est un exercice périlleux dans lequel interviennent de nombreuses variables et hypothèses ce qui ouvre de nombreuses possibilités « d’arranger » les chiffres…. Les ONG environnementales estiment que le CO2 non comptabilisé pourrait s’élever à 5% du total des émissions des pays de l’Annexe I en 1990. Et vous avez ce qu’on appelle ici un « loophole », une porte de sortie…
Les débats de cette semaine ont aussi porté sur le lien entre les règles LULUCF et les objectifs de réduction pour la seconde période d’engagement du protocole de Kyoto. En adoptant des règles LULUCF plus contraignantes (comptabilisation obligatoire, niveau de référence historique), les objectifs seront beaucoup plus difficiles à atteindre pour une série de pays. La Russie l’a d’ailleurs très clairement exprimé lors du « contact groupe » qui débattait de cette question: elle réduirait son objectif d’émission de gaz à effet de serre de 25% par rapport à 1990 à 15% selon la manière de comptabiliser LULUCF. Voilà qui est clair et net!
Fixer les règles avant les objectifs ou les objectifs avant les règles? C’est l’éternel question de la poule et de l’oeuf qui continue à faire tourner les débats onusiens. Bonn ne fera pas exception à la règle… Finalement, rien ne sera décidé ici… sauf d’en discuter lors d’un workshop spécial consacré à la question cet été. Voilà qui a comme un air de déjà vu pas très encourageant.