Mais qu’est-ce qui a bien pu lui passer par la tête ?!? Comment une cheffe d’entreprise de cette envergure[[Plus de 10.000 salariés sous sa responsabilité – Source : http://www.lefigaro.fr/medias/2013/06/24/20004-20130624ARTFIG00589-vers-moins-de-10000-salaries-a-france-televisions.php]], cornaquée par une flopée de communicants, strategy managers et conseillers de tout poil a-t-elle pu commettre pareille bourde ? Il ne fallait pourtant pas être docteur en sociologie pour deviner que le retour de bâton allait dézinguer grave et transformer la vaguelette en tsunami…
Pardon ? « De quoi je cause ? » J’y arrive.
Je ne suis qu’une fourmi laborieuse indigne de confronter sa réflexion à la Pensée des cadors de la com mais j’aimerais pourtant que la task force de Delphine Ernotte, présidente du groupe France Télévisions, m’explique ce qui s’est passé dans sa tête lorsqu’elle décida d’interdire d’antenne puis de licencier Philippe Verdier, responsable du service météo du groupe, journaliste-présentateur sur France 2 et récent auteur d’un ouvrage intitulé « Climat Investigation »[[Ring Editions, août 2015]]. J’échoue en effet à comprendre, esprit insignifiant que je suis, les motivations de ces sanctions aussi contre-productives qu’extrêmes.
Reprenons la chronologie des faits.
Le 1er octobre 2015, « Climat Investigation » sort en librairies.
Le 12 octobre, invité de « L’homme du jour » sur la radio RTL, Philippe Verdier révèle avoir été mis à pied par la direction de France Télévisions : « Je suis en congés forcés. (…) Normalement, je devrais être à l’antenne depuis lundi. (…) J’ai reçu un courrier qui me demande de ne pas venir. Je ne connais pas l’essentiel des raisons et je ne sais pas la durée de cette décision. »[[http://www.rtl.fr/actu/societe-faits-divers/philippe-verdier-on-me-reproche-ma-liberte-d-expression-7780090248]]
Interrogée le 22 octobre par « Paris-Match », Delphine Ernotte déclare au sujet de « Climat Investigation » : « Je l’ai parcouru. Je n’en ai pas pensé grand-chose, sauf que, lorsqu’on est salarié d’une maison comme France Télévisions, il faut faire une distinction entre ses avis personnels et ce que l’on fait porter à l’entreprise. Là, il y a eu confusion, et ça me pose problème. »[[http://www.parismatch.com/Culture/Medias/France-televisions-Mission-impossible-pour-Delphine-Ernotte-850793]]
Le 27 octobre, le Monsieur Météo est convoqué dans le cadre d’un entretien préalable à une procédure de licenciement et, le 1er novembre, son éditeur met en ligne une vidéo[[http://www.ring.fr/]] où on le voit ouvrir la lettre actant son renvoi aux motifs « d’avoir été présenté comme journaliste à France Télévisions sur le livre et lors de la promotion » et « (avoir) évoqué dans certaines interviews le fait que France Télévisions ait pu avoir des pressions ».[[http://www.20minutes.fr/medias/1724395-20151105-philippe-verdier-veut-poursuivre-france-2-prudhommes]]
Pour Philippe Verdier, « France Télévisions était au courant de la parution (…) depuis le début de l’été. (…) Le service presse du groupe a été associé à la promotion avec mon éditeur. Mais, dès le moment où le livre est sorti et a fait parler de lui, il y a eu un revirement complet. »[[http://www.leparisien.fr/espace-premium/culture-loisirs/c-est-mon-livre-qui-pose-probleme-05-11-2015-5248291.php]] Et il attaque : « C’est le thème du livre qui pose problème ».[[http://www.20minutes.fr/medias/1724395-20151105-philippe-verdier-veut-poursuivre-france-2-prudhommes]] « Je me suis mis, au travers de cette enquête, sur la route de la COP 21 qui est un bulldozer. Voilà le résultat. (…) J’ai écrit dans mon livre que je deviendrais un paria. Je pense que j’avais un peu prévu une partie des événements qui se déroulent…»[[http://tvmag.lefigaro.fr/le-scan-tele/polemiques/2015/10/14/28003-20151014ARTFIG00369-philippe-verdier-choque-d-etre-ecarte-par-france-televisions.php]]
La boucle est bouclée : le paria autoproclamé se voit intronisé martyr par la grâce d’une réaction inappropriée et disproportionnée de sa hiérarchie. Alors que l’indifférence l’aurait laissé penaud et insignifiant, l’outrance de la punition en a fait le héraut emblématique d’une cause qu’il cautionnait à peine.
Le thème (selon un sondage du « Journal du Dimanche »[[Edition du 8 novembre 2015]], à peine plus de la moitié des personnes interrogées se disent « très » ou « relativement » intéressées par le Sommet de Paris et elles classent la lutte contre le réchauffement global au… dernier rang de leurs préoccupations[[Derrière, par ordre décroissant d’importance : la lutte contre le chômage ; la sécurité et la lutte contre le terrorisme ; la préservation du modèle de protection sociale français ; l’amélioration du pouvoir d’achat ; l’amélioration de la situation à l’école.]] !) et la qualité de cet ouvrage le destinaient à une diffusion marginale auprès d’un public tant soit peu averti ; la polémique autour de la fatwa frappant son auteur en a fait un best-seller dont on parle jusqu’en Russie et aux Etats-Unis.
« Une grossière erreur », « un beau gâchis » ou « un sacré merdier », chacun qualifiera la chose selon son humeur et son vocabulaire mais on s’accordera pour constater le tapis rouge déployé sous les pieds des climato-sceptiques à qui on sert, dans une coupe en or, une soupe à laquelle ils n’auraient même pas oser rêver !
Pensez donc : la COP s’annonçait sous les meilleurs auspices avec des charretées de sommités internationales, une mobilisation massive et festive convoquant le ban et l’arrière-ban de la société civile d’ici et d’ailleurs, un accord final qui sera sans nul doute « encourageant » – bien qu’ « insuffisant »… – et reflètera à coup sûr « la prise de conscience » des Etats et la « volonté commune d’arriver rapidement à des engagements équitables et contraignants ». Tout baignait pour faire de l’événement un succès d’image(s) à défaut de contenu et, bardaf, c’est la gaffe, la tache qui fâche d’autant plus qu’elle déteint tous azimuts.
A quoi ça sert qu’Hulot il se décarcasse, si c’est pour venir lui casser la baraque en utilisant l’artillerie lourde contre un garnement un peu effronté ? Car en fin de compte, « Climat Investigation » n’est rien d’autre que ça, le coup d’éclat trop bien réussi d’un garnement qui se rêvait chevalier blanc du climat – il n’est pas anodin qu’il propose « ses » solutions pour mieux gérer l’affaire – et qui ne méritait pas pareil (dés)honneur.
On crie au climato-scepticisme mais Verdier ne met pas en cause la réalité du réchauffement global. Au contraire, il affirme à plusieurs reprises l’effectivité de celui-ci : « Il n’est pas question de contester le réchauffement déjà avéré, dont l’ampleur s’intensifiera certainement. » (p. 35) ; « Le changement climatique, déjà observé avec 0,85°C supplémentaire de température moyenne planétaire par rapport à l’ère préindustrielle, est incontestable. » (p. 80) Ses cibles, ce sont : le GIEC ; les dirigeants opportunistes qui ne s’intéresseraient à l’enjeu climatique qu’à l’occasion de l’un ou l’autre rendez-vous médiatisé ; l’unanimisme qui fait du climat L’Enjeu majeur et quasi unique, reléguant dans l’ombre d’autres dangers tels la pollution de l’air ou l’épuisement des ressources ; le discours clamant la gravité du mal et l’urgence du remède mais faisant l’impasse sur certaines composantes indispensables de celui-ci, notamment une certaine décroissance; etc.
D’ « investigation », on n’en trouve guère dans ce livre plutôt mal écrit et dans lequel on sent la patte d’un éditeur plus soucieux de « faire un coup » que d’aider son auteur dans sa démarche. Point de révélations, donc, mais une compilation de constats, reproches, affirmations et accusations tantôt fantaisistes, tantôt fondées. Il y a dans ce fatras des éléments qui relèvent plus de l’état d’âme subjectif ou de l’interprétation abusive que de l’argumentation journalistique. Il y a des erreurs et des contre-vérités. Mais il y a aussi quelques vérités qui dérangent. Ainsi lorsqu’il s’interroge sur « la puissance de lanceur d’alerte du GIEC ». Ainsi lorsqu’il constate que « pendant toute l’année 2015, l’Etat-Major du GIEC est davantage préoccupé de son élection interne que du climat » et regrette que « le scientifique se mue alors en animal politique » au service de ses « ambitions personnelles ». Y aurait-il là de quoi lui tenir grief alors qu’on a pu lire par ailleurs que « pour glaner un maximum de voix et être élu à la tête de l’organisme onusien très médiatisé, « van Yp » (NDR : Jean-Pascal van Ypersele), comme on l’appelle dans la communauté scientifique – surnom donné aussi à son oncle, Jacques van Ypersele, éminence grise du Palais sous Baudouin et Albert II -, s’était rendu, en dix-huit mois, dans plus de 65 pays. »[[http://www.levif.be/actualite/environnement/jean-pascal-van-ypersele-ne-sera-pas-president-du-giec/article-normal-426613.html]] et que « van Yp » en personne déclarait ouvertement avant l’élection « C’est la présidence du GIEC ou rien »[[http://www.lalibre.be/actu/planete/jean-pascal-van-ypersele-c-est-la-presidence-du-giec-ou-rien-560eab9f3570b0f19f12182a]] et… démissionna effectivement de l’organisation le jour de son échec ?
Il ne s’agit pas ici de faire une exégèse de l’ouvrage livre mais de comprendre pourquoi il a valu un opprobre disproportionné à son auteur. De ce point de vue, un passage interpelle : « Un beau matin de juin 2014, à peine revenu d’un plateau télé où il s’exprimait sur la question syrienne, Laurent Fabius rejoint son ministère. Il a convoqué précipitamment les présentateurs météo français. La nouvelle fait sourire un peu partout. Pourquoi les messieurs et mesdames météo prennent-ils un petit-déjeuner sous les ors de la République avec le ministre en charge de la diplomatie française ? L’heure est grave. Dans environ 500 jours, Paris recevra les représentants de cent-quatre-vingt-seize pays pour tenter de trouver une suite au protocole de Kyoto et de sortir de l’impasse des négociations qui patinent depuis le flop de Copenhague en 2009. Laurent Fabius fronce les sourcils, jure qu’il ne souhaite pas intervenir sur la ligne éditoriale des chaînes de télévision. Mais malgré tout, il recommande avec insistance d’égrener les bulletins météo de messages sur le climat. Ses éléments de langage sont prêts, il ne souhaite plus entendre parler de « réchauffement », de « changement » ou de « dérèglement » mais de « chaos climatique ».» (p. 104)
Imaginons un instant le ministre de l’Economie invitant les journalistes à relayer dans leurs analyses les bienfaits d’une politique d’austérité (ou de relance par la consommation ou quoi que ce soit d’autre) ; que n’entendrait-on pas comme commentaires offusqués dénonçant une tentative de mainmise du politique, de subornations des rédactions, de dérive vers une information d’Etat.
Pourquoi en irait-il autrement pour la question climatique ? Pourquoi les journalistes-météo (qui méritent ce titre dès lors qu’ils interviennent de plus en plus régulièrement dans les pages d’informations pour apporter leurs expertises et leur décodage) devraient-ils être le relais d’une vérité officielle ?
Poussons plus loin notre effort d’imagination : qu’adviendrait-il si un de ces journalistes économiques se voyait licencié après un commentaire ou une publication s’opposant au message distillé par le ministre ? Inimaginable dans nos pays ? Soit. Mais pourquoi en irait-il autrement pour la question climatique ? Pourquoi ce qui apparaît inconcevable et s’avèrerait de facto intolérable pour un enjeu économique (ou politique, ou éthique) ne le serait-il pas lorsqu’il s’agit de parler de climat ?
Sous réserve de nouveaux éléments à venir, on se trouve bel et bien en présence d’une censure qui ne saurait être considérée comme acceptable au prétexte qu’elle sert une « noble cause ».
Bien évidemment, le « cas Verdier » n’a pas tardé à être récupéré et monté en épingle par les courants de pensée les plus réactionnaires (contrepoints.org ; Boulevard Voltaire ; fdesouche ; etc.) et les climato-sceptiques, trop heureux d’avoir de quoi argumenter leur dénonciation du « dogme du réchauffement » et l’ostracisme frappant quiconque entend l’interroger… La démonstration leur est d’autant plus aisée et jouissive que la victime expiatoire ne mettait même pas en cause la véracité du « dogme » mais les dérives qu’il cautionne. Leur discours devient ainsi accessible à un public jusqu’alors indifférent et qui, par l’odeur du scandale alléché, s’est jeté en masse sur l’objet du délit.
En rupture de stock dès la mi-octobre, l’ouvrage a été réimprimé avec la mention-choc « Interdit d’antenne par France Télévisions », en attendant un prochain tirage qui affichera sans doute « Viré par France Télévisions », une victimisation favorable aux ventes mais aussi à la crédibilisation du grand complot dénoncé par le courant climato-sceptique.
Voilà une grossière erreur, un beau gâchis, un sacré merdier mais surtout une colossale connerie qui démontre, si besoin en était, qu’il n’y a rien à gagner mais tout à perdre à vouloir museler les voix discordantes.