Brèves rurales : droit et agriculture, deux mondes parallèles ?

La populiculture hors-la-loi?

Pas moins de 20.000 ha du territoire régional sont dédiés à la populiculture. Ces rangées de peupliers clônés sur un seul et même modèle se concentrent essentiellement dans les fonds humides, en lieu et place de prairies extensives abandonnées par l’agriculture, mais aussi au sein de certains massifs forestiers. Cette vision de la culture forestière fut d’ailleurs largement favorisée en Europe à l’époque où il fallait réduire le niveau de production agricole puisque la populiculture bénéficia des aides agricoles au détriment des prairies humides. Notre biodiversité s’en souvient encore même s’il faut concéder que ces conversions ont souvent permis d’éviter un drainage de ces milieux prairiaux (aux fins d’intensification), le peuplier – contrairement à nos bovins – aimant avoir les pieds dans l’eau.

Mais cette culture, plus particulièrement celle des clônes interaméricains, s’est avérée très sensible à une maladie foliaire, la rouille du peuplier. Un recours massif aux traitements fongicides s’avéra donc nécessaire. Ces traitements ont été très importants, et le restent encore dans certaines régions plus sensibles à la propagation de cette maladie.

Mais venons-en aux faits : il n’existe tout simplement aucun fongicide autorisé pour traiter les peuplements forestiers. Ce qui n’empêche nullement de voir certains produits promus et considérés par les uns et les autres comme agréés ! Situation pour le moins étonnante quant on sait par ailleurs que le secteur de la populiculture ne semble avoir fait aucune démarche pour obtenir l’agréation de fongicides adaptés.

Si être hors-la-loi est en soi un problème, cela devient plus grave encore quand la santé de l’homme et de l’environnement est mise en danger. Les traitements des peupliers ne se font en effet pas « en douceur ». Les arbres ayant atteint plus de 10 mètres de haut sont traités par le biais d’atomiseurs tractés projetant les fongicides sur leur feuillage. Une telle pratique d’épandage de pesticides n’est pas fondamentalement différente des épandages aériens récemment interdit par l’Europe. Ce mode d’utilisation est d’autant plus critique que ces produits sont toxiques et que leur épandage par pulvérisateur classique est strictement interdit à proximité des cours d’eau… à proximité desquels se trouvent précisément les peupleraies. Cette situation ne semble pas particulièrement émouvoir les utilisateurs de ces substances dangereuses, lesquels profite d’un « non man’s land » juridique dont on doit probablement trouver l’origine dans l’obligation d’une négociation entre la Région et l’AFSCA sur la question du contrôle.


Les aides agricoles : absence de base légale et insécurité juridique



Nos parlementaires se sont récemment émus de l’absence d’habilitation du gouvernement wallon à verser des indemnités aux propriétaires et gestionnaires des sites Natura 2000. Un manquement du décret Natura 2000 soulevé par le Conseil d’État qui, rappelons-le, remet avis sur l’ensemble des textes législatifs quand le gouvernement le juge nécessaire, une démarche plus que prudente pour assurer la « validité » des textes juridiques. Si un effort important est en général fait pour s’assurer de la conformité des textes légaux, certains pans du droit, et singulièrement le droit lié à l’agriculture, échappent à ce principe de bonne gouvernance. 

C’est donc en marge de cette question parlementaire que l’on se rend compte que la majorité des aides versées au titre du développement rural n’ont pas de fondement légal depuis 1999… Aucun décret, aucune loi n’autorise en effet le gouvernement à verser aux agriculteurs de telles aides ! Les seules dépenses agricoles disposant d’un fondement légal doivent contribuer à l’augmentation de la productivité agricole,… ce qui est aux antipodes des mesures agri-environnementales qui visent à compenser des perte de productiovité ou des aides prévue dans le PDR et destinées à des investissements non productifs.

Cette légèreté du droit agricole ne s’arrête pas en si bon chemin. Les bases juridiques définissant les payements uniques, les critères d’éligibilité des parcelles agricoles aux aides directes ou encore les procédures de recours sont rédigées dans des circulaires ou, plus simplement encore, dans un document courant envoyé à tout agriculteur : la notice explicative accompagnant les déclarations de superficie. Une notice qui par ailleurs stipule explicitement – tout en étant citée dans certains textes de loi – qu’elle n’a pas de valeur légale !

Le malaise est de plus en plus palpable au sein du monde agricole : retards de payement, possibilités de recours insatisfaisantes, traitements arbitraires [l’administration responsable du contrôle ayant une interprétation différente de l’éligibilité des parcelles ([voir nIEWs précédente)]], suivi des dossiers sans rigueur [[par exemple, certains agriculteurs adoptant l’une ou l’autre mesures agroenvironnementales ont cru de bonne foi s’être engagés et devoir respecter le cahier des charges de la mesure pour se rendre compte, en réclamant pour les retards de payement, que leur dossier n’avait pas été accepté sans qu’ils n’en aient été informés…]] et sans formalisation pour des engagements contractuels… les motifs de grogne ne manquent donc pas. Des manquements qu’il faut probablement mettre sur le compte d’une co-gestion de ces dossiers entre administration et syndicat qui n’est pas l’abri de dérives, ce qui expliquerait qu’il n’y aie jamais eu de recours juridique sur ces législations… Car l’adage bien connu semble ici d’application : on ne mord pas la main qui nous nourrit.



Éligibilité des terres aux aides agricoles : fumée verte à l’ex DGA

Sous pression politique, l’administration a enfin clarifié les critères d’éligibilité aux aides des parcelles agricoles tant pour les payements uniques que pour les mesures agro-environnementales. Les situations kafkaïennes d’agriculteurs ayant contracté des contrats agri-environnementaux sur des parcelles reconnues par les uns comme de grand intérêt biologique mais considérées par les autres comme non éligibles ne discréditeront donc plus les politiques de promotion de la biodiversité…

Cette bonne nouvelle ne vient pas seule puisque l’éligibilité des parcelles agricoles est étendue aux petits éléments du paysages et aux zones attenantes tel les haies jusqu’à 10 mètres de large dans et hors des parcelles, aux bandes enherbées non cultivées ou entre les clôtures et la crête des berges de cours d’eau, et ce, jusqu’à 10 mètres. Les mares jusqu’à 500 m2, les arbres, jusqu’à cinquante par hectare, les murets et les fossés pourront également être inclus dans les surfaces éligibles aux payements uniques européens. Fini donc pour les arpenteurs du contrôle de retirer ces petites surfaces attenantes aux parcelles agricoles et recouvrant les zones les plus riches et les plus intéressantes en terme de biodiversité. Voilà qui devrait contribuer à mettre un frein à la suppression de ses éléments du paysage et, pourquoi pas, inciter certains, plus volontaires, à leur création.

On notera enfin que dans un souci de cohérence, la conditionnalité des aides directes a intégré ces éléments qui échappent judicieusement aux règles minimales d’entretien des terres agricoles, imposant au minimum une fauche / pâturage par an.

Gestion durable de l’azote en agriculture : le Conseil d’Etat donne partiellement raison à la Fédération

En date du 11 mars 2009, le Conseil d’Etat a prononcé un arrêt dans le cadre du recours en annulation diligenté par la Fédération Inter-Environnement Wallonie contre l’arrêté du Gouvernement wallon du 15 février 2007 modifiant le Livre II du Code de l’environnement constituant le Code de l’eau en ce qui concerne la gestion durable de l’azote en agriculture. Outre le fait que le Conseil d’Etat annule certaines dispositions du PGDA conférant certaines délégations au Ministre, la Haute juridiction administrative a ordonné que des questions préjudicielles soient posées à la Cour de justice des Communautés européennes afin de savoir notamment si le PGDA constituait ou non un plan ou un programme au sens de la Directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement. Par contre, l’on peut déplorer le fait que le Conseil d’Etat ait rejeté l’argumentation de la Fédération relative à la violation du principe de standstill. Une fois que la Cour de Justice se sera prononcée sur les trois questions préjudicielles qui lui furent posées, l’instruction du dossier devant le Conseil d’Etat pourra suivre son cours.

Lionel Delvaux

Anciennement: Nature & Ruralité