Ce 04 février 2024, la mairie de Paris organisait une votation sur un « tarif spécifique pour le stationnement des voitures individuelles lourdes, encombrantes, polluantes ». Le 20 du même mois, les Shifters Belgium organisent avec Canopea une table ronde d’experts, de décideurs politiques et de parties prenantes pour débattre de la question suivante : « Pourquoi et comment diminuer le poids des voitures à Bruxelles ? » De Paris à Bruxelles, c’est le même constat : les excès des constructeurs automobiles ne sont tout simplement plus supportables.
Petite mise en contexte
En initiant le projet LISA Car, Canopea et l’asbl Parents d’Enfants Victimes de la Route (PEVR) dénonçaient dès 2014 la dérive du marché automobile vers des véhicules toujours plus lourds, puissants, rapides et agressifs. Une dérive qui s’est accélérée ces dernières années sous l’effet conjugué de la « SUVisation » de l’offre automobile, de la suppression de nombreux modèles d’entrée de gamme et de l’électrification des voitures (associée à la volonté de les doter de batteries garantissant une autonomie de plusieurs centaines de kilomètres).
Cette dérive produit aujourd’hui des effets insupportables à plusieurs titres. Citons-en quelques-uns. Les pouvoirs publics – et notamment les autorités locales – peinent à gérer la présence d’un nombre toujours croissant de véhicules de grande taille dans l’espace public dans un contexte où ils tentent par ailleurs de réallouer ledit espace de manière plus harmonieuse entre les différents usages et usagers. Les gestionnaires de parkings en étage sont confrontés à des problèmes de sécurité du fait du quasi doublement du poids des véhicules. Les usagers vulnérables (notamment piétons et cyclistes) et les personnes qui roulent dans des véhicules modestes sont confrontés à une augmentation du risque de blessure grave ou de décès en cas de choc avec des véhicules excessivement lourds et puissants. Les pouvoirs régionaux et nationaux ne parviennent pas à rencontrer les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre des transports, les effets bénéfiques de l’amélioration des motorisations (efficacité énergétique) étant annihilés en grande partie par l’accroissement de la masse et de la puissance des véhicules …
La votation à Paris et la table ronde à Bruxelles s’inscrivent ainsi dans une logique de seine réaction à l’évolution délétère que les constructeurs d’automobiles ont insufflée au marché.
Un tarif spécial à Paris
Désireuse de s’assurer qu’il existe un certain soutien populaire à sa volonté de limiter le nombre de véhicules très encombrants dans les rues de Paris, la Mairie organisait ce 04 février une votation demandant aux personnes invitées à voter de se positionner pour ou contre la création d’un tarif spécifique pour le stationnement des voitures individuelles lourdes, encombrantes, polluantes.
78 121 Parisien.ne.s (soit 5,7% des personnes inscrites sur les listes électorales) ont voté. Une majorité (54,55%) s’est exprimée en faveur d’un tarif spécifique. Fait intéressant : les personnes habitant en centre-ville et dans les arrondissements qui ont majoritairement voté « à gauche » aux municipales de 2020 se sont exprimées en faveur du tarif différentié. Les personnes domiciliées dans les arrondissements de l’ouest de Paris, qui ont majoritairement voté à droite en 2020 ont rejeté le tarif différencié. Par ailleurs, les arrondissements (centre et ouest : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 15, 16 et 17) où le revenu moyen est le plus élevé (population qui est plus susceptible de rouler dans des véhicules lourds et puissants visés par le tarif différencié) n’ont pas tous voté contre la proposition. Le centre de Paris (arrondissements 1, 2, 3 et 4) et le 5ème arrondissement ont voté en faveur du tarif différencié (le « pour » l’emporte avec plus de 60%), tandis que les autres arrondissements où les revenus sont plus élevés que la moyenne ont voté contre. C’est dans l’arrondissement réputé le plus riche (le 16ème) que les « pour » ont été les moins nombreux (18,05%). Ainsi donc, on assiste à une double fracture : de revenus et de localisation.
Les voitures bruxelloises au régime ?
Les Shifters Belgium est une association qui agit pour la décarbonation de l’économie Elle élabore également des analyses et mène des initiatives pour décarboner la Belgique. Les Shifters Belgium ont ainsi réalisé un travail spécifique sur la mobilité à Bruxelles.
Dans une première analyse prospective des émissions liées aux voitures particulières à horizon 2030, les Shifters Belgium ont calculé le bilan carbone induit par les hypothèses de la réalisation du Plan Régional de Mobilité en RBC (Good Move) en 2030, et l’ont comparé aux objectifs de réduction des émissions pour le secteur de la mobilité. En supplément, une série de scénarios activant différents leviers a été analysée. Comme Canopea l’écrivait dans la préface de l’analyse :
« S’inscrivant dans une logique systémique, l’exercice prospectif réalisé par The Shifters Belgium est salutaire à plus d’un titre. D’une part, il met en exergue l’importance des émissions de CO2 indirectes des transports (induites par la fabrication et la fin de vie des véhicules et par la mise à disposition de l’énergie qu’ils consomment), tandis que l’actuel Plan Régional de Mobilité de Bruxelles-Capitale ne permet d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de CO2 des transports en ne considérant que les seules émissions directes (liées à l’utilisation des véhicules). D’autre part, il démontre avec rigueur que l’électrification des véhicules, condition nécessaire à la décarbonation de la mobilité, est loin d’être suffisante. D’autres solutions, qui relèvent de la sobriété, doivent être activées – et être toutes activées – pour atteindre les objectifs CO2: réduction de la taille du parc automobile, renouvellement moins rapide de celui-ci et réduction de la masse des voitures. »
Suite à cette première analyse, The Shifters Belgium a publié un document de propositions visant la diminution de la masse des véhicules en Région de Bruxelles-Capitale. Ce document présente l’Opération REGIME (Réduire Grandement et Irrémédiablement la Masse des vEhicules), laquelle vise à proposer des mesures concrètes pour réduire la masse moyenne des véhicules en Région de Bruxelles-Capitale. Deux outils sont envisagés : un outil réglementaire d’une part avec le développement d’une Low Danger Zone (LDZ), et un outil fiscal de l’autre avec l’adaptation du projet de réformes fiscales SmartMove.
Nous sommes honorés que deux revendications de Canopea soient ainsi portées, complétées et affinées par l’association The Shifters Belgium.
Pour en débattre, The Shifters Belgium – en collaboration avec Canopea – organise le 20 février 2024 une table ronde d’experts, de décideurs politiques et de parties prenantes clés.
Les autorités européennes n’osent pas toucher aux 5 tabous de l’industrie automobile : le design général des voitures (hauteur, agressivité de la face avant, …), leur volume, leur masse, leur puissance et leur vitesse de pointe. Ce sont les Etats et les autorités locales qui doivent gérer les conséquences de cet immobilisme. Il est à espérer que, à l’instar de Paris (et bientôt Bruxelles ?), de nombreuses autres villes osent sortir du bois et mettre en place des mesures visant à corriger le manque d’action européenne sur l’offre (on ne touche pas aux tabous précités) par une action indirecte sur la demande (dissuader les citoyen.ne.s d’acheter les voitures inutilement lourdes et puissantes que l’industrie veut leur vendre).
Crédit image d’illustration : Unsplash
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