Bye bye les chaudières mazout ?

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La Ministre de l’énergie, Cécile Neven annonçait en séance plénière au parlement en décembre dernier le report des deux dates concernant la fin d’installation des chaudières mazout : dans les nouvelles constructions (initialement prévue le 1/03/25) et dans les constructions existantes (initialement prévue le 1/01/26). Si ce report ne devrait être que temporaire pour les nouvelles constructions (nous garderons cela à l’œil), en ce qui concerne les constructions existantes, aucune assurance n’est donnée qu’une nouvelle date sera fixée.

Rappelons pour commencer que les émissions de chauffage dépendent de l’isolation du bâtiment, de son moyen de chauffage ET du comportement des utilisateurs ! Sans une combinaison d’isolation massive du bâti, de normalisation de comportements de sobriété et de remplacement des chaudières, c’est bien simple, on n’y arrivera pas. Ceci étant dit, une certitude : la sortie des chaudières fossiles est inéluctable. Le plus rapide, le mieux pour le climat. Le chauffage au mazout est le mode de chauffage encore majoritaire en Wallonie, suivi par le gaz. 

Quelles solutions alors pour se chauffer demain (aujourd’hui en fait) en Wallonie ? 

Le réseau de chaleur est une très belle opportunité encore méconnue du grand public. Mais il est particulièrement adapté pour les zones denses, dans lesquelles les pertes de chaleur restent réduites. Parfaits pour une série de zones urbaines et périurbaines, mais pas tout à fait la solution adéquate pour le fin fond de l’Ardenne donc.

Le gaz naturel ? Parfois présenté comme « gaz de transition », et bien qu’il soit effectivement moins émetteur de CO2 que le mazout (le passage d’une partie de la population au gaz naturel est une des explications aux réductions des émissions de gaz à effet de serre observées sur les dernières décennies en Belgique), le gaz naturel n’a rien d’un champion pour le climat. Sans compter la dépendance géostratégique dans laquelle il nous enferme, et le coût des infrastructures qui ne seront pas rentabilisées si construites aujourd’hui. Ce n’est certainement pas notre solution de rechange au mazout !

Le gaz renouvelable alors ? Non, sa disponibilité est et continuera à être trop faible que pour permettre son usage pour le chauffage résidentiel. Il sera bien plus précieux pour certains usages industriels à haute température. Pour vous en convaincre, n’hésitez pas à visionner ce webinaire.

La biomasse plutôt ? Sujet complexe… Alors que l’Ardenne est couverte  de bois, il semble plutôt résilient d’utiliser une ressource locale. Mais attention : sa disponibilité est loin d’être infinie. Même si la Belgique est exportatrice nette de pellets depuis 2022 (principalement vers la France et les Pays-Bas), elle importe néanmoins près de 260.000 tonnes de pellets (2022), principalement depuis les Etats-Unis (ce qui pose la question des conditions environnementales dans lesquelles sont produits ces pellets)…

Source : Banque Nationale de Belgique. Analyse FBW. [2024].

Les différentes données disponibles pour la Wallonie montrent déjà que, même si peu de ménages se chauffent principalement au bois (3 à 10 % des ménages), il n’en demeure pas moins que près d’un ménage wallon sur 4 dispose d’une installation de chauffage au bois en tant que mode de chauffage principal ou secondaire (22% à 26%). Cette proportion est plus importante pour la province du Luxembourg où il s’agit d’un tiers des ménages. Si le bois est absolument à éviter en zone urbaine à cause de ses impacts sur la santé, il a certainement un rôle à jouer en zone rurale (principalement comme appoint), mais ne constitue pas la solution prioritaire pour les ménages qui se chauffent aujourd’hui au mazout (au risque d’augmenter nos importations de pellets, et entrainer des risques pour la biodiversité ailleurs).

Vous l’avez vue venir, c’est bien la pompe à chaleur qui s’impose comme principale (mais pas unique) solution de ce casse-tête.

La pompe à chaleur, la meilleure des solutions imparfaites

Ces derniers mois, la pompe à chaleur a plus d’une fois fait parler d’elle. En septembre d’abord, avec l’annonce de Climafed, la Fédération belge des technologies climatiques, qui alerte sur une forte baisse des ventes de pompes à chaleur sur le premier semestre de 2024. Alors qu’on observe une légère augmentation des ventes de chaudières fossiles, l’installation de pompes à chaleur s’effondre de 50% par rapport à la même période en 2023. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela : année 2023 exceptionnellement bonne, mauvais ratio prix de l’électricité sur le prix du gaz,… À noter aussi que cette inquiétante tendance est observable dans l’ensemble de l’Europe.

C’est en octobre de l’autre côté de la frontière linguistique que ça se passe ensuite, via la publication de la thèse d’un doctorant de l’UGhent qui a fait grand bruit dans le Standaard, qui titrait ainsi le 17/10 :  “warmtepompen zijn niet beter voor het milieu dan moderne gasketels”  (« Les pompes à chaleur ne sont pas meilleures pour l’environnement que les chaudières au gaz modernes »). Raccourci un peu rapide pour le journal qui n’avait visiblement pas pris le temps de comprendre correctement la thèse (thèse qui, par ailleurs, se basait sur des hypothèses pour ses analyses de cycle de vie complètement dépassées concernant les fluides frigorigènes des pompes à chaleur, rendant ses conclusions… dépassées aussi). De nombreux experts ont pris la parole sur les réseaux et dans la presse pour rétablir la vérité : les pompes à chaleur émettent bel et bien jusqu’à 50% moins de CO2 que les chaudières au gaz comparables. Par ailleurs, il est vrai que la construction d’une pompe à chaleur (comme une voiture électrique, par exemple), consomme bien plus de matériaux lors de sa construction qu’une « simple » chaudière. Il y a donc encore bien des efforts à faire au niveau des filières de construction et de recyclage, ainsi qu’au niveau des fluides réfrigérants. Néanmoins, la publication et la promotion de cette thèse a malheureusement jeté un doute sur l’intérêt environnemental des pompes à chaleur, c’est vraiment regrettable.

L’annonce du report de l’interdiction des chaudières mazout réjouit certains

Après l’annonce de la Ministre, de nombreux arguments en faveur de ce report et contre la pompe à chaleur fleurissent sur les réseaux. Si certaines inquiétudes sont justifiables, d’autres arguments sont infondés. En voici quelques-uns : 

  • Les pompes à chaleur auraient un impact très limité sur nos émissions de CO2 car notre mix électrique est bien trop carboné en hiver.

Comme dit ci-dessus, c’est tout à fait faux. Même avec un mix électrique très carboné, les pompes à chaleur génèrent néanmoins moins d’émissions. Montrons-le avec des hypothèses plutôt pessimistes.

Avec la fermeture des centrales nucléaires, une partie de la production sera remplacée temporairement par du gaz naturel. Mettons donc que la production supplémentaire nécessaire pour faire fonctionner une pompe à chaleur ne proviendrait QUE du gaz naturel (hypothèse très conservatrice, alors qu’on investit massivement dans les éoliennes offshore en mer du nord). L’électricité qui est utilisée dans la PAC (pompe à chaleur) aurait alors une intensité carbone de :

514*1,1=565 gCO2e/kWh

Avec les hypothèses que la production d’électricité en Belgique dans les centrales au gaz émet 514gCO2/kWh et que les pertes sur le réseau de transport en Belgique avoisinent les 10%.

Quelle est l’efficacité des pompes à chaleur ? C’est-à-dire quelle chaleur produisent-elles à partir d’une unité d’électricité ? Cela dépend de plusieurs éléments : de la température à laquelle il faut chauffer l’eau qui circule dans le circuit de chauffage. Plus cette température est élevée, moins l’efficacité est bonne. Au plus le bâtiment est isolé, et au plus les émetteurs (les chauffages) sont de grande surface, au plus on peut faire baisser la température. En gros, ce n’est pas qu’on ne peut pas techniquement chauffer une maison mal isolée comme on l’entend parfois (d’autant plus qu’il existe des pompes à chaleur hautes températures), c’est plutôt que la pompe à chaleur deviendra de moins en moins efficace. C’est aussi qu’il faudra installer une très grosse PAC, ce qui revient très cher. L’efficacité de la pompe dépend aussi de la température à laquelle elle va chercher de la chaleur. Une pompe air-eau (le premier terme expliquant d’où provient la chaleur, le deuxième quel est le fluide pour la diffuser dans le bâtiment) va chercher de la chaleur dans l’air. Elle est donc forcément moins efficace quand il fait 0°C que quand il fait 10°C. Une pompe eau-eau sera plus efficace en allant chercher de la chaleur dans l’eau stockée dans le sol, qui reste à une température plus constante durant l’année. Prenons l’exemple de la PAC air-eau, moins chère.

Le graphique ci-dessous résume : plus la température dans les radiateurs est élevée, moins le Coefficient de Performance (COP) est élevé. De même avec la température extérieure.

Source : Buildwise. La pompe à chaleur ne se transforme jamais en chauffage électrique direct (COP de 1) !

Pour une maison avec un niveau d’isolation thermique très moyen (mais pas parmi les pires passoires thermiques), comptons sur une température de distribution dans le circuit de chauffage de 60°C. En ce qui concerne la température extérieure, elles sont fraiches au sud et à l’est de la Belgique… Mais pas si basses non plus, prenons en moyenne 1°C en Ardenne sur l’hiver (basé sur la moyenne 1991-2020 calculée par l’IRM). Le COP (lié à la moyenne sur l’hiver) est environ de 2 selon le graphique de Buildwise.

Dès lors, 1 kWh de chauffage via sa pompe à chaleur au plein de l’hiver et en Ardenne entrainera une émission de CO2 de 565 gCO2/kWh /2 = 283 gCO2/kWh

Le contenu en CO2e du mazout est de 324 gCO2e / kWh. Une chaudière n’est pas 100% efficace, mettons 90%. Ça nous donne un impact de 360 gCO2e / kWh.

Même avec des hypothèses défavorables (température en Ardenne et pas en moyenne en Wallonie, électricité supplémentaire uniquement issue de gaz naturel), la pompe à chaleur émet au moins 20% moins de gaz à effet de serre.

  • La facture d’énergie est bien plus élevée en se chauffant avec une pompe à chaleur qu’au mazout

Ça, sur le coup, c’est vrai (sauf en combinaison avec des panneaux photovoltaïques). C’est même la principale raison pour laquelle les pompes à chaleur ne se développent pas plus massivement en Belgique. Sauf que ça n’a rien d’une fatalité ! Il serait effectivement peu judicieux de la part du gouvernement wallon d’implémenter l’interdiction concernant les chaudières à mazout sans s’attaquer un peu sérieusement au ratio du prix de l’électricité au prix du gaz (les taxes sur l’électricité la rendent démesurément plus chère que le gaz et le mazout).

Rapport entre le prix de l’électricité et du gaz dans l’UE en 2023. Source : Eurostat 2023

Comme montré sur la figure, la Belgique est clairement à la traine… L’image illustre aussi pourquoi les pays du Nord comme la Suède et la Finlande sont déjà massivement équipés de PAC, malgré leur climat bien plus froid.

  • Pour beaucoup de maisons mal isolées, les pompes à chaleur ne sont pas une solution technique adéquate. Il faut monter trop haut en température, ce qui provoque un effondrement du COP de la pompe à chaleur.

Ça aussi, c’est vrai a priori. Mais avec un taux de rénovation qui n’évolue pas (1% au lieu de 3%), on ne peut pas se permettre de se concentrer uniquement sur la rénovation en laissant la décarbonation de la chaleur pour plus tard. Si la rénovation devrait toujours être la priorité en théorie, est-ce vraiment raisonnable de laisser encore aujourd’hui des ménages investir dans une nouvelle chaudière au mazout dont la durée de vie sera de 25 ans ?

Quelques pistes de solution qu’il faut urgemment investiguer : installer des systèmes hybrides temporaires (chaudière fossile – PAC) qui permettent de n’utiliser la chaudière que les jours les plus froids. Installer des chauffages d’appoint (biomasse, PAC air-air) dans certaines pièces pour avoir un dimensionnement moindre de la PAC principale. Pourquoi ne pas encourager la création d’entreprises de « chaleur à la demande » ? Qui loueraient par exemple temporairement des poêles à pellets et PAC air-air le temps de rénover certaines parties des bâtiments. Cela permettrait d’échelonner les investissements et de donner une réponse immédiate à une chaudière fossile à remplacer.

On peut aussi se poser la question de savoir s’il est raisonnable de continuer à dimensionner les appareils de chauffage sur -10°C, ce qui augmente la capacité installée et donc le prix d’investissement. Entre 2010 et 2019, il n’y a eu que 157 heures aussi froides, réparties sur 17 jours à la station météo de Buzenol, près d’Arlon… Même pas un par an en moyenne. Et il ne risque pas d’y en avoir plus durant les 10 années suivantes, les hivers devenant progressivement plus doux. Ce dimensionnement sécuritaire avait du sens dans le passé, le prix d’une chaudière fossile étant peu influencé par sa taille. Mais ce n’est pas le cas pour les pompes à chaleur.

Enfin, il est grand temps de normaliser dans notre société les comportements de sobriété, type slow heat. Faut-il chauffer toutes les pièces à 21°C pour vivre confortablement ? Accepter que la température descende (raisonnablement) lors des jours les plus froid permettrait vraiment de réduire l’investissement et améliorer les performances de la PAC.

L’enjeu est donc de réduire au maximum la taille de la pompe à chaleur installée, pour réduire les coûts, tout en gardant une température confortable grâce à des appoints et un mode de chauffage sobre. L’enjeu est également de conserver ces comportements après rénovation (et éviter ainsi l’effet rebond).

D’où un recourt aux obligations de rénovation qui semble inéluctable : il faut pousser les habitations à devenir au minimum « PAC-compatibles » et « sobriété-compatibles », et rénover en priorité les habitations qui sont insalubres et/ou très mal isolées. Les primes actuelles ne permettent pas de donner cette priorité.

  • Notre réseau électrique n’est pas prêt pour accueillir les pompes à chaleur

Le réseau (haute tension et basse tension) est voué à évoluer fortement avec la transition énergétique. Les pompes à chaleur n’en sont pas la seule cause : production décentralisée avec les PV et voitures électriques se multiplient également. C’est le rôle et la responsabilité des gestionnaires de ces réseaux (épaulés par l’Etat) de faire en sorte qu’ils soient aptes pour la transition énergétique ! Si des dérogations devraient être possibles temporairement dans certaines zones, on ne peut pas décider de ne pas avancer pour cette raison. Ce n’est pas non plus comme si tout le monde allait remplacer sa chaudière par une PAC en une nuit… De plus, c’est sans compter les atouts de flexibilité des pompes à chaleur (on peut décaler leur production en dehors des pics de demande), qui doivent encore être exploités en Belgique.

  • Passer au chauffage électrique va augmenter notre consommation de gaz, car notre mix électrique sera extrêmement dépendant du gaz en hiver.

Ce sera vrai si on ne fait rien en ce qui concerne les usagers qui se chauffent au gaz. Pour eux aussi, la transition doit se mettre en marche, avec une ligne politique claire, qui ne change pas au gré des législatures.

Encore une fois, tout le monde ne remplacera pas sa chaudière en une année. Pendant ce temps, les énergies renouvelables continuent à se développer rapidement sur le réseau électrique belge. La production solaire est faible pendant les mois d’hiver, mais ce n’est pas le cas de la production éolienne qui, justement, produit plus à ce moment-là.

Non, la pompe à chaleur n’est pas une solution parfaite, mais les chercheurs sont unanimes : nous nous dirigeons vers une forte électrification du chauffage. L’heure tourne, et sans décision politique courageuse, nous risquons de nous retrouver exactement dans la même situation dans 5 ans. « Plus tard » ne peut plus être une réponse à l’urgence climatique.

Crédit image illustration : Adobe Stock

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