Depuis le 29 novembre, Cancun, au Mexique, accueille la seizième Conférence des Parties de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climat (COP16). Les délégués de près de 200 pays sont réunis durant 15 jours afin de se pencher sur le climat de notre planète. Les symptômes du malade s’amplifient – 2010 est en passe d’être l’année plus chaude jamais enregistrée – et les remèdes à lui administrer sont connus – depuis le dernier rapport du GIEC, on sait qu’il faudra diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre de la planète d’ici 2050 si l’on veut avoir une chance de rester dans la limite soutenable de 2° d’augmentation de la température globale avant la fin du siècle. Pourtant, on le sait déjà, Cancun, pas plus que Copenhague, ne débouchera sur l’accord global ambitieux et contraignant dont nous avons tant besoin.
Alors que les négociations vont entrer dans leur dernière ligne droite, voici un petit inventaire des enjeux sur la table.
Le trauma de Copenhague
Les attentes pour le Sommet de Copenhague étaient élevées et portaient essentiellement sur deux points : un signal clair d’engagement des pays pour réduire leurs émissions et un cadre juridique pour l’après Kyoto, à partir de 2013. Mais le niveau de préparation était insuffisant et le climat (si j’ose écrire!) des négociations fut mauvais. L’échec fut dès lors à la hauteur des attentes, le Sommet ne permettant d’aboutir ni sur des niveaux d’engagement des pays industrialisés cohérents avec la limite du réchauffement des 2,° ni sur un cadre juridique, les Etats-Unis rejetant tout texte juridiquement contraignant. Il convient toutefois de noter que l’ « Accord de Copenhague » permit d’avancer sur deux questions fondamentales :
la reconnaissance de la nécessité pour tous les pays – y compris les Etats-Unis et la Chine – de passer à l’action tant pour l’atténuation des émissions que pour l’adaptation ;
la volonté de dégager des financements pour des transferts Nord/Sud accrus, avec une prévisibilité d’ici 2020.
La reprise des négociations en 2010
Suite à la désillusion de Copenhague, la reprise des négociations a été lente. Quatre sessions intermédiaires se sont tenues, trois à Bonn et une à Tianjin en Chine. Beaucoup de temps y a été absorbé par des questions de procédure : sur quel texte faut-il repartir (texte sur la table à Copenhague, l’Accord de Copenhague, un nouveau texte) ? Quel mandat pour les présidents des groupes de travail ? Comment restaurer la transparence et l’inclusion du processus mis à mal à Copenhague avec un accord préparé en coulisses par quelques pays ? Et puis, surtout, il fallut (re)tisser les liens de confiance, le fossé s’étant encore creusé entre pays industrialisés et pays en développement.
Deux voies de négociation s’ouvraient pour 2010 :
soit le paquet de négociation restait un bloc, indivisible, avec le risque évident de retomber sur les mêmes points de blocage et donc de faire stagner le processus dans son ensemble ;
soit les deux points de discorde (à savoir les engagements de réduction et le statut juridique du futur accord) étaient mis de côté pour un temps afin de faire avancer des points opérationnels urgents et plus consensuels
C’est la deuxième voie, celle des petits pas, qui a été empruntée. Grâce notamment à l’implication de la présidence mexicaine, des avancées ont ainsi pu être enregistrées, principalement sur deux sujets : la lutte contre la déforestation (mécanisme REDD+) et l’établissement d’un Fonds vert pour le climat qui canaliserait les financements promis à Copenhague (30 milliards de dollars d’ici 2012 et 100 milliards de dollars par an d’ici 2020).
Quid de « l’après-Kyoto »
Le principal point d’achoppement à Copenhague et qui reste au centre de la COP16 est celui du devenir du Protocole de Kyoto. Ce texte est le seul accord contenant des engagements de réductions juridiquement contraignants pour les pays industrialisés (dits pays de l’Annexe I). Les pays en développement et émergents estiment que les pays industrialisés doivent assumer leur responsabilité historique et réclament une poursuite du protocole de Kyoto avec des nouveaux engagements contraignants pour l’après 2012. L’Europe s’est ralliée à cette position en confirmant au dernier Conseil de l’Environnement son ouverture pour une deuxième période d’engagement, un geste qui a été très apprécié des pays en développement. Les Etats Unis, eux, n’ont jamais voulu du Protocole de Kyoto. Soucieux de préserver leur souveraineté nationale, ils refusent de se voir imposer des engagements par la communauté internationale avant d’avoir pu adopter une législation en interne. De plus, la croissance rapide ces dernières années des pays émergents a eu pour conséquence que les émissions des pays Annexe I ne représentent plus que 30% des émissions mondiales. La Chine est même devenue le plus gros pollueur mondial, avant les Etats-Unis, lesquels demandent dès lors que les pays émergents s’engagent euc-aussi à réduire leurs émissions. Ils ont ainsi déclenché un bras de fer avec leur principal rival commercial, la Chine, en tentant de lui imposer des conditions de vérification de leurs actions alors que les pays développés n’y sont pas soumis. La Chine a évidemment beau jeu de renvoyer la balle aux Etats Unis… qui ne sont pas prêts d’adopter leur loi climat avec la récente défaite du parti d’Obama aux élections de mi-mandat.
Le blocage complet sur l’avenir du Protocole de Kyoto se double d’une crise de confiance autour des engagements des pays développés. Aussi bien en matière de réduction des émissions que de financement des pays du Sud, les pays industrialisés n’ont en effet que rarement tenu leurs promesses. Mis à part l’ex-URSS et l’Union Européenne, on assiste à un énorme dérapage des émissions des pays développés depuis 1990 ce qui implique que beaucoup d’entre eux n’atteindront pas l’objectif, pourtant modeste, du Protocole de Kyoto. Pire, l’augmentation de leurs émissions ne leur permet plus de s’inscrire dans la fourchette de 25 à 45% de réduction d’ici 2020 recommandée par le GIEC. Cela n’incite évidemment pas les pays émergents à vouloir s’engager à leur tour. Les pays en développement posent quant à eux comme condition de toute négociation leur droit au développement et donc à la mise à disposition de financements et le transferts de technologies leur permettant un développement propre.
Qu’attendre de Cancun ?
Il y a fort à parier que les principaux points de blocages ne seront pas levés à Cancun. Il est néanmoins essentiel de progresser sur les points de consensus pour rétablir la confiance dans le processus des Nations Unies car certains pays pourraient vouloir s’en détourner si trop peu de résultats étaient engrangés.
Pour faire face à un défi global comme les changements climatiques, il faut une gouvernance mondiale qui puisse inclure tous les pays. Mais l’évolution des mentalités et des relations internationales de la défense de l’intérêt national vers la solidarité internationale prend du temps… Cancun ne sera donc plus que vraisemblablement qu’une étape, un Sommet de transition en vue d’aboutir à un accord global contraignant, espérons-le en 2011.
On peut raisonnablement envisager qu’une série d’avancées sectorielles seront engrangées à Cancun : la mise en place des financements, la lutte contre la déforestation, le soutien aux projets d’adaptation et d’atténuation, les transferts de technologies… Ces décisions seraient un message positif tant pour ceux qui agissent déjà sur le terrain que pour les pays en développement ; ils permettraient, progressivement, la construction et la consolidation d’un ensemble cohérent d’actions sur la route vers un accord global.
Mais rien n’est acquis. L’expression « paquet équilibré de décisions » est fréquemment utilisée par les négociateurs avec un contour différent pour chacun. Une position adoptée par certains pays, au nom de « l’équilibre » global des négociations, est de continuer à considérer les sujets comme un tout indissociable, ce qui risque de bloquer toute avancée. Un autre enjeu sera de ne pas baisser le niveau d’ambition pour pourvoir présenter coûte que coûte des résultats.
Les négociations de la première semaine
Les discussions se sont dans un premier temps tenues au niveau des négociateurs, majoritairement des fonctionnaires de ministères et des ambassadeurs s’appuyant sur des experts. Ils ont alimenté le processus avec de nombreuses propositions, qui furent ensuite analysées afin de les intégrer de manière structurée dans les textes en discussion et d’éviter les redondances.
Cette première semaine a été calme, sans crises et sans avancées majeures ; l’ambiance est jugée plutôt constructive. L’événement a toutefois été l’annonce faite par le Japon de son refus de s’engager dans une deuxième période du Protocole de Kyoto.
Les ministres de l’environnement et chefs d’Etat vont désormais prendre la main à partir de ce 7 décembre pour trancher les questions politiques lors de ce qu’on appelle le « segment ministériel ».