Carrière: transparence et collaboration au service d’une réduction adéquate des nuisances

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Sans thématique
  • Temps de lecture :7 min de lecture

Située à Namèche non loin de Namur, en rive gauche de la vallée mosane, Dolomies de Marche-les-Dames est une implantation industrielle d’envergure. Une carrière où l’on abat plusieurs millions de tonnes annuellement, des installations de concassage et de criblage, des fours à chaux et à dolomie : l’ensemble est impressionnant et la charge pour le voisinage, vu les volumes de matière traités, est évidemment non négligeable en termes de charroi et de tirs de mines notamment. Une commission d’accompagnement, constituée au sein de la Ville d’Andenne, rassemble périodiquement, depuis 1993, les représentants de la Ville, des riverains et de l’entreprise.

Les vibrations liées aux tirs constituent toujours une préoccupation majeure pour les riverains des carrières. Lors du tir, une partie de l’énergie produite se propage dans les bancs rocheux, et peut provoquer des dégâts aux habitations riveraines. Au cours des dernières décennies des innovations techniques sont venues améliorer la situation à cet égard : notamment, les retardateurs – qui créent un décalage de quelques millisecondes entre les détonations des fourneaux – permettent d’abaisser sensiblement l’intensité de l’onde de propagation. Toutefois dans certains cas, les vibrations sont toujours fortement ressenties par les voisins : sentiment que tout le bâtiment bouge, vibration des vitres, verres qui tintent dans les armoires… sont autant de plaintes familières pour les membres des commissions d’accompagnement. Les entreprises disposent généralement d’un vibromètre placé par elles dans un endroit réputé sensible. Cet appareil enregistre l’intensité de la vibration dans les trois directions de l’espace ; les résultats des différentes mesures sont collationnés, mis autant que faire se peut en relation avec le plan de tir utilisé, et communiqués aux riverains.

Mais les résultats sont quelquefois contestés : l’industriel a-t-il vraiment choisi l’habitation voisine la plus touchée ? Ne s’arrange-t-il pas pour que les mesures se fassent à un moment où les problèmes ont toutes les chances d’être réduits ? Malgré le dialogue et relations personnelles développées au fil du temps, les suspicions subsistent dans la mesure où l’information reste essentiellement sous le contrôle de l’exploitant.

La Commission d’accompagnement s’est donc attelée à la définition d’une démarche permettant une investigation de tous les points sensibles de la problématique. Huit habitations susceptibles d’être particulièrement concernées ont été identifiées. Des premières mesures sporadiques ont montré que certains d’entre elles pouvaient être éliminées ; un point supplémentaire (à Gawday de l’autre côté de la Meuse) a été ajouté. Chacun de ces points a fait l’objet de mesures pendant un mois consécutif. Ces mesures étaient relatives à des tirs situés aux différents étages et dans différentes circonstances. En outre, à la demande des riverains, l’exploitant a équipé le vibromètre d’un microphone permettant l’enregistrement de l’onde aérienne. En effet, lors d’un tir, deux ondes distinctes sont ressenties dans le voisinage : l’une se propage par le sous-sol et provoque la vibration du bâtiment, l’autre, liée à la détonation et au décollement de la masse rocheuse, se propage par l’air ; c’est cette dernière qui fait trembler les vitres, effet saisissant et parfois impressionnant, mais sans liaison avec d’éventuels dégâts à l’habitation. Les forces de ces deux ondes ne sont pas toujours liées entre elles.

Sur les 138 mesures effectuées, 102 ont été traitées ; pour les 36 autres, l’intensité des vibrations était inférieure au seuil de détection de l’appareil. Les résultats ont été comparés aux normes existant en la matière.
Pour les vibrations du sol, les résultats ont été triés en fonction de l’étage de tir, ce qui a permis de constater que les vibrations sont plus importantes lorsque le tir a lieu dans les étages inférieurs. Ce constat s’explique par le fait que, dans les étages supérieurs, la carrière est largement ouverte et la tranche de roche à abattre est bordée par une surface libre ; l’énergie libérée par l’explosion part donc largement dans la poussée et relativement peu dans l’ébranlement du massif situé vers l’arrière du front de taille. En fond de carrière, la part de l’énergie perdue dans le massif, et donc transmise par les bancs aux habitations voisines, est plus importante. L’habitation la plus concernée est celle située au même niveau topographique, au fond d’une vallée adjacente à la Meuse. Toutes les mesures effectuées respectent néanmoins la norme fixée par les conditions sectorielles[[Il s’agit d’une norme allemande, la DIN 4150, qui est en fait un graphique où chaque point de mesure prend place en regard d’une abscisse – la fréquence de vibration – et d’une ordonnée – la vitesse de déplacement des points du bâtiment. La vitesse tolérée est d’autant plus grande que la fréquence est importante. Cette norme contrôle en fait l’amplitude de déplacement des points du bâtiment lors de la vibration.]].

Pour l’onde aérienne, seules des lignes-guide existent. La plus sévère, 125 dBL, a été considérée ici : il s’agit de la limite conseillée pour les carrières en France. Cette valeur n’est dépassée qu’en un point et pour un tir ; mais alors qu’en matière de vibrations du sol les mesures se situent très en-dessous de la norme, la surpression aérienne est significative en plusieurs points. Des deux habitations les plus affectées, l’une est située sur le plateau, et l’autre est celle en fond de vallée déjà évoquée ci-dessus ; la première est concernée par les tirs dans les étages supérieurs, et la seconde par ceux des étages inférieurs.

Globalement, ce sont donc les habitations situées à même hauteur que les étages de tirs qui sont les plus concernées, effet sans doute renforcé par le fait que le gisement est subtabulaire (les bancs sont quasiment horizontaux).

La démarche débouche donc sur des conclusions techniques qui permettront à l’exploitant de prévoir les lieux potentiellement à risques et donc de mieux gérer ses points de mesures. Elle a aussi permis de discerner clairement les vibrations du sous-sol des ondes liées à la surpression aérienne. Mais surtout, elle est le fruit d’un consensus entre l’exploitant et ses riverains quant au type de mesures à effectuer, quant aux points de mesures à choisir et quant à la durée de la campagne de mesures pour chaque point, ce qui est de nature à mettre fin aux suspicions éventuelles. Meilleure connaissance et donc meilleur contrôle des effets de l’exploitation sur le voisinage, meilleure transparence des relations entre l’entreprise et ses riverains : voilà donc un processus exemplaire, dont on espère qu’il en inspirera d’autres !

Crédit photographique: Pierre Lemoine.

Canopea