C’est un fait aujourd’hui avéré : de plus en plus d’abeilles meurent chaque année. De nombreux facteurs (nouveaux virus, changements climatiques…) sont avancés pour expliquer cette hécatombe, dont les pratiques agricoles modernes caractérisées par la monoculture et une grande dépendance aux pesticides.
La révision de la législation relative à ces derniers serait l’occasion de mieux prendre en compte leur impact sur les ruches. Mais l’industrie, plus sensible au maintien de ses bénéfices qu’à la disparition des abeilles, veille. L’European Beekeeping Coordination tire la sonnette d’alarme.
Si le nombre d’abeilles a régulièrement décliné au cours des 20 dernières années, le phénomène – désigné sous le terme « Colony collapse disorder » – s’est fortement accentué récemment.
Cette hécatombe inquiète les scientifiques du fait du rôle vital joué par les abeilles notamment dans la pollinisation de nombreuses cultures. Les hypothèses sur les causes de ce phénomène sont multiples : certains scientifiques parlent des changements climatiques, d’autres de virus…
Et de nombreux chercheurs et membres de la communauté des apiculteurs s’accordent aussi sur l’hypothèse que les pesticides neurotoxiques ne sont pas innocents.
De nombreux apiculteurs considèrent qu’une nouvelle classe d’insecticides systémiques, les néonicotinoïdes, ont une responsabilité non négligeable dans ces «effondrements» de colonies.
Ces dérivés de la nicotine sont des insecticides puissants qui interfèrent avec les activités d’apprentissage, de reconnaissance et de réaction aux stimuli. Ces produits ont commencé à être largement utilisés à la fin du siècle passé. Certains d’entre eux sont hautement toxiques : l’Imidaclopride, produit de la firme Bayer, est 7000 fois plus toxique pour les abeilles que le DDT qu’il a remplacé.
L’évaluation des risques des pesticides avant leur mise sur le marché joue ici un rôle prépondérant. Les associations de protection de l’environnement demandent depuis longtemps que la décision de mettre ou non un pesticide sur le marché soit davantage liée à sa dangerosité intrinsèque qu’aux possibilités (ou non) de gérer les risques.
De multiples exemples ont montré les limites de cette dernière approche notamment au niveau de l’évaluation des effets cocktails des substances chimiques auxquelles nous sommes exposés.
Dans le cas des abeilles, l’augmentation d’utilisation de pesticides dits systémiques complique cette évaluation des risques puisque les pesticides sont dès lors présents dans l’ensemble de la plante – y compris dans les fleurs, avec lesquelles les abeilles rentrent directement en contact.
Quels sont les impacts exacts de cette exposition, combinée à la consommation d’eau contaminée par des résidus de pesticides, sur de longues périodes de temps ? C’est là toute la question, totalement ignorée à l’heure actuelle dans les schémas d’évaluation des risques !
La révision des annexes du règlement européen 1107/2009 fournit une parfaite opportunité pour améliorer les méthodes d’évaluation des pesticides et pour prévenir la dissémination de substances hautement toxiques dans l’environnement.
Mais ce processus semble avoir été «hijacké» par les industries fabricants ces pesticides. Plus précisément, l’EFSA ne disposant pas de l’expertise « abeille » en interne, a choisi de déléguer l’évaluation des risques à l’European and Mediterranean Plant Protection Organization (EPPO).
À nouveau, l’absence d’expertise « abeille » au sein de cette institution a conduit à la délégation de l’évaluation des risques à l’International Committee of Plant-Bee Relationship (ICPBR).
Ce comité, sans statut formel, était initialement destiné à améliorer l’échange de résultats de recherche et d’informations sur les abeilles et les plantes. Mais il a également été l’objet d’un investissement de plus en plus important de l’industrie des pesticides, qui exerce désormais une influence importante sur ses travaux.
Le groupe de travail de l’ICPBR dédié aux abeilles et à l’écotoxicité compte des scientifiques, des représentants de gouvernements ainsi que du secteur de l’industrie et des consultants.
Il va sans dire que ces derniers ont un grand intérêt à influencer les décisions, messages et recommandations de ce groupe de travail puisqu’ils contribueront à la décision de la Commission à autoriser – ou non- la commercialisation des pesticides.
Sur les 17 membres des trois groupes de travail relatifs aux pesticides et leurs impacts sur les abeilles, 6 proviennent de l’industrie et participent parfois à plusieurs groupes : Roland Becker (BASF), Mike Coulson (Syngenta), Natalie Ruddle (Syngenta), Ed Pilling (Syngenta), Christian Maus (Bayer Crop Science), Mark Miles (Dow Chemicals).
Ces compagnies qui commercialisent donc des pesticides suspectés de contribuer au CCD ont été invitée à définir les principes généraux utilisés pour évaluer leurs propres produits !
L’ European Beekeeping Coordination (EBC) a identifié parmi les propositions de ces groupes de travail plusieurs éléments totalement incompatibles avec la survie des colonies d’abeilles et notamment:
- Le fait que 30% de perte des larves de la colonie en général et qu’une perte de 50% des oeufs ou d’autres stades larvaires soient considérés comme « normal » – alors que ce niveau de perte rend impossible la survie « commerciale » de l’apiculteur;
- L’absence d’évaluation de la toxicité chronique des pesticides ;
- L’absence de prise en considération des impacts de l’exposition sur la colonie en elle-même.
L’EBC lance donc un appel à la Commission pour que l’évaluation des risques des pesticides soit réellement indépendante des industries qui les fabriquent, et que les schémas d’évaluation correspondent à la réalité de terrain et prennent en compte l’ensemble des facteurs de risque.
La clôture de la révision de la législation est prévue pour juin 2011, son entrée en vigueur pour 2013. Il est temps d’agir!
Source: http://www.corporateeurope.org/agribusiness/content/2010/11/whose-hands-future-bees
Extrait de nIEWs (n°85, du 25/11 au 9/12)
La Lettre d’information de la Fédération.
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