Ce mercredi 7 janvier 2015, des individus ont semé la mort au sein de la rédaction de l’hebdomadaire « Charlie Hebdo ». Si l’enquête débute à peine, il semble acquis que ce carnage visait à « venger le prophète Mahomet », selon les paroles lancées par un des assaillants. Ainsi, des caricaturistes parmi les plus talentueux de la presse française – Charb, le directeur de « Charlie », Cabu, Tignous… – ont payé de leur vie leur liberté d’expression. Face aux menaces proférées à maintes reprises contre leur journal « coupable » (sic) d’avoir publié des dessins du prophète de l’islam, ils avaient en effet refusé de se soumettre à la dictature des religieux plus ou moins fanatiques, refusé de renier l’ironie, le sens de la satire, le cynisme, le regard critique et (parfois) le mauvais goût intrinsèques à leur activité et, par-delà, à une presse véritablement libre. Ils refusaient d’accorder à la religion musulmane un traitement différent que celui, sans concessions, qu’ils appliquaient aux autres cultes et leur honneur résidait précisément dans cette égalité de traitement.
Parce qu’ils ne peuvent accepter que des hommes et des femmes ne partageant pas leur croyance et les préceptes qui y sont liés, les tueurs de ce matin ont abattu froidement et fièrement des êtres humains dont le seul tort avait été de dessiner, qui plus est en le moquant, celui dont le Coran interdirait – les interprétations varient sur ce point et, in fine, on s’en fout – toute représentation…
Nul doute que la condamnation de cette « barbarie » (dixit François Hollande) sera unanime et que les plus hautes autorités du culte musulman monteront au créneau pour dénoncer ceux qui dénaturent les textes sacrés et s’en servent comme alibi de leur folie.
Il n’empêche que cet acte ignoble survient dans un contexte où la « liberté d’expression », prompte à fleurir sur les lèvres et alimenter les discours est de plus en plus régulièrement mise à mal au prétexte, le plus souvent, qu’elle cacherait des « incitations à la haine ». A l’heure où les canaux de diffusion des opinions n’ont jamais été aussi nombreux ni aussi ouverts, que les propos les plus extrémistes et les points de vues les plus intolérants/intolérables trouvent à s’y exprimer en toute liberté, certains sujets sont devenus implicitement tabous au point d’être exclu du débat… et alimenter par là-même les fantasmes et les haines que l’on prétendait combattre.
L’acception du débat, de la critique et de la mise en cause sont à la fois les gages et les témoins d’une société sereine, en paix avec elle-même, une société qui a réussi à faire cohabiter ses multiples composantes. La France, la Belgique et de nombreuses autres démocraties n’en sont pas là aujourd’hui. On peut le regretter voire le nier mais c’est ainsi et le drame de ce mercredi 7 janvier 2015 en est une expression particulièrement extrême et terrifiante.
Parce que, rédacteurs et lecteurs de ce site, nous avons tous un rôle à jouer dans la construction de cette société « sereine » ; parce que nous constituons nous aussi, à notre très modeste échelle, un média chérissant la liberté d’expression, nous ne pouvions pas nous dispenser d’afficher notre solidarité avec les victimes de l’intolérance et de proclamer « Je suis Charlie ».