En matière de politique climatique et énergétique, l’Europe, comparée au reste du monde, n’avait pas à rougir de ses ambitions, ni des initiatives prises pour passer à une économie décarbonée. L’Union européenne reste-t-elle la championne de la lutte contre le changement climatique, donneuse de leçons aux pays « qui ne font pas d’effort » au point de fragiliser la compétitivité de ses entreprises? Une récente étude vient tordre le cou aux idées reçues.
Un rapport initié dans le cadre du réseau Climate Strategies, basé sur les analyses de plusieurs instituts de recherche renommés[[German Institute for Economic Research (DIW- Berlin), Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI- Paris), The London School of Economics and Political Science (LES- London), Wegener Center for Climate and Global (Graz), German Institute for International and Security Affairs]] analyse et compare une série de politiques climatiques et énergétiques menées dans plusieurs économies du monde, dont l’UE. L’étude s’intéresse aussi à la question de la compétitivité et au potentiel d’innovation liés aux stratégies énergie-climat mises en œuvre. Les conclusions montrent que non seulement les trois volets de ces stratégies- efficacité énergétique, soutien au développement des renouvelables, marché carbone- sont davantage porteurs de bénéfices que de contraintes sur le plan de l’innovation et de la compétitivité, mais encore que l’UE est rattrapée par plusieurs autres pays et grandes régions dans la transition vers une économie pauvre en carbone… et pourrait s’en trouver fragilisée.
L’Union européenne n’est plus seule en tête
Le rapport intitulé « Staying with the leaders- Europe’s path to successful low-carbon economy » montrent à quel point d’autres pays sont en train de rattraper leur retard sur l’Europe en matière d’énergies renouvelables, d’efficacité énergétique et de systèmes de tarification du carbone.
133 pays se sont dotés d’objectifs en terme d’énergies renouvelables, dont 66 ont instauré un système de tarif de rachat garanti (feed-in tariff). Aujourd’hui la Chine et les Etats-Unis sont leaders concernant les capacités de production d’énergie éolienne. En 2012, 70% des nouvelles infrastructures de production d’énergie éolienne et 40% des installations photovoltaïques ont été créées en dehors de l’UE ;
L’UE est toujours leader pour l’efficacité énergétique des bâtiments mais n’est plus seule en tête concernant les normes de consommation des véhicules. Inde, Chine et Japon ont adopté la norme inférieure à 5 litres aux 100km à l’horizon 2020. Dans le secteur du ciment (5% des émissions mondiales de CO2), les meilleures technologies disponibles, notamment en termes d’économies d’énergie, pour de nouveaux investissements se trouvent en Chine et en Inde. Même chose pour le secteur de l’acier (7% des émissions), de nouvelles technologies sobres en carbone et en énergie ne sont plus l’apanage de la vieille Europe ;
L’UE n’est plus la seule « à s’auto-flageller » en matière de tarification du carbone puisque divers pays[[Nouvelle-Zélande, Corée du Sud, Brésil, Mexique, Afrique du Sud, Ukraine, Indonésie]], 7 provinces chinoises et la Californie se sont engagés dans un processus de marché relatif au carbone (instauration de prix basé sur le carbone ou partenariat avec la Banque Mondiale pour la mise en place de systèmes de tarification du carbone).
L’étude met en garde « sans cadre politique clair pour 2030 et au-delà, l’Europe risque de perdre les avantages compétitifs qu’elle a obtenu dans des secteurs clés de la future économie ». Des avantages basé sur la connaissance, le savoir-faire et des technologies qui rendent possible la mutation vers une société sobre en carbone. En plus de perdre ses avantages compétitifs, l’Union européenne, si elle ne se donnait pas les moyens de ses ambitions en matière de transition énergétique, resterait dépendante et donc plus exposée à la volatilité des prix des énergies fossiles dictés par des marchés internationaux.
Prix de l’énergie et compétitivité
L’étude bat également en brèche la thèse selon laquelle les politiques de décarbonisation entraîneraient une augmentation des prix de l’énergie et donc affectent la compétitivité des secteurs industriels. Selon les auteurs du rapport, ni la compétitivité de l’économie européenne de manière globale, ni celle des secteurs industriels, n’est déterminée par les différences dans le prix de l’énergie. Selon le rapport, le coût de l’énergie représente seulement 1,6% des revenus pour 92% des industries allemandes. Le Forum économique mondial, pour qui le climat et les énergies vertes ne constituent pas la priorité, ne considère pas le prix de l’énergie comme facteur prépondérant qui détermine le niveau de productivité d’un pays. Le FEM estime à 1% le poids de la qualité de l’approvisionnement énergétique d’un pays, mais considère « un environnement innovant comme un facteur déterminant pour la productivité et l’avenir de l’emploi avec un poids de 15% »[[World economic forum, The Global Competitiveness report 2013-2014]].
Le rapport met aussi en évidence que des prix de l’énergie élevé sont un incitant à déployer une plus grande efficacité. Les pays exposés à une énergie plus chère, font preuve d’une meilleure efficacité énergétique, notamment la Suisse, la Finlande et l’Allemagne.
L’étude ne nie toutefois pas que certains secteurs intensifs en énergie, comme la chimie, le ciment ou l’acier, peuvent ressentir plus gravement les différences de prix énergétiques à l’échelle mondiale. Si l’Europe ne peut offrir à ses industries une ressource énergétique abondante et bon marché, il y a tout lieu d’éviter les délocalisations vers des pays aux conditions (sociales, environnementales, énergétiques) plus souples mais qui engendrent in fine un coût supplémentaire en terme de pollution ou d’émissions de GES. Rappelons que l’UE a prévu des dispositions spéciales pour limiter le risque de « fuites de carbone[[Risque que certaines entreprises soumises au système de quotas d’émissions de GES perdent des parts de marché par rapport à leurs concurrentes étrangères, ou que certaines décident de délocaliser une partie de leur production, voire de leurs outils industriels, vers des pays tiers ce qui pourrait augmenter les émissions au niveau global]] » et protéger les secteurs affectés par des contraintes d’émissions et un différentiel de prix de l’énergie. L’étude conclut que ce dispositif est efficace mais qu’il ne doit pas encourager ces industries à se reposer sur ce régime d’exception mais plus plutôt les inciter stimuler l’efficacité énergétique pour améliorer leur productivité.
Un challenge européen
Si l’Europe ne peut jouir de ressources naturelles et énergétiques abondantes, elle a tout à gagner à déployer une stratégie industrielle et énergétique qui exploite d’autres atouts pour améliorer sa compétitivité : investissements dans l’efficacité énergétique, dans les énergies renouvelables, dans l’innovation dans des process bas carbone pour également exploiter de nouvelles possibilités d’emplois. Ceci nécessite bien sûr des capacités d’investissement importantes. Or, pas d’investissement sans politiques stables, cohérentes et qui offrent une visibilité à moyen et long terme.
L’UE doit consolider sa politique énergie-climat à travers différents axes :
Réduire sa dépendance aux énergies fossiles et sa vulnérabilité à la hausse des prix de carburants en développant les énergies renouvelables et en améliorant l’efficacité énergétique. ;
Garantir des emplois et la relance de l’économie, notamment en réinvestissant les dépenses initialement allouées aux importations de carburants fossiles dans des produits et services européens. À titre d’exemple, l’étude estime qu’en Allemagne, 380 000 emplois ont déjà été créés dans les filières liées aux renouvelables et que l’accélération du rythme et des normes de performances énergétiques pourrait créer 180 000 emplois d’ici 2020 (DIW) ;
Booster l’innovation pour améliorer la compétitivité en développant une approche axée sur les aides, les investissements et les capacités intellectuelles. L’avantage comparatif de l’UE repose davantage sur des biens et services à haute valeur ajoutée, avec un niveau élevé de sophistication ou d’intensité de connaissances[[DG Entreprises et Industrie, Rapport sur la compétitivité européenne, 2013]].
Si la nécessité première des politiques climatiques est la lutte contre le réchauffement climatique, celles-ci sont maintenant amplement justifiées sur le plan économique. Malheureusement, la récente et décevante position de la Commission européenne sur un nouveau paquet « énergie-climat » pour 2030 ne semble pas à la hauteur des défis à relever.
« Staying with the leaders[[Rester dans le groupe de tête]] », c’est à ce prix que l’Europe conservera sa légitimité dans les négociations sur le climat avec les autres parties du monde. Non seulement parce que l’UE doit assumer la responsabilité historique de ses émissions, mais encore parce qu’à force d’en faire moins ou pas assez, d’autres pays auront compris que d’en faire un peu « plus » peut les positionner en tête d’une économie décarbonée.