Quelques jours après le scrutin communal, les hypothèses vont bon train pour mieux comprendre la « vague verte » Ecolo-Groen qui a déferlé sur bon nombre de communes au nord, au centre et au sud du pays, ainsi que la percée notable du PTB dans les villes où il se présentait. Retour de la gauche ? Electorat centré sur des problématiques plus urbaines ? « Air du temps » favorable aux thématiques environnementales ?(1) Chacun y va désormais de son interprétation… jusqu’à tenir parfois des propos à la limite du grotesque, comme lorsque Charles Michel insinue, en bureau politique du MR, que [la RTBF aurait volontairement ouvert son journal de veille d’élections sur les bouleversements climatiques afin de favoriser la montée d’Ecolo !(2)
Difficile d’extrapoler à partir d’élections comportant une dimension locale propre, des enjeux spécifiques, une personnalisation forte, des listes aux appellations diverses dépassant les clivages de partis et de nouvelles dynamiques citoyennes. Il n’empêche, n’en déplaise aux autres présidents de partis qui, dimanche soir, tentaient de garder la face et, surtout, le sourire face caméra, la tendance est claire, les deux vainqueurs, connus : la palette de ces élections communales a indéniablement une couleur de fond verte agrémentée, çà et là, de rouge vif.
Pour mieux comprendre ces résultats, sans doute devons-nous tout d’abord nous départir de nos grilles de lecture habituelles. Comme l’écrivait Véronique Lamquin dans Le Soir du 16 octobre, « on n’est ni de droite ni de gauche quand on réclame un air pur et une alimentation saine pour ses enfants, une mobilité fluide sur le chemin du travail ». Alors que plus de 50% des Belges ne se retrouvent plus dans une orientation gauche/droite(3) , quel sens fait-il encore de penser ainsi les résultats électoraux? L’enquête Noir Jaune Blues l’a bien montré : deux axes neufs permettent de comprendre la structuration nouvelle de l’opinion publique belge : pro-système / anti-système d’une part, ouverture / fermeture (confiance vs peurs pour l’avenir) d’autre part. Aujourd’hui, la population belge, qui semble se répartir autour de ces deux axes en quatre catégories(4) assez équilibrées, parait envoyer un signal clair au crépuscule de ce 14 octobre : un changement de système est nécessaire. Il sera ouvert, inclusif et tourné vers l’avenir, ou au contraire fermé et guidé par la peur du futur et de l’autre (pensons au score du Vlaams Belang à Ninove). Mais changement, il y aura. Indubitablement.
Mais le succès d’Ecolo, c’est aussi en creux, le reflet du silence souvent assourdissant des partis traditionnels face aux enjeux de santé, de climat et d’environnement qui préoccupent nos concitoyens, jeunes (et primo-votants) en tête. L’exemple le plus marquant : le climat. Alors que s’abat depuis le printemps une vague de chaleur et de sécheresse dont nous ne sommes pas encore sortis et qui tue nos agriculteurs à petit feu, qu’ont proposé nos responsables politiques actifs dans les différents exécutifs pour anticiper ces épisodes à l’avenir et tenter de les endiguer ? La réponse est sans appel : rien, ou si peu ! Alors qu’est publié le dernier rapport du GIEC, plus alarmant que jamais, et que Jean-Pascal Van Ypersele, son ancien vice-président, indique sur les ondes matinales qu’une « révolution » est nécessaire, quelle place le Premier Ministre accorde-t-il à l’enjeu climatique, dans sa Déclaration de politique générale présentée le même jour au Parlement fédéral ? Six lignes. 6 lignes sur 38 pages. Fin septembre, alors que la Belgique a une opportunité unique de sortir la tête haute du Talanoa Dialogue Benelux organisé en vue de relever les objectifs climatiques pour s’aligner sur l’Accord de Paris, elle lâche ses partenaires luxembourgeois et néerlandais au dernier moment et refuse une déclaration commune ! On rétorquera que le Plan national énergie-climat réglera tout cela ; au vu des difficultés rencontrées sur le Pacte énergétique, et sans leadership assumé en la matière, il nous sera permis d’en douter.
La Wallonie n’est pas en reste ! Lors de sa rentrée parlementaire, en septembre dernier, MR et CDH refusaient la tenue d’un débat sur le réchauffement climatique et la canicule de cet été, sous prétexte, notamment, que débattre des mesures à prendre ferait le lit électoral d’Ecolo. « S’il fait chaud, ce n’est pas la Wallonie qui pourra changer quoi que ce soit », affirmait Jean-Paul Wahl, chef de groupe MR. Aucun intérêt à tenir un débat « sur la couleur du ciel et l’évolution des températures au niveau mondial », osait Dimitri Fourny, chef de groupe cdH. On croit rêver ! Faut-il rappeler au CDH et au MR qu’ils ont, il y a un an, œuvré à l’adoption en Wallonie d’une résolution climat ambitieuse et qui se voulait un point de départ au changement ? Faut-il leur rappeler que deux ministres MR et une CDH ont le climat dans leurs attributions en Belgique ? Ils pourraient, s’ils s’y investissaient politiquement, et surtout, s’ils étaient portés par la direction de leur parti, se prévaloir d’une vision, d’actions, d’un bilan ! Quant au PS, Elio di Rupo a beau annoncer à peu près chaque année depuis 2015 (au moins) que le PS est devenu « écosocialiste », l’inflexion environnementale des politiques mises en œuvre là où le PS est au pouvoir n’a pas été, à ce jour, mirobolante.
Au-delà du succès électoral des uns face à la défaite des autres et aux preuves que chacun devra désormais fournir sur le terrain face aux confiances accordées, ce scrutin communal permettra peut-être d’ouvrir les yeux des différentes formations politiques sur une conclusion limpide : il faudra désormais compter avec les enjeux environnementaux. « Plus aucun pouvoir politique qui ne ferait de la sauvegarde de la planète sa priorité n’est aujourd’hui crédible » déclarait en substance un appel lancé par 200 personnalités de premier plan en France il y a quelques semaines. Si les cris d’alarme retentissants et répétés des scientifiques, en écho aux appels citoyens et associatifs n’atteignent pas les bureaux des présidents de partis, gageons que le langage des urnes y arrivera davantage. L’avenir de la planète et donc de notre vivre ensemble doit enfin devenir le cœur des politiques qu’elles que soient leur couleur.
Une carte blanche de Celine Tellier, Directrice politique, parue dans Le Soir.
(2) Certains membres du MR reconnaissent eux-mêmes le caractère grotesque de cette affirmation, comme Boris Dilliès, vice-président de la régionale bruxelloise, qui l’affirmait dans le Soir de ce 17 octobre.