C’est parti pour un petit jeu : cherchons ensemble les mesures en faveur du climat dans l’accord Arizona. Attention, il y a des pièges : “climat d’investissement”, “climat entrepreneurial” ou encore “climat des affaires” ne doivent pas nous détourner du but !
Tout d’abord, une première constatation : non, le climat n’est pas complètement tombé aux oubliettes. Le défi climatique est abordé de manière assez transversale dans les différents chapitres de la Déclaration de politique générale (mobilité, santé, énergie,…). Nombreuses sont aussi les mentions de la volonté du gouvernement de « confirmer les engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris, de l’Accord de Montréal sur la biodiversité, du Green Deal et des objectifs européens en matière de climat et d’énergie que la Belgique a approuvés » et de « mettre en œuvre une politique visant à atteindre ces objectifs » (ce qui est rassurant). Sauf qu’en pratique, cela signifie principalement « lutter contre la surréglementation, mettre en place une politique commerciale plus assertive et tenir compte de l’impact du Green Deal sur notre industrie pour garantir notre compétitivité » (ce qui est beaucoup moins rassurant). L’Arizona continue donc dans la lignée de la petite musique vantant la dérégulation que nous entendons fortement au niveau européen. Inquiétant, alors que le premier Baromètre de la transition du SPF Santé Publique épinglait il y a quelques mois à quel point la Belgique était loin de la trajectoire nécessaire pour atteindre lesdits objectifs.
Le Plan national énergie climat 2030 (non encore remis officiellement à la Commission européenne) manque, lui aussi, les objectifs en visant une réduction des émissions de 42,6% au lieu de 47% pour 2030 (pour les secteurs liés par exemple au logement ou à la mobilité). Et pourtant, l’Accord de gouvernement ne nous rassure pas : le Plan sera réexaminé « en tenant compte de la réalité économique, de la compétitivité de nos entreprises, des objectifs européens et du pouvoir d’achat de nos citoyens ». C’est regrettable que les négociateurs aient “manqué” les nombreuses études prouvant que les pertes de revenus et coûts dus au changement climatique sont considérablement plus élevés que les coûts nécessaires pour limiter celui-ci à 2°C (au moins 6 fois dans cette étude 1 parue dans Nature l’année dernière). Suggérons au nouveau ministre du climat, Jean-Luc Crucke, de ne pas trainer à rendre sa copie, puisque celle-ci était due en juin…2024.
Quelques points positifs néanmoins : les majorités des gouvernements régionaux étant composés des mêmes partis qu’au gouvernement fédéral, il est probable que la politique interfédérale sorte de ses blocages récurrents qui ont rendu la coordination de la politique climatique belge presque impossible. C’est d’ailleurs mentionné dans l’Accord. En ce qui concerne les bâtiments, quelques mesures encourageantes sont annoncées : la réduction de la TVA à 6% sur les pompes à chaleur est prolongée pour les 5 prochaines années. En même, temps, la TVA sur l’installation d’une chaudière fossile passe à 21% (au lieu de 6%), mais uniquement en cas de rénovation (et non de simple remplacement). Ou encore, le processus décisionnel dans les immeubles à appartements en copropriété sera modifié pour supprimer des freins à la rénovation énergétique et à l’installation d’énergie renouvelable.
L’investissement dans une pompe à chaleur est donc favorisé grâce à une TVA réduite. Mais est-ce suffisant pour entrainer la tant attendue électrification du chauffage ? Pour cela, il aurait fallu que le gouvernement s’engage fermement sur un tax shift (transfert d’une partie des accises de l’électricité vers les combustibles fossiles), au lieu d’un timide et indécis : « Le gouvernement favorisera la décarbonation de la consommation et recherchera comment concrétiser un signal de prix favorable à l’électricité et aux combustibles neutres en carbone et défavorable aux combustibles fossiles ».
A côté de la décarbonation de la chaleur, la rénovation des bâtiments est également indispensable pour limiter les consommations. Le gouvernement fait ici un choix vraiment regrettable (mais pas inattendu) : « Pour soutenir une politique de rénovation forte dans les Régions, il est essentiel que les projets exécutés par des professionnels puissent également être commercialisés au taux de TVA réduit de 6% pour démolition et reconstruction. C’est la raison pour laquelle nous menons une politique très claire, sans exception, et dans le cadre de laquelle la démolition et la reconstruction bénéficient d’un taux de TVA à 6 % s’appliquant à tous ». Y compris aux promoteurs donc, qui en étaient jusqu’ici exclus. Or, rien ne justifie que la démolition-reconstruction ne soit favorisée pour de prétendues raisons environnementales. C’est bien le contraire : la démolition-reconstruction présente toujours un bilan environnemental inférieur (voir égal dans de rares cas selon certains indicateurs) à la rénovation2.
Au chapitre des occasions manquées, la palme revient aux 15 milliards de subventions aux énergies fossiles (dont la majorité ne pas des aides sociales, au contraire de ce qu’on essaie parfois de faire croire) : Le Gouvernement examine quelles subventions fossiles peuvent être réduites, sur quel délai réaliste un phasing-out peut avoir lieu, et ce sans générer d’impact économique négatif et sans avoir d’impact négatif sur le pouvoir d’achat ou sur les charges des entreprises ». Encore une étude ? N’est-il pas temps d’appuyer sur l’accélérateur ? D’autres opportunités sont également ratées, comme celle de limiter la publicité pour les produits contribuant largement à la crise climatique (comme les SUV ou les vols en avion) puisqu’absolument aucune mention n’en est faite. En Wallonie, la ministre Jacqueline Galand parle même de réinstaurer la publicité dans la matinale de la Première… Enfin, alors qu’il est grand temps de quitter pour de bon le Traité sur la charte de l’énergie (un traité totalement incompatible avec nos objectifs climatiques), l’Arizona annonce « réfléchir, en concertation avec les Régions, à l’opportunité de sortir du traité ». Que de faiblesse dans la formulation, alors que l’UE, elle, a notifié sa sortie en juin dernier.
Le soutien à l’industrie est crucial, mais il faut éviter le saupoudrage des moyens publics disponibles et soutenir les entreprises qui investissent dans la transformation de l’outil. Nous sommes donc heureux de lire que le Gouvernement « étudie avec les Regions comment lier (les baisses de factures pour les industries) à un effort équivalent de décarbonation » dans les entreprises. Un point positif, donc, mais aussi une étude de plus pour notre gouvernement! En espérant, encore une fois, qu’il parviendra à transformer l’essai dans un calendrier ambitieux.
Le dérèglement climatique est déjà là, et, visiblement, la tendance des émissions belges ne risque pas d’être bouleversée dans les 5 prochaines années. Est-ce qu’au moins l’Arizona prévoit des mesures d’adaptation dans tous les secteurs pour renforcer notre résilience face aux manifestations de plus en plus fortes des dérèglements climatiques ? Et ceci en assurant des mécanismes de solidarité en Belgique, en Europe et dans le reste du monde ? En ce qui concerne le reste du monde, la réponse est évidente puisqu’il est décidé de réduire de 25% le budget de la Direction générale coopération au développement… En Belgique, la déclaration reconnait que nous devons « évoluer vers une société neutre sur le plan climatique, adaptée et préparée aux conséquences du changement climatique (adaptation climatique). » Et en pratique ? Sensibilisation de la population au changement climatique, évaluation de la gestion de crise si nécessaire, espaces climatisés disponibles lors de vagues de chaleur prolongées, mobilisation de l’armée plus rapides lors de catastrophes climatiques majeures… Aucune vision systémique, aucune mention des solutions basées sur la nature.
- Kotz, M., Levermann, A., & Wenz, L. (2024). The economic commitment of climate change. Nature, 628(8008), 551-557.
- Saade MRM, Guest G, Amor B, Comparative whole building LCAs: How far are our expectations from the documented evidence?, Building and Environment(2019), doi: https:// doi.org/10.1016/j.buildenv.2019.106449.