Climat : remèdes anti-doutes

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Ces dernières années, une poignée de personnes font entendre dans les médias belges francophones des critiques remettant en cause l’origine humaine du réchauffement climatique[Voir par exemple récemment « Les marchands de l’Apocalypse climatique sont de retour », [carte blanche par István E. Markó publiée dans l’Echo le 7/10/2014]]. Les attaques sont variées[Voir [cet article ]] : critiques du GIEC et de son fonctionnement, reproches sur la partialité des médias et des politiques dans le relais des informations climatiques, refus des mesures visant à minimiser les changements climatiques et bien entendu, remise en cause des fondements scientifiques de la théorie du réchauffement climatique. Avec la publication de la synthèse du 5e rapport du GIEC dimanche dernier, on peut s’attendre à voir refleurir leurs critiques. Les arguments avancés sont nombreux et il n’est pas si facile pour « Monsieur et Madame tout le monde » – ni même pour les médias – de discerner la tromperie dans ces arguments appuyés par des « faits » (tronqués), parés de l’autorité que confère une « démarche scientifique de doute » (sélectif), avec pour noble cause d’alimenter le « débat démocratique » (et de freiner toute action politique !). A titre surtout illustratif, nous allons analyser plus particulièrement trois contre-vérités fréquemment avancées en matière de science du climat. La dernière partie de cet article listera une série de ressources disponibles sur internet qui fournissent des réponses accessibles et détaillées au sujet des questions controversées.

Tromperie 1 : « la température n’a plus augmenté depuis 1998 »

Comparer les données climatiques par rapport à une année n’a pas de sens. Le « plateau de température » auquel les climatosceptiques font référence est un parfait exemple de démarche non-scientifique. Le climat planétaire est caractérisé par une grande variabilité interne. L’année 1998 par exemple a été particulièrement chaude en raison d’une manifestation très forte du phénomène El Nino par lequel (pour faire simple) les océans restituent beaucoup de chaleur à l’atmosphère. Le choix de l’année 1998 comme référence n’a rien d’innocent : si l’on prend la suivante (1999, environ 0,2°C moins chaude), les conclusions que l’on peut tirer sont très différentes. Les climatologues étudient donc des périodes de référence beaucoup plus longues (typiquement 30 ans) pour discerner des tendances dans un système qui change en permanence. En prenant en compte les moyennes sur des périodes de dix ans, le réchauffement saute directement aux yeux.

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Figure 1 : Source du graphique http://sites.uclouvain.be/teclim-conferences/Climat/Temperature_2012.html
Source des données : http://data.giss.nasa.gov/gistemp/graphs_v3/
Période de référence : 1951 – 80
Les périodes de 10 ans sont choisies de sorte que la dernière s’arrête en 2012.

Par ailleurs, les températures de surface dont il est question ici ne sont qu’un des indicateurs de l’état du système climatique. L’étude du climat prend en considération de nombreux autres facteurs : couverture neigeuse, état de la banquise et des glaciers, niveau des mers, température et acidification des océans, etc. L’ensemble de ces indicateurs converge et atteste que le réchauffement du climat se poursuit.

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Figure 2: Différents indicateurs observés des évolution du climat du globe.
Source: GIEC, Changements climatiques 2013. Les éléments scientifiques. Résumé à l’intention des décideurs, p. 8

Tromperie 2 : « l’augmentation du CO2 suit l’augmentation de la température. Le CO2 ne pourrait donc pas logiquement être la cause du réchauffement climatique. »

Les climatosceptiques justifient cette affirmation sur base du décalage entre le CO2 et la température dans les carottes de glace de Vostok à l’échelle des glaciations (100.000 ans). Ce que les climatosceptiques se gardent d’expliquer ici c’est que toutes les variations climatiques du passé ne sont pas dues au CO2[[Ce qui n’empêche pas par ailleurs les climatosceptiques d’invoquer d’autres facteurs pour expliquer le réchauffement actuel (soleil, volcans, courants océaniques,…)]] et que le CO2 et la température s’influence mutuellement. L’élément déclencheur des déglaciations sont les variations de l’orbite terrestre qui modifient l’ensoleillement reçu par la Terre. L’augmentation de la température qui en résulte a pour conséquence un dégazage de CO2 par les océans[[La solubilité du CO2 dans l’eau diminue avec la température (c’est pour cela qu’on garde les boissons gazeuses au frais !)]], qui vient à son tour amplifier le réchauffement. Les variations des températures lors des cycles glaciation-déglaciation ne pourraient en fait pas s’expliquer sans l’effet amplificateur du CO2. L e « retard » du CO2 lors des déglaciations ne contredit pas l’effet de réchauffement du CO2, comme l’affirment les climatosceptiques. Au contraire, il fournit une preuve de sa rétroaction climatique positive.

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Figure 3 : Reconstitution de la température et du CO2 sur les 400 000 dernières années à partir des carottes de glace à Vostok. Source : http://www.skepticalscience.com/co2-lags-temperature.htm

Tromperie 3 : « la théorie du changement climatique se base sur des modèles, forcément approximatifs étant donné la très grande complexité des interactions qui régissent notre climat. Ces modèles ne prouvent donc rien du tout. »

Cette affirmation est trompeuse car la théorie du changement climatique ne se base pas sur des modèles mais sur de nombreuses observations concordantes de réchauffement de notre système climatique dont la meilleure explication à ce jour est l’augmentation observée des concentrations des gaz à effet de serre anthropiques. L’effet de serre du CO2 est un phénomène physique connu depuis longtemps. Svante Arrhenius (1859-1927) fut un des pionniers de la théorie du changement climatique, et il n’a évidemment jamais vu d’ordinateur. Des mesures répétées en laboratoire, et appuyée par les observations de l’atmosphère au sol ou par satellite ont montré clairement que le CO2 piège la chaleur. Aucun autre facteur naturel ne permet d’expliquer le réchauffement récent.

Les modèles climatiques n’ont effectivement pas pour objectif de prouver la théorie mais permettent plutôt d’explorer différents scénarios : que se passerait-il, par exemple, si la concentration de CO2 dans l’atmosphère venait à doubler ? Cependant, le fait que certains modèles, qui existent depuis suffisamment longtemps, ont fait des prévisions qui se sont révélées exactes[[Par exemple, l’éruption du Mont Pinatubo a permis aux modalisateurs de tester l’exactitude de leurs modèles en ajoutant à ceux-ci les données provenant de l’éruption. Les modèles ont alors prédit avec exactitude la réponse climatique suite à l’explosion volcanique. (source : http://www.skepticalscience.com/climate-models-basic.htm)]] vient renforcer la crédibilité de la théorie.

Le scepticisme en science est sain. C’est d’ailleurs sur le doute méthodique qu’est fondée la science. Un scepticisme authentique signifie la prise en compte de tous les indices avant de tirer des conclusions. Les trois arguments climatosceptiques analysés dans cette article illustrent la démarche contraire: épingler certains faits (la température n’a plus augmenté depuis 1998, l’augmentation de la température a précédé celle du CO2 lors des déglaciations, les modèles climatiques sont approximatifs) et les sortir leur contexte pour en détourner l’interprétation.

Ressources

Si les arguments climatosceptiques ne passent pas la barre des publications scientifiques à comité de lecture[[Voir notamment l’analyse réalisée par Naomi Oreskes sur un échantillon de 928 résumés d’articles publiés dans des revues scientifiques à comité de lecture entre 1993 et 2003 : aucun article ne réfute la théorie du changement climatique. Naomi Oreskes (2004) « The scientific consensus on climate change : how do we know we are not wrong?” http://www.sciencemag.org/content/306/5702/1686.full]] qui font référence dans le monde scientifique, il n’est pas si facile pour « Monsieur et Madame tout le monde » – ni même pour les médias – de discerner la tromperie dans ces arguments appuyés par des « faits » (tronqués), parés de l’autorité que confère une « démarche scientifique de doute » (sélectif), avec pour noble cause d’alimenter le « débat démocratique » (et de freiner toute action politique !). Il existe heureusement de nombreux sites internet avec des réponses et des explications claires et accessibles pour venir à la rescousse du profane. En voici quelques uns ci-dessous.

Ressources générales en français

  Centre de recherche sur la Terre et le Climat Georges Lemaître de l’UCL
Le site présente une série de ressources pour comprendre les changements climatiques et contrer les idées fausses
http://www.elic.ucl.ac.be/modx/elic/index.php?id=315.
Le centre développe également un site « Remettons les pendules à l’heure » qui fournit des informations de base en matière de changements climatiques et répond aux principales erreurs et contre-vérités fréquemment répandues par des non-spécialistes et/ou dans certains médias
http://sites.uclouvain.be/teclim-conferences/Climat/Introduction.html

  www.climat.be
Le site du service fédéral changements climatiques présente des informations complètes et accessibles sur les changements climatiques, les politiques publiques de lutte contre les changements climatiques menées aux niveaux international et belge ainsi que les actions qui peuvent être prises au niveau individuel.

  Le climat change
Ce site internet de vulgarisation proposé par le Réseau Action Climat France présente une synthèse complète et illustrée du dernier rapport du GIEC ainsi que 20 questions/réponses sur les changements climatiques
http://leclimatchange.fr

  ClimObs
Ce site développé par Universcience, l’établissement public né de la fusion du Palais de la découverte et de la Cité des sciences et de l’industrie (France) a pour objectif de constituer la référence francophone dans le domaine des indicateurs du changement climatique avec le soutien d’un réseau de référents scientifiques
http://www.universcience.fr/climobs/

  Climato-scepticisme : le guide scientifique par John Cook sur le site skepticalscience.com
Ce guide d’une quinzaine de pages a été rédigé par le rédacteur en chef du blog Skeptical Science (voir ci-dessous) avec la contribution de climatologues. Il présente les arguments développés par les sceptiques et propose des contre-arguments scientifiques dans un langage accessible, appuyés par de nombreuses références scientifiques.
http://www.skepticalscience.com/docs/Guide_Skepticism_French.pdf

Ressources sur les climatosceptiques belges

Un Collectif climatosceptique belge « 15 vérités qui dérangent »[[Sous la direction « scientifique » du Pr Itsvan Marko et incluant Anne Debeil, Ludovic Delory, Samuel Furfari, Drieu Godefridi, Henri Masson, Lars Myren, et Alain Préat.]] a publié récemment (mai 2013 et 2e édition en avril 2014) une « véritable bible du « climato-scepticisme », qui fait la synthèse des arguments qui réfutent les thèses dominantes dans le domaine climatique. ». Les ressources ci-dessous analysent plus particulièrement leurs arguments.

  Comment les climatosceptiques vous manipulent, Pierre Courbe, IEW
Cet article analyse 10 tromperies du Collectif climatosceptique belge avec une attention particulière aux techniques de langage manipulatrices utilisées.
http://www.iew.be/spip.php?article6105

  Note de lecture ‘Climat: 15 vérités qui dérangent’, Alexis Merlaud
Cette note de lecture, très complète, rédigée par un chercheur à l’Institut d’Aéronomie Spatiale de Belgique, expose d’abord 15 contre-vérités qui démontrent qu’au sujet de la science du climat, le livre contient trop d’approximations ou d’erreurs pour être pris au sérieux. La note se penche ensuite sur l’épistémologie des auteurs ainsi que sur les sources utilisées. Selon Alexis Merlaud, l’information principale du livre n’y est pas exprimée assez clairement et pourrait se résumer ainsi : il y a une forte incompatibilité pratique entre la croyance en l’efficacité du marché libre et la théorie scientifique du changement climatique anthropique.
http://arxiv.org/abs/1404.1783

Ressources générales en anglais :

  Le 5e rapport du GIEC
Le 5e rapport d’évaluation du GIEC est évidemment la « bible » de l’état des connaissances actuelles sur le climat. Ce 5e rapport comme les précédents est composé de 4 publications : 1) les fondements scientifiques ; 2) les impacts, l’adaptation et les vulnérabilités ; 3) l’atténuation et 4) un rapport de synthèse qui vient d’être publié. Chacune de ces publications est accompagnée par un « résumé pour les décideurs », traduit en français, d’une trentaine de pages. Les sections FAQ, également particulièrement utiles, présente les principaux concepts et erreurs de compréhension dans un langage simple.
http://www.ipcc.ch/report/ar5/index.shtml

  Skeptical Science
Ce site démonte plus d’une centaine d’arguments climatosceptiques à partir de données scientifiques mises à jour et d’articles scientifiques à comité de lecture. Le site propose différents niveaux d’explication : «de base», «intermédiaire» et «avancé».
http://www.skepticalscience.com

  RealClimate
RealClimate est un site écrit par des climatologues pour un public intéressé par la thématique. Le site commente les sujets scientifiques traités actuellement par les médias traditionnels, les nouveaux articles scientifiques, les événements majeurs dans le débat sur le climat, etc. Il est écrit à un niveau raisonnablement technique.
http://www.realclimate.org/

  The Carbon brief
Le site traite des derniers développements de la science du climat et de leur couverture médiatique. Les politiques énergétiques sont aussi commentées avec un focus particulier sur le Royaume Uni. Leur page « ressources » présente de nombreuses autres ressources en anglais sur les changements climatiques.

Cécile de Schoutheete

Anciennement: Développement durable & Énergie