Les impacts de l’aviation sur le climat sont importants, mais généralement mal connus du grand public. Dans ce contexte, des contre-vérités sont parfois énoncées à leur sujet. C’est notamment le cas de plusieurs affirmations de l’économiste Geert Noels dans les colonnes de l’Echo du 27/2/19. Plus fondamentalement, le rapport de nos sociétés à l’aviation est un révélateur particulièrement aigu de nos contradictions et dénis de réalité.
Il n’y a pas que le CO2
Geert Noels affirme que l’aviation est responsable de 2% des émissions mondiales de CO2. Il reprend ainsi à son compte une information tronquée, couramment utilisée par l’industrie aéronautique pour minimiser l’impact du secteur.
En réalité, l’aviation et responsable d’environ 5 % de l’impact humain sur le climat. Car au-delà du CO2, il existe d’autres mécanismes importants par lesquels les avions influencent le climat : émissions d’oxydes d’azote, trainées de condensation (dont la persistance temporaire influence la nébulosité), aérosols et particules polluantes, etc. [1] [2]. Ces « effets non-CO2 » sont décrits dans les rapports du GIEC, mais échappent jusqu’à présent à toute régulation.
Vu la croissance rapide du secteur aérien (passagers et marchandises), les émissions de gaz à effet de serre liées aux vols intra-européens ont plus que doublé depuis 1990. Ce qui fait de l’aviation un des seuls secteurs dont l’impact climatique continue à croitre fortement en Europe.
« Si l’aéronautique était un pays, il serait le 20ème du monde en termes de PIB », se réjouit notre économiste. Mais si l’aéronautique était un pays, il serait le quatrième du monde en termes d’impact climatique…
1 city trip à Barcelone = 3 mètres carrés de banquise en moins
Geert Noels affirme ensuite que « dans la plupart des calculs, le train se classe un tout petit peu mieux que l’avion [au niveau climatique], mais pas toujours ». Il semble qu’il confonde énergie et impact climatique, vu l’article de presse qu’il mentionne comme source. Quoiqu’il en soit, les chiffres de l’Ademe ou de l’Agence Européenne de l’Environnement lui donnent tort, avec un impact climatique par passager 10 à 50 fois moindre pour le train que pour l’avion.
Pour rendre les choses concrètes, l’impact climatique d’un aller-retour Bruxelles-Barcelone en avion pour deux personnes équivaut à 1 tonne de CO2. Cela correspond à l’empreinte carbone moyenne annuelle d’un habitant du Honduras ou du Pakistan par exemple (en Belgique on est à 10 tonnes annuelles de CO2/habitant). En termes d’impact, la tendance observée depuis les années 1950 est que, pour une tonne de CO2 émise par l’humanité, la banquise Arctique a perdu définitivement 3 m2 de surface [3]. Ceci n’étant qu’un des multiples effets : le CO2 émis participe aussi et en même temps aux vagues de chaleur, à la montée des océans, au renforcement des ouragans, à la disparition du corail, etc.
La place manque ici pour corriger toutes les contre-vérités de Geert Noels, qui sort à nouveau de son domaine d’expertise lorsqu’il discute de l’impact climatique comparatif des frigos et des avions, mais l’on peut regretter deux choses : 1) à aucun moment Geert Noels ne signale ses intérêts directs ou indirects liés au secteur aérien quand il s’exprime sur ces questions (son entreprise Econopolis est en partenariat privilégié avec Brussels Airlines), 2) toute opinion est légitime, mais l’on attend d’une presse de qualité qu’elle veille à ce que les éléments factuels présentés dans ses colonnes ne soient pas faux.
Oser sortir de la schizophrénie – #FlyLess
Les lois de la physique sont dures.
Beaucoup d’entre nous ont du mal à l’admettre, mais il existe certaines activités dont l’impact climatique n’est gérable, à court terme, qu’en réduisant le volume de ces activités. L’aviation est un cas emblématique. Ni les rêves d’électricité, de biocarburants ou de kérosène de synthèse ne changent la donne : les batteries sont trop lourdes, les carburants liquides alternatifs trop peu disponibles et largement inefficaces pour les effets non-CO2 de l’aviation. L’insuffisante action climatique des dernières décennies nous met au pied du mur : les émissions doivent aujourd’hui baisser rapidement dans tous les secteurs, ce qui signifie une contraction pour ceux qui ne peuvent être techniquement décarbonés. Nous ferions bien de nous y préparer.
Ce n’est, heureusement, pas le cas de toutes les activités humaines : il est ainsi techniquement possible de se loger confortablement dans une maison bien isolée et alimentée par de l’énergie renouvelable sans peser sur le climat. Il est aussi possible de se nourrir sainement avec un impact climatique réduit, et d’avoir toutes sortes de loisirs bas carbone. Mais il n’est pas techniquement possible de continuer à transporter 4 milliards de passagers, comme l’a fait l’aviation mondiale en 2017, sans mener notre planète vers l’abime.
C’est pour cette simple et bonne raison, qu’un nombre croissant de personnes choisit de renoncer, de plus en plus fréquemment, à prendre l’avion. Dans certains milieux académiques notamment, les slogans #FlyLess et #FlyingLess se répandent. Avec des exemples comme le climatologue Kevin Anderson, la militante Greta Thunberg, ou chez nous, le juriste Olivier de Schutter qui ont annoncé leur intention de ne plus prendre l’avion. Après tout, 9 humains sur 10 n’ont jamais pris l’avion.
L’avion est un mode de transport formidable à certains égards, mais les lois de la physique font que son développement massif détruit, en ce moment même, notre avenir. Heureusement, il est possible d’améliorer sa satisfaction personnelle et de bien vivre en prenant moins l’avion. Certains choisissant même de s’en passer totalement.
Références :
[1] Transport & Environment (2018). Aviation: 2 to 3 times more damaging to the climate than industry claims. https://www.transportenvironment.org/news/aviation-2-3-times-more-damaging-climate-industry-claims
[2] Rapport du GIEC : IPCC AR4 WGI Chapter 2.6 & Table 2.9
[3] Notz, Dirk & Stroeve, J.C. (2016). Observed Arctic sea-ice loss directly follows anthropogenic CO2 emission. Science. 354. 10.1126/science.aag2345. https://science.sciencemag.org/content/354/6313/747