Dès le début de la législature, le ministre Benoît Lutgen a remis sur le métier la révision du code forestier. Après trois ans de législature, une note d’orientation a été adoptée par le gouvernement. En fait d’orientations, peu de chose hormis un toilettage du texte. Gageons que cette note d’orientation puisse maintenant s’enrichir du résultat des concertations organisées par le ministre.
Déjà, fin des années 90, un premier projet de révision du code était sur les rails. Mais il n’avait, faute de temps, pu aboutir. En fin de législature précédente, le projet porté par José Happart a été recalé par son ministre président face la légitime contestation provoquée. Ce projet ouvrait nos forêts aux motorisés tout en limitant l’accès des usagers doux…
De « simple » dossier, le code forestier est devenu un symbole… Après quelques effets d’annonce en début de législature, l’actuel gouvernement wallon a enfin accouché d’une… note d’orientation. Outre une légère amélioration des dispositions relatives à la circulation et l’introduction, comme l’avait fait son prédécesseur, de la gestion durable des forêts, cette note n’apporte que peu de nouveautés par rapport aux enjeux reconnus de la forêt wallonne. Ne nous y trompons pas: à l’analyse, nous nous n’avons toujours affaire qu’à un dépoussiérage, le troisième du genre !
De très timides avancées…
Forte de l’expérience malencontreuse de son prédécesseur, la note renforce significativement le décret de 95 sur la circulation en forêt, une consolidation qui fait suite aux mesures prises par le Ministre pour contrôler l’expansion des sports moteurs. La note reconnaît en outre la nécessité d’ouvrir la forêt plus largement aux mouvements de jeunesse et envisage de définir des zones qui leur soient plus accessibles. La fonction sociale des forêts serait donc coulée dans le bronze. Juste reconnaissance quand la moitié des belges francophones se rendent en forêt au moins une fois par mois.
La note envisage également la suppression de dispositions désuettes et intègre quelques bonnes pratiques sylvicoles. On peut aussi se féliciter de voir que les agents de la DNF pourront exercer leur rôle de police sur tout le territoire wallon ainsi qu’en forêt privée… Le projet apporte aussi quelques mesures pour préserver la capacité de production des forêts en limitant la taille des coupes à blanc, la destruction des sols… pratiques révolues depuis longtemps ailleurs. La note prévoit enfin de limiter la régénération des forêts aux espèces adaptées aux conditions écologiques locales, du bon sens qui sera maintenant d’application.
De somptueux cadeaux aux propriétaires…
Le projet prévoit également de substantiels fiscaux aux propriétaires forestiers en supprimant les droits de succession sur la valeur des « bois sur pied ». Un cadeau de près de 5 millions d’Euros. Comment comprendre de telles largesses alors que le revenu de la forêt est à la hausse, notamment du fait des politiques publiques de promotion du bois comme énergie renouvelable. Une priorité qui échappe au bon sens… à moins qu’elle ne soit assortie de réelles contreparties qui profiteraient à la société. A ce stade, c’est peanuts… mais la défiscalisation pourrait encore être limitée aux seules forêts feuillues ou sujette à des mesures plus spécifiques. Attendons de pouvoir consulter le projet de décret.
Une absence de prospective pour un code qui fut pourtant révolutionnaire
Les menaces qui pèsent sur l’avenir de nos forêt sont nombreuses : les surpopulations de gibier empêchent la régénération de nos forêts, les changements climatiques menacent leur développement et la qualité de la biodiversité forestière régresse. Des enjeux connus et reconnus, à travers notamment le tableau de bord de l’environnement sans qu’ils ne soient aucunement intégrés au projet du gouvernement.
Le déséquilibre forêt – faune sauvage (entendez gibier)
Visionnaire, le code forestier de 1854 a transformé une forêt incapable de se régénérer naturellement en interdisant le pâturage des sous-bois et lui a donner une vocation productive en adéquation avec les besoins de son époque. Des décisions qui furent pourtant difficiles ! 150 ans plus tard, nos forêts sont à nouveau menacées par ce problème causé cette fois par les trop fortes densités de gibiers. A un point tel que la forêt wallonne ne sait plus se régénérer naturellement ! Cet équilibre constitue pourtant l’un des enjeux principaux de la révision du code forestier et de la loi sur la chasse, un enjeu qui conditionne également le statut de la biodiversité…
Ainsi, le Tableau de Bord de l’environnement wallon (TBE) relève : « Une gestion forestière durable nécessite le maintien d’un équilibre forêt–gibier, qui permet de limiter les dégâts aux arbres et à la régénération. Or, les populations de grands ongulés ont considérablement augmenté au cours des
dernières décennies (depuis 1980, l’effectif de sangliers a triplé, ceux des chevreuils et cerfs ont doublé). (…) Les volumes endommagés en épicéas peuvent être chiffrés à plus de 6 millions de m3, soit 13,4 % du matériel sur pied.» Le TBE conclu également en affirmant : « Les dégâts occasionnés par les ongulés sauvages entraînent non seulement des pertes de revenus mais empêchent également l’évolution vers une gestion plus écologique de la forêt où la régénération naturelle serait privilégiée et où la proportion de feuillus serait plus importante, avec une diversité des essences plus élevée. Un contrôle plus sévère des populations d’ongulés est nécessaire, de même qu’un développement plus important du sous-étage forestier et des zones de quiétude. »
Des colosses au pied d’argile
Les changements climatiques affecteront aussi la forêt wallonne. S’il reste difficile de dire avec précision ou certitude comment ces changements affecteront les plantations réalisées aujourd’hui, certaines mesures peuvent limiter les risques. Ainsi, les forêts mélangées permettent des compensations entre espèces favorisées et défavorisées par l’évolution du climat. Par ailleurs, certaines essences seront demain « hors station ». Planter aujourd’hui des monocultures d’épicéas constitue plus que vraisemblablement un erreur, sa croissance ne pouvant être assurée à cause du réchauffement. Sans que le code ne prévoie de mesure concrète, il convient de souligner qu’un comité scientifique a été mis en place à l’initiative du ministre pour suivre cette question.
Une biodiversité qui reste malmenée
Le précédent code, s’il a donné des résultats en terme de production, a également modifié profondément la forêt puisque près de 100.000 ha de forêt feuillue ont cédé leur place à des monocultures de résineux… Indépendamment de cette perte directe de biodiversité, les forêts « naturelles » ne sont pas mieux loties. Ainsi, les sites Natura 2000 en forêt se trouvent pour la plupart dans un mauvais état de conservation… Des mesures s’imposent pour conserver l’état de la biodiversité, voire simplement la conserver. Ce devrait être un des enjeux phare de ce code car ni la certification PEFC ni même Natura 2000 n’apportent l’espoir d’améliorer la situation. Pourtant les mesures à mettre en place pour améliorer la biodiversité permettent également d’améliorer la capacité d’accueil des forêts pour la faune sauvage et répondent aux risques liés aux changements climatiques. Ainsi, les forêts d’essences indigènes, d’essences et d’âges mélangées, les lisières feuillues,… rencontrent ces différents objectifs. Elles ne suffisent cependant pas puisqu’il est nécessaire de mettre en place un réseau cohérent et représentatif d’aires protégées. Là encore, le TBE fait ce constat dans le chapitre relatif à la faune, la flore, les habitats.
Une réforme cosmétique pour un effet d’annonce…
Introduire la notion de développement durable dans le code est louable. Autre chose est de la rendre effective. C’est un peu court d’en faire un élément décoratif, sans incidence sur la gestion forestière wallonne… immobile et immuable ! Espérons que ce projet évolue, à l’aune des concertations en cours et qu’il intrègre les enjeux actuel. L’urgence écologique est bien là !