La révision du CWATUPE est (enfin) sur les rails. Une lecture attentive du texte proposé empêche toutefois de se réjouir tant l’angle choisi pour cette révision pose question.
Un des grands chantiers de la législature, la révision du CWA- TUPE (Code Wallon de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme, du Patrimoine et de l’Energie), s’est accélérée depuis le 18 avril 2013. Ce jour-là, le Gouvernement wallon adopta en première lecture l’avant- projet de décret instaurant le CoDT (Code du Développement Territorial).
C’est peu dire que la lecture de ce CoDT interpelle. Partant du constat qu’il y avait trop de règles dans le CWATUPE, au lieu d’améliorer le contenu et l’articulation de celles-ci, le Gouvernement wallon a décidé de supprimer leur caractère fonctionnel.
Ce qui nous conduit vers un texte moins réglementaire et plus indicatif, un changement qui est tout sauf anodin.
Aménager le territoire, c’est organiser au mieux la coexistence des acteurs, dans le sens de l’intérêt général. Il faut pour cela oser aller au-delà des intérêts individuels. Le texte approuvé en première lecture ne nous semble malheureusement pas imprégné de cette détermination politique nécessaire, de cette direction assumée consubstantielle à l’action publique. La réécriture du CWATUPE semble remettre en cause ce qui a fait l’essence même de l’aménagement du territoire wallon depuis trente ans. A moins d’un revirement réel en deuxième et troisième lectures, cette révision apparaît comme une occasion manquée de répondre à des enjeux cruciaux, dont la participation citoyenne et la protection de l’environnement. Pire, cette réécriture pourrait augurer une dégradation réelle, tant dans l’ambition des politiques d’aménagement du territoire que dans le niveau de protection de l’environnement en Wallonie.
Au revoir, aménagement du territoire ?
Le système d’aménagement du territoire hybride du CWATUPE prévoyait que les outils d’orientation tels que schéma de développement de l’espace régional, schéma de structure communal, rapport urbanistique et environnemental, éclairent et orientent les documents contraignants que sont les plans de secteur, plans communaux d’aménagement, règlements régionaux et communaux d’urbanisme…
Le CoDT adopté en première lecture suit un tout autre paradigme : les pouvoirs publics mettent en place un cadre planologique essentiellement indicatif. Les règlements d’urbanisme sont remplacés par des « guides », les plans communaux et les rapports urbanistiques et environnementaux deviennent les « schémas d’urbanisation ». Le schéma de structure communal, déjà indicatif, est quant à lui converti en « schéma de développement communal ». Le CoDT conférerait valeur réglementaire à deux objets planologiques, désormais distincts au niveau de leurs modalités d’élaboration: d’une part, le plan de secteur et, d’autre part, une liste revue et corrigée de périmètres, incluant le tout nouveau « périmètre U ». Seraient également conservées des normes contraignantes techniques qui jouiraient d’un statut particulier dans l’ensemble des ex-règlements régionaux et communaux d’urbanisme devenus guides et donc indicatifs.
Sans aller plus loin dans l’analyse, on peut donc noter avec étonnement que les normes urbanistiques, qui permettent aux communes de veiller à la cohérence de leur bâti, ne sont désormais plus qu’indicatives…
Au travers de ce changement de paradigme se profile une question : le Gouvernement wallon veut-il toujours faire de l’aménagement du territoire ? Il a décidé de parler dé- sormais d’« urbanisme de projet ». Mais l’avant-projet de Code dote-t-il tous les niveaux de pouvoir des outils leur permettant de s’organiser et d’arbitrer les divergences entre les intérêts? Au jeu de la « main invisible », pas sûr que le plus faible triomphe… Ce qui paraît certain, par contre, c’est que le texte dans son état actuel diminue la capacité des pouvoirs publics, régionaux et communaux, à faire de l’aménagement du territoire. Cette quasi-disparition du cadre à valeur contraignante aura des implications en matière d’instruction et de délivrance des permis. En effet, on ne déroge pas à un document d’orientation, on s’en « écarte » et l’« écart » astreint à respecter la philosophie générale de l’outil mais pas ses dispositions en tant que telles. On peut/on doit s’interroger sur l’utilisation qui sera faite de ce nouveau paradigme et, partant de là, sur ce qu’il permettra in fine de laisser faire. Faut-il voir là de la naïveté ou un choix délibéré de déréguler l’aménagement du territoire ? Toujours est-il que l’avant-projet de texte institutionnalise une politique du cas par cas, la mise en place d’une législation d’opportunité, encore plus opaque qu’aujourd’hui. Or, l’opacité, c’était un reproche unanime à l’égard du CWATUPE lors de son évaluation…
Si le Gouvernement a considéré que le CWATUPE contenait trop de règles et des règles de mauvaise qualité, cela n’impliquait pas pour autant de les éliminer de but en blanc, ni de les commuer en un arsenal indicatif dont les dispositions, largement sujettes à interprétation, présagent d’une grande difficulté à manier le prescrit pour tous ceux dont ce sera la tâche quotidienne.
Piste pour améliorer le Code
Les villages et villes de Wallonie ont les qualités de leurs caractères. Ceux-ci consistent par exemple en une modulation particulière dans l’utilisation de matériaux et le choix d’une volumétrie. Si le CWATUPE et les outils qu’il instituait allaient peut- être trop loin dans le détail archi- tectural, il ne faut pas pour autant vouloir tout supprimer. Des normes urbanistiques doivent être ajoutées aux normes techniques demeurées contraignantes.
Appréciation à géométrie variable
Le CWATUPE encore en vigueur fait reposer la planologie sur la conformité de tout projet aux plans et règlements et son respect de la philosophie générale des outils. Un projet se doit d’être « dans les clous » du système planologique. S’il n’y est pas, il peut disposer d’une dérogation, demandée et accordée en bonne et due forme. L’avant-projet de Code propose de sortir de ce système. Le cadre auquel se référer serait désormais une série d’outils indicatifs qui compteront vingt, cinquante, parfois cent objectifs. Le de- mandeur pourra faire son « shopping » parmi eux pour démontrer à quel point son projet colle à ces outils d’orientation. Chaque demande de permis devra justifier ses écarts par rapport aux guides et schémas et il appartiendra à l’autorité compétente de décider si oui ou non ces écarts sont acceptables. On peut/on doit craindre une géométrie très variable entre la motivation des demandeurs et l’appréciation par les différentes instances que le CoDT prévoit d’impliquer dans la décision. Un écart à Tournai sera-t-il considéré comme un écart à Beauvechain ? Ce qui sera considéré comme bien motivé à Arlon sera-t-il reçu de la même manière à Huy ? Quelle source abondante d’insécurité juridique!
Pistes pour améliorer le Code
- S’écarter d’un outil d’orientation devrait être exceptionnel. Les balises associées au respect des documents à valeur indicative doivent être renforcées.
- La notion d’« écart » doit être définie préci- sément. Les critères motivant une accepta- tion de ces écarts doivent être explicités et reformulés (art. D.II.13). Ils doivent permettre de discriminer les projets de façon limpide.
Quid de la participation ?
La participation ne sort pas non plus indemne de ce changement de paradigme. Les articles afférents du CoDT renverront au Code de l’Environnement, sans en exposer le texte.
Dans le système d’aménagement du territoire actuel, il y a aujourd’hui enquête publique dans des cas bien spécifiques :
- soit la demande de permis unique porte sur un projet de classe 1 ou, si l’autorité compétente l’estime, de classe 2, conformément au Code de l’Environnement ;
- soit la demande de permis d’urbanisme porte sur un projet ressortant à la liste arrêtée dans l’article 330 du CWATUPE ;
- soit la demande de permis porte sur un projet en dérogation d’un outil à valeur réglementaire.
Le CoDT revoit ce modèle et laisse planer l’incertitude sur les différentes demandes de permis qui seront soumises à enquête publique. Faute d’information claire, il n’existe aucune garantie à ce stade… Limiter le champ d’application des demandes de permis soumises à enquête publique serait extrêmement préjudiciable. Concernant les enquêtes publiques liées à des projets en dérogation, rien n’est prévu. Une absence à considérer dans le nouveau contexte juridique, où le principe de dérogation en tant que tel tendrait à disparaître « faute de combattants », les plans communaux d’aménagement ainsi que les règlements régionaux et communaux devenant indicatifs.
Enfin, la « consultation de voisinage » qui fait son apparition dans la partie décrétale du Code éveille une crainte majeure en tant que nouvelle forme de participation (pour autant qu’on puisse parler de participation).
Ce recul sur plusieurs fronts en termes de participation n’est pas acceptable. Si le projet n’est porté que par les promoteurs et les développeurs, ce nouveau Code ne constituera en rien une avancée. A contrario, il conviendrait d’instaurer un aménagement du territoire qui se montre dynamique, interactif et attentif aux fonctions dites « faibles», qui ne soit pas la simple somme de projets particuliers.
Pistes pour améliorer le Code
- Tout écart à un outil d’orientation doit faire l’objet d’une enquête publique, de la même manière qu’une dérogation vis-à-vis d’un outil contraignant.
- La notion de « consultation de voisinage » (art. D.IV.44) doit être supprimée. L’enquête publique doit demeurer l’outil formel de la par- ticipation dans les procédures de demande de permis.
Périmètres U : bonne intention mais…
Une des innovations du CoDT, c’est le « périmètre U », périmètre institué par le Gouvernement wallon pour développer les lieux de centralité. Ultime avatar lexical d’une série où les « territoires centraux » ont succédé aux « noyaux d’habitat », le périmètre U serait activé par toute commune intéressée grâce à l’adoption d’un schéma de développement communal concernant l’entièreté de son territoire ou l’aire délimitée par le périmètre U. L’objectif est ouvertement d’amorcer un « retour en ville » des nouveaux développements urbanistiques via une politique de discrimination positive à l’intérieur de ces périmètres U. L’objectif est louable mais la méthode choisie pose question. En effet, la discrimination positive qu’organise le périmètre U est une simplification à l’extrême des contraintes urbanistiques antérieures liées à ces zones ; ces périmètres U permettent donc de facto le déverrouillage planologique de territoires donnés. Le Plan de secteur y est gommé, sans distinction entre des zones urbanisables ou non urbani- sables. Ici, il n’y a plus que le schéma de développement communal qui régisse – oriente – l’urbanisation.
Il y a, semble-t-il, dans le chef du Gouvernement l’espoir que les nouveaux développements immobiliers viendront dans les centres y augmenter la densité et y renforcer la mixité. Des outils de politique foncière consolidés sont d’ailleurs couplés au périmètre U. On peut/on doit toutefois émettre de fortes réserves sur cette perspective. Le principal problème de la faible attractivité urbanistique des centres ne se limite effectivement pas aux contraintes urbanistiques légales qui y sont actives. Bien d’autres réalités s’y avèrent nettement plus contraignantes pour un demandeur :
- coût élevé des terrains ;
- morcellement et complexité parcellaire ;
- complexité urbanistique de fait (voiries, constructions, réseau de transport de fluides, d’énergie, télécommunications) ;
- pénurie de terrains vierges urbanisables ;
- pollution des terrains disponibles ;
- divergence des attentes immobilières de la population.
Dès lors, assortir le périmètre U d’une « vidange » de la situation de droit et d’une contrainte foncière ne touchera pas suffisamment le cœur du problème…
Paradoxalement, le CoDT, loin de contraindre davantage les développeurs dans leurs projets de construction hors périmètre U, leur facilite plutôt la tâche. En effet, beaucoup d’espace urbanisable subsistera au plan de secteur, en particulier en zone d’habitat et en zone d’habitat à caractère rural, hors des centralités qui seront définies par les périmètres U. Cet espace, les développeurs auront tout loisir d’y construire de manière aussi peu parcimonieuse qu’aujourd’hui. Cela leur sera même plus aisé qu’avec le CWATUPE actuel puisque les documents contraignants qui limitent un tant soit peu leur appétit deviendraient indicatifs. Sans parler des objectifs du nouveau SDER ( Schéma de Développement de l’Espace Régional) qui n’ont pas abordé la question…
Pistes pour améliorer le Code
-* Le niveau de contrainte planologique hors des périmètres U doit être augmenté, proportionnellement à la baisse du niveau de contrainte dans ce périmètre. Cela passe par un changement global des dispositions du livre I, avec en particulier un renforcement du caractère impératif des documents planologiques hors périmètre U.
- – La réaffectation en zone urbanisable de terrains en zone non urbanisable sis dans un périmètre U doit être compensée planologiquement hors périmètre U, en remembrant le foncier pour conforter le recentrage de l’urbanisation.
- – Les plus-values foncières liées à la réaffectation en zone urbanisable de terrains en zone non urbanisable sis dans les périmètres U doivent faire l’objet d’une captation publique. Cet apport financier devra servir une politique foncière hors périmètre U, visant le recentrage de l’urbanisation.
Cet article constitue l’Enjeu de la LCCATM 73 consacrée au CoDT