Commission européenne et industrie n’ont cure de la santé

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Le laxisme de la Commission européenne, sur fond de négligence volontaire de l’industrie chimique, est pointé du doigt par la Médiatrice, madame O’Reilly. L’alerte avait été lancée par des ONG européennes. Le concept de « crimes industriels facilités par l’Etat » s’applique-t-il ? Et enfin, existe-t-il d’autres exemples de cette funeste dérive qui consiste à se donner des outils de régulation pour les vider ensuite, consciencieusement, de leur substance ?

Il y a moins d’un an, nous avons tiré la sonnette d’alarme sur les dangers que faisait courir le report de la révision de REACH, règlement sur la régulation des substances chimiques qui vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement. Un retour sur 20 ans de suivi de ce règlement par Canopea, en collaboration avec de nombreuses ONG, nous indiquait clairement que sur deux décennies, globalement, la coalition entreprises/Commission a trahi les citoyens européens en fermant les yeux sur la pollution chimique et en favorisant les intérêts à court terme des industries toxiques. (Pour celles et ceux qui souhaitent se remémorer le fonctionnement de REACH, voir au bas de l’article)

La Commission est déficiente

Ce 21 octobre, la Médiatrice européenne, madame Emily O’Reilly, a confirmé, dans un rapport, que la gestion des procédures par la Commission était déficiente, notamment du fait que les dossiers déposés par les entreprises donnaient des informations insuffisantes.

La Médiatrice a constaté que le non-respect persistant par la Commission européenne des délais légaux pour l’élaboration des décisions d’autorisation concernant des substances chimiques dangereuses constituait un cas de mauvaise administration.

Il faut en moyenne 14,5 mois à la Commission pour préparer les projets de décision, bien que le délai pour ce faire soit de trois mois. Dans certains cas, cela prend plusieurs années.

Ces retards représentent une menace pour la santé humaine et l’environnement, car les entreprises peuvent continuer à utiliser les substances chimiques, qui peuvent être cancérogènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction ou avoir des propriétés perturbant le système endocrinien, au cours de la procédure d’autorisation.

Un principe de précaution totalement ignoré

Dans un communiqué, l’experte juridique de l’ONG européenne ClientEarth, Hélène Duguy, a déclaré : « L’enquête du Médiateur montre à quel point la Commission européenne a été imprudente avec les règles sur les produits chimiques. Pourtant, ces règles ont une raison d’être : protéger la santé des citoyens. Ce comportement inacceptable sape l’état de droit et la confiance des citoyens dans les institutions de l’UE ».

De son côté, la responsable de la politique des produits chimiques du Bureau Européen de l’Environnement (BEE) s’inquiète car elle constate que les réformes de REACH, annoncées puis repoussées, ont finalement été transférées dans un paquet relatif à l’industrie chimique en vue d’une « simplification » visant à réduire le « fardeau » (sic) de l’industrie.

Et de fait, le virage à droite de l’Europe n’augure rien de positif en la matière.

Le principe de précaution est inscrit dans la législation européenne sur les produits chimiques mais, dans les faits, n’est jamais appliqué. Les ONG européennes Client Earth et BEE, à l’origine de l’enquête de la Médiatrice, constatent, amères, « qu’il faut trois semaines aux fonctionnaires européens pour autoriser la mise sur le marché de produits chimiques dont on n’a aucune idée du danger qu’ils représentent, puis environ une décennie pour réaliser le danger qu’ils constituent et une autre décennie pour interdire ou restreindre ceux qui se révèlent dangereux ». Il n’est pas étonnant, dans cette configuration, que les pollutions chimiques viennent de passer au rouge dans l’étude relative aux limites planétaires.

Crimes industriels facilités par l’Etat

Une question exigeante, mais essentielle se pose quand on se retrouve en présence de pollutions avérées liées à la mise sur le marché de substances insuffisamment contrôlées, pollutions qui sont responsables de dégâts considérables (maladies graves…) : « Qui est responsable ? » Plusieurs dossiers révèlent que l’industrie en sait plus que ce qu’elle veut bien dire, mais sachant cela : « est-ce l’industrie chimique qui est responsable ou bien l’Etat qui est trop faible et n’exige pas plus de l’industrie chimique ? » demande Ian Cousin, professeur en chimie de l’environnement à l’université de Stockholm, dans une interview du Monde en lien avec l’enquête sur les PFAS « Forever Solution Project ».

Cette question évoque, poursuit l’article, le concept de « crimes industriels facilités par l’Etat ». La Professeure de droit à l’université Erasmus de Rotterdam, Lieselot Bisschop s’intéresse à ce concept « pour appréhender les dommages environnementaux et humains causés par les firmes ». Un terme qui se rapporte « aux situations où les institutions gouvernementales ne réglementent pas des activités commerciales illégales ou socialement préjudiciables, ou bien créent un environnement juridique qui permet à ces préjudices de se produire et de se poursuivre ».

L’Europe, mais aussi les Etats, se posent-ils sérieusement la question de savoir si leur attitude souvent laxiste pourrait être qualifiée de complicité de Crime ? C’est dans leur intérêt car les victimes desdites pollutions, épaulées par les associations, pourraient faire le nécessaire pour qu’une réponse claire soit donnée…

D’autres exemples de cette dérive ?

Le déroulement des faits qui vient d’être exposé sur la coalition funeste Commission/industrie chimique dommageable pour la protection de la santé est très semblable à celui d’une coalition tout aussi funeste Commission/industrie automobile en matière d’émissions de CO2, donc de lutte contre les dérèglements climatiques. Un édifiant dossier sur le sujet réalisé par Pierre Courbe, chargé de mission mobilité chez Canopea est sous presse. Nous ne manquerons pas de vous le faire découvrir.

Rappel : REACH, mode d’emploi (source : site de l’ANSES)

Le fonctionnement de Reach n’est pas si difficile à comprendre, pour peu qu’on distingue les différentes étapes qu’il implique.

  • La première étape est l’enregistrement des substances. Les industriels ont l’obligation de transmettre (voire de produire, s’il n’existe pas de données préexistantes) toute une gamme d’informations sur les propriétés physico-chimiques, toxicologiques et écotoxicologiques des substances qu’ils fabriquent ou importent.
  • Contrairement aux règlements et directives précédents, Reach fait reposer la charge de la preuve sur les entreprises. Pour se conformer au règlement, les entreprises doivent elles-mêmes identifier et gérer de façon adéquate les risques liés aux substances qu’elles fabriquent et commercialisent dans l’UE. Elles doivent notamment démontrer de quelle façon la substance peut être utilisée en toute sécurité, et communiquer les mesures de gestion des risques aux utilisateurs.
  • La seconde étape consiste à vérifier que les dossiers transmis par les industriels sont conformes. Ainsi l’ECHA a la charge de vérifier si le(s) dossier(s) d’enregistrement pour une substance sont complets ou s’il manque des informations exigées par le règlement. Cette procédure s’appelle l’analyse de la conformité.
  • Ensuite, si des préoccupations particulières sont identifiées, les substances pourront être évaluées, ceci pour garantir l’absence de risques pour la santé humaine et l’environnement. Pour cela, on utilise les données communiquées par les industriels lors de la première étape.
  • Cette procédure est réalisée par les États membres (dont l’Anses pour la France) et permet de demander des informations supplémentaires aux industriels pour répondre aux préoccupations identifiées sur les substances. Le choix des substances évaluées est souvent basé sur les priorités nationales des États en termes de santé publique.

Voilà pour les grandes étapes. Mais il existe quelques subtilités importantes pour bien comprendre les enjeux de cette procédure :

  • Concrètement, que se passe-t-il lorsqu’un État membre décide d’évaluer une substance ? Celle-ci est inscrite au plan continu d’action communautaire (Community rolling action plan, CoRAP), ce qui signifie qu’un État membre l’a évaluée, va ou est en en train de l’évaluer. Il s’agit de plans portant sur les trois années à venir.
  • Qu’entend-on par évaluation d’une substance chimique ? Il s’agit d’une évaluation approfondie des données techniques et scientifiques fournies par l’industriel lors de son enregistrement. Elle doit permettre d’identifier les informations complémentaires à demander aux déclarants pour lever tout doute identifié concernant les dangers ou les risques liés à la substance.

Une fois que les informations complémentaires ont été fournies et de nouveau évaluées, différentes procédures peuvent être envisagées dans le cadre de Reach, s’il s’avère que des mesures de gestion doivent être mises en place :

  • proposition d’identifier la substance comme substance extrêmement préoccupante (SVHC, pour Substance of Very High Concern),
  • proposition de restriction de l’usage de la substance,
  • proposition de classification et d’étiquetage (effets cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, sensibilisant pour les voies respiratoires, etc.),
  • ou encore des actions ne relevant pas du règlement Reach, comme une proposition de limites d’exposition professionnelle à l’échelle européenne, de mesures nationales ou encore d’actions volontaires des entreprises.

Crédit image d’illustration : Adobe Stock

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