Incroyable mais vrai : le Sénat vient d’adopter une proposition de loi modifiant les lois coordonnées sur le Conseil d’Etat en vue d’accorder aux associations le droit d’introduire une action d’intérêt collectif. Reste à la chambre des représentants à l’adopter avant sa dissolution…
10 ans de lutte associative !
Depuis longtemps, Inter-Environnement Wallonie et d’autres associations, spécialisées dans la protection de l’environnement, mais aussi des droits de l’homme, de la paix, etc.. plaident en faveur d’un meilleur accès à la justice pour les organisations non gouvernementales et les ASBL. La principale exigence concerne la modification d’articles de textes légaux (article 17 du Code judiciaire, article 3 du Titre préliminaire du Code de procédure pénale et articles 17 et 19 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat) afin d’assurer un meilleur accès à la justice pour les associations défendant des intérêts généraux ou collectifs. Des propositions de lois existent, mais sont, jusqu’à présent, restées sans suite(1).
Une proposition de loi à mi-chemin de sa trajectoire « bicamérale »
L’année dernière, les recommandations du comité d’examen du respect de la convention d’Aarhus concluent à la nécessité d’adopter des mesures législatives pour se mettre en phase avec le droit international.
Ceci a fourni l’occasion aux parlementaires de fourbir leurs armes et de déposer, une nouvelle fois, des propositions de loi. C’est le cas à la chambre des représentants, des propositions de Mmes Annelies Storms (SP.A-SPIRIT) et Muriel Gerkens (ECOLO) et au sénat, de la proposition de loi de Mme Talhaoui Fauzaya (SP.A-SPIRIT) et co-signée par Bob Martens (SP.A-SPIRIT), Jean Cornil (PS), Francis Delperée (CDH), Ludwig Vandenhove (SP.A-SPIRIT) et Luc Willems (VLD).
C’est cette dernière qui, discutée en commission de l’Intérieure et des affaires administratives, vient d’être adoptée, le 15 mars 2007, par 41 voix contre 13 (7 abstentions). Elle sera prochainement transmise à la chambre des représentants, en commission de l’intérieure, pour finir, nous l’espérons, sa trajectoire bicamérale.
Contenu de la proposition adoptée par le Sénat
La proposition de loi déposée par Mme Talhaoui Fauzaya et consorts (document législatif n° 3-1953/1) préconise de consacrer les actions d’intérêt collectif devant le Conseil d’Etat. Pour ce faire, les associations doivent satisfaire plusieurs critères, à savoir : a.disposer de la personnalité juridique ; b.depuis un certain temps (la durée de 3 ans a été ramenée à 1 an) ; c.poursuivre une activité réelle en conformité avec son objet social ; d.disposer d’un objet social autorisé. Le Conseil d’Etat dispose de la faculté d’apprécier la réunion de ces conditions, et notamment celle touchant à la réalité des activités poursuivies, dans le chef des associations requérantes.
L’exposé des motifs de la proposition de loi pose la problématique de la recevabilité des actions formées par des ASBL, la jurisprudence disparate des juridictions supérieures (cour de cassation, conseil d’Etat, cour d’arbitrage), le morcellement des législations particulières qui confèrent dans certains domaines des droits d’action en justice (lutte contre le racisme et la xénophobie, protection de l’environnement) et in fine la nécessité de « renforcer l’unité et la cohérence du droit ». Les auteurs de la proposition sont persuadés que « Les associations jouent un rôle important dans une démocratie. Les associations qui défendent un intérêt général ou collectif représentent un pan important de notre système social. Elles assurent une participation accrue de la population à toutes sortes d’évolutions de société ainsi qu’un soutien plus large, au sein de la population, en faveur de toute une série d’objectifs pertinents pour la société, comme la lutte contre le racisme, l’amélioration de l’environnement, la lutte contre l’exclusion sociale de groupes défavorisés,… la démocratie tire bénéfice de ce que les citoyens puissent assumer des responsabilités par le biais d’associations en permettant à celles-ci d’ester en justice pour défendre les intérêts qui dépassent l’intérêt individuel ». Pour ces Sénateurs, le temps est venu de dépasser les vieilles méfiances que suscitent les actions des ASBL et qui peuvent se résumer à la crainte d’une multiplication des recours et au dépouillement du Ministère public.
En cela, nous ne pouvons que leur donner raison : les actions en justice sont coûteuses à bien des égards. C’est se dresser contre l’autorité publique et, hélas parfois, en assumer les conséquences dans la relation avec cette autorité. C’est exposer des coûts financiers qui sont loin d’être marginaux. C’est dire la réticence avec laquelle une association décide de saisir un juge, surtout lorsqu’il s’agit de contester un acte de l’autorité (un arrêté, une loi).
Reste à vaincre les dernières résistances de nos élus et à les convaincre des bienfaits de la reconnaissance des actions d’intérêt collectif… Car « L’amélioration de l’accès des associations à notre système juridique ne favorise pas seulement notre démocratie mais rendra aussi les autorités publiques plus attentives à la qualité de leurs actions ».
Note
(1) Notamment celle de Mme Clothilde Nyssens (CDH)
Pour en savoir plus
Zoning de Theux-Laboru : un cas récent de rejet d’un recours d’IEW pour cause d’irrecevabilité ;
les propositions de loi en annexe et visitez régulièrement les sites internet du Sénat] et de la Chambre des Représentants ;
les recommandations associatives de la plate-forme « Droit au droit » et des Quatre Fédérations d’associations de protection de l’environnement ;
l’article de Jacques Sambon, « L’accès au juge administratif : quelle place pour l’intérêt collectif de la protection de l’environnement ? », in L’accès à la justice en matière d’environnement, Toegang tot de rechter in milieuzaken, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 101 et s.