Consommation des voitures : comment trichent les constructeurs

Le traitement de l’actualité possède ses lois non formulées auxquelles chacun doit se soumettre. Mi-mars, l’élection du premier pape sud-américain n’a guère laissé aux journalistes l’occasion de faire écho à une importante étude publiée par la fédération européenne Transport and Environment (T&E). Ce document intéresse pourtant l’automobiliste qui sommeille au fond de chaque Belge (ou peu s’en faut) : il présente toutes les voies utilisées par l’industrie automobile pour réduire sur le papier la consommation de carburant et les émissions de CO2 des voitures. Aussi nous permettons-nous de revenir sur le sujet – que celles et ceux qui ont pris connaissance du communiqué de presse annonçant l’étude et/ou de celle-ci nous en excusent.

Le cadre légal

La consommation de carburant et les émissions de CO2 qui figurent sur le certificat de conformité des voitures vendues en Europe sont déterminées au cours de tests menés conformément au règlement (CE) n° 715/2007. Chaque véhicule n’est pas testé individuellement, bien sûr : on procède en fait à des « réceptions par type » telles que définies dans la directive 2007/46/CE. Les procédures et le cycle de test à utiliser sont définis à l’annexe 4a du Règlement n° 83 de la Commission économique pour l’Europe des Nations unies (CEE-ONU). Il s’agit du cycle NEDC (New European Driving Cycle) qui devrait, d’ici quelques années, être remplacé par le WLTC (World Light duty Test Cycle), actuellement en discussion au sein de la CEE-ONU.

Le cycle NEDC

Le cycle de test actuel est composé d’un parcours urbain et d’un parcours extra-urbain. Il n’est – et c’est un euphémisme – guère représentatif de la réalité. Relevons à titre illustratif que le cycle est très peu exigeant en matière d’accélération : en parcours urbain, le véhicule passe de 0 à 50 km/h en 26 secondes. Pointons aussi le fait que le véhicule est stationnaire pendant 280 s, soit 24% de la durée totale du cycle ou que la vitesse moyenne est très limitée (32,5 km/h) et que, de ce fait, des paramètres importants tels que la surface frontale et le coefficient aérodynamique jouent peu par rapport aux conditions réelles d’utilisation.
Il faut également savoir que, pour des raisons assez évidentes de reproductibilité, ces parcours sont réalisés non pas sur route mais en laboratoire. Des paramètres caractérisant la résistance à l’avancement de la voiture (ou road load en anglais), et déterminés préalablement sur des pistes d’essais, sont utilisés pour programmer les bancs de rouleau sur lesquels la voiture à tester est placée en laboratoire.

Du laboratoire à la route

En Allemagne, le site http://www.spritmonitor.de/fr/ a construit une base de données de 300.000 véhicules dont les utilisateurs encodent les kilométrages et les pleins, ce qui permet de calculer la consommation moyenne sur des périodes assez longues et de les comparer aux consommations annoncées par les constructeurs. Le kilométrage cumulé des 300.000 utilisateurs du site est de 4,5 milliards de kilomètres.
Sur la période 2001 à 2010, les constructeurs ont annoncé une baisse d’émissions de 27 gCO2/km en moyenne. Selon le site Spritmonitor, la baisse n’a été que de 13 g/km. Pour le formuler autrement, la différence entre la consommation réelle et la consommation annoncée par les constructeurs était de 7% en moyenne en 2001 et de 21% en 2010. Ces faits sont corroborés par différentes études, tel celle réalisée par par un consortium de quatre consultants pour la Commission européenne ou celle du consultant TNO qui a rédigé un rapport sur le sujet pour le Ministère néerlandais de l’infrastructure et de l’environnement . Qu’est-ce qui explique cette croissance du gap ? Les automobilistes se sont-ils collectivement mis à rouler de manière plus nerveuse, plus rapide, consommant dès lors de plus en plus de carburant ? Non, bien sûr. Mais, du fait de la mise en place d’objectifs européens de réduction des émissions de CO2 des voitures neuves, les constructeurs ont progressivement utilisé de plus en plus de trucs et astuces pour abaisser les émissions sur papier – et sur papier seulement – tout en respectant le prescrit légal.

Ce qui n’est pas interdit est autorisé

Outre le fait que le cycle de test n’est pas représentatif de la réalité et que la surconsommation induite par les équipements annexes (air conditionné, aides au positionnement, radio, sièges chauffants, …) n’est pas prise en compte, la différence entre émissions annoncées et émissions réelles s’explique donc aussi par l’utilisation des flexibilités offertes par la législation.
En gros, les constructeurs et les organismes qui réalisent les tests considèrent que tout ce qui n’est pas explicitement interdit par les textes légaux est autorisé. Ceci tant pour la détermination des paramètres de résistance à l’avancement sur circuit que pour les tests sur bancs de rouleaux en laboratoire. Les vingt pratiques identifiées par T&E sont présentées succinctement dans le tableau suivant.

Résistance à l’avancement

  1. Supprimer tous les équipements additionnels qui nuisent à l’aérodynamisme (barres de toit, phares additionnels, rétroviseur extérieur droit, …)
  2. Améliorer l’aérodynamisme par application de bande adhésive sur les contours de portières, grilles de ventilation, …
  3. Réaligner les roues et les freins
  4. Sur-gonfler les pneus
  5. Optimiser les roues et les pneus (roues un peu plus grandes, pneus à faible coefficient de friction)
  6. Utiliser des lubrifiants très performants (au niveau des roues, …)
  7. Optimiser l’âge du véhicule (le rodage doit être de 3.000 km minimum, il est souvent supérieur)
  8. Optimiser la piste d’essai (surface, pente,…) Applus-Iddiada annonçait, après rénovation de sa piste en janvier 2009, pouvoir diminuer de 3,1 à 4,7% les émissions et consommations)
  9. Optimiser les conditions atmosphériques (haute altitude, chaleur)
  10. Utiliser les « tolérances » autorisées dans les cycles de test (mesures diminuées de 5% entre 120 et 40 km/h et 10% en-dessous)

Laboratoire

  1. Laisser se décharger la batterie pendant l’essai, p. ex. en déconnectant l’alternateur
  2. Ajuster les freins
  3. Alléger le véhicule (poids le plus faible de la version la plus légère)
  4. Tester à température élevée, avec de meilleurs rendements moteurs (ordre de 29°C, la température moyenne en Europe étant de l’ordre de 10°C)
  5. Utiliser des lubrifiants haut de gamme
  6. Jouer avec le cycle, en optimisant la gestion moteur pour le cycle
  7. Utiliser les tolérances du cycle (2 km/h sur les vitesses et 1 sec sur les temps)
  8. Utiliser des rapports de transmission plus élevés (en utilisant les flexibilités de la réglementation)
  9. Utiliser les tolérances sur les instruments de laboratoire
  10. Ajuster les résultats (en utilisant la possibilité de déclarer des émissions 4% sous la mesure)

Bien sûr, certains constructeurs utilisent plus volontiers ces techniques de « cycle cheating » (triche sur le cycle) que d’autres. Par ailleurs, certains conducteurs qui appliquent scrupuleusement les règles de l’éco-conduite parviennent à limiter fortement les émissions de leur véhicule. Chaque automobiliste n’a donc pas la même perception du problème. Il n’empêche que c’en est un sérieux. Même si les objectifs de réduction des émissions de CO2 des voitures neuves fixées au niveau européen ont induit des progrès réels, la moitié des réductions annoncées par les constructeurs n’est vraie que sur papier.

Alors, que faire ?

La Fédération T&E identifie plusieurs voies d’action pour remédier au problème. Ainsi, T&E recommande au législateur de supprimer les échappatoires (ou possibilités de triche) dans le cycle NEDC, d’introduire dès 2016 le nouveau cycle WLTC, plus représentatif des conditions réelles d’utilisation, d’introduire un nouveau cadre pour la réception par type des véhicules, en ce compris la mise sur pied d’une autorité européenne indépendante ou encore de revoir la directive 1999/94/CE relative à l’information en matière de consommation de carburant et d’émissions de CO2 des voitures neuves lors de leur vente.
Pour que les législateur suivent ces différentes voies d’action, il leur faut faire front au continuel lobby mené par les constructeurs des voitures les plus polluantes. Le Parlement européen vient de faire la preuve qu’une telle attitude, requérant droiture morale et courage, est possible. Souhaitons qu’elle continue à se manifester à l’avenir.