Ça y est, revoilà le printemps, ses promenades pour étirer les jambes et ses oiseaux pépieurs pour faire oublier tout le reste. Et qui en profite pour revenir aussi? Le Cristal Park! Est-ce bien lui? Deux fois, trois fois, dix fois vaincu, à chaque fois il se relève, plus fort et plus vigoureux. Sur la pente du Val Saint-Lambert, dans un magnifique coin vert et ensoleillé de Seraing, il veut à nouveau nous vendre du bonheur à la pelle avec, entre autres attractions uniques et exceptionnelles, un village commercial de quarante cinq mille mètres carrés de surface de vente nette, une piste de ski indoor, un Aquapark, un « buisness park »(sic), sans oublier au passage une cristallerie « réorganisée ».
La Ville de Seraing annonce, dans son avis d’enquête, que « le projet s’étend sur une superficie de 120 ha principalement au sud et à l’ouest du château du Val Saint-Lambert et s’inscrit pratiquement dans les limites de la zone d’habitat, de la zone d’activité économique industrielle et se limite au sud par la zone de parc du plan de secteur étant (sic) le bois communal de l’Abbaye. »
Projet d’urbanisation du Val Saint-Lambert : une des dernières versions du Cristal Park. Document SPECI.
Bien-sûr, l’annonce de l’enquête publique citée ci-dessus entend simplement donner les limites géographiques du projet et, plus particulièrement, de manière « pratique », l’affectation au plan de secteur de la portion de commune qui serait touchée par les propositions d’aménagement. Mais quel lapsus, quand elle parle de la zone de parc qui formerait, selon ses termes, la limite sud du projet, alors qu’en réalité cette zone occupe la moitié du site! Quant à la pointe ouest du site, reprise en zone forestière au plan de secteur, elle est ignorée de cet énoncé. Qu’est-ce donc que quelques hectares sur un site de cent-vingt? Négligeable, secondaire, surtout si le terrain boisé est à cet endroit en forte pente, et donc parfaitement pittoresque pour venir refermer l’écrin autour du joyau Cristal Park.
« Ce texte officiel lève le voile sur l’impudence des promoteurs du Cristal Park. Car s’inscrire « pratiquement dans les limites d’une zone », c’est au sens figuré forcer le plan de secteur à s’adapter à leur projet, sans passer par une procédure normale de révision partielle dudit plan de secteur. En réalité, un projet qui a pour but d’occuper la zone d’habitat[[Selon le CWATUPE (version du 22/12/11) : « Art. 26. De la zone d’habitat. La zone d’habitat est principalement destinée à la résidence. Les activités (d’artisanat, de service, de distribution, de recherche ou de petite industrie – Décret du 18 juillet 2002, art. 11, 1), les établissements socio-culturels, les constructions et aménagements de services publics et d’équipements communautaires, de même que les exploitations agricoles et les équipements touristiques (ou récréatifs – Décret du 18 juillet 2002, art. 11, 2) peuvent également y être autorisés pour autant qu’ils ne mettent pas en péril la destination principale de la zone et qu’ils soient compatibles avec le voisinage. Cette zone doit aussi accueillir des espaces verts publics. »]] avec une activité majoritaire de commerce et de services, et d’occuper la zone industrielle avec un shopping center et des parkings pour voitures individuelles (2000 places, gratuites), ne peut pas se contenter d’un Rapport Urbanistique et Environnemental. Il se doit de suivre le chemin long et ardu de la révision du zonage du plan de secteur. Il doit aussi prendre soin d’aller chercher d’autres hectares pour compenser les pertes en surface destinée à l’industrie et à l’habitat.
L’avenir de notre artisanat passe par le ski, c’est bien connu!
Tout dans le projet Cristal Park semble conçu pour le servir, lui, et non pour servir le lieu où il prendrait place. Avec « Gastronomia » Seraing mène déjà un autre projet commercial de grande ampleur? Qu’importe, on se fera une saine concurrence! Il existe des procédures nettement plus adaptées pour mener à bon port un dossier ayant des incidences régionales? Qu’importe, le Rapport Urbanistique et Environnemental est tellement plus rapide et meilleur marché! Et ne vous plaignez pas, on l’a fait fort épais, pour qu’il ressemble (de loin) à une bonne grosse étude d’incidences sur l’environnement. Les petites maisons de la Cour du Val et les bâtiments industriels des anciennes cristalleries pouvaient rêver d’un environnement moins étouffant et artificiel? Tant pis pour eux, ils ne sont pas classés, ils ne pourront rien contre Cristal Park, qui va leur apporter d’ici quatre ans la plus recherchée des chalandises. Et les Sérésiens dans tout ça? Mais ils pleurent pour aller faire du ski! Surtout en plein été, quand les pistes de l’est et du sud de la province de Liège sont désespérément vertes ou desséchées.
Tiens, sur le site de la Ville de Seraing, Cristal Park n’est pas cité parmi les « grands projets » du Masterplan. Le Masterplan de Seraing poussera-t-il sa restructuration urbaine jusqu’au Val? Mais enfin bien-sûr! On voit bien que vous n’étiez pas au dernier MIPIM[MIPIM : cet acronyme n’a pas l’heur d’être défini sur le site-même de l’institution éponyme ! [http://www.mipim.com/ Wikipédia nous apprend que MIPIM est l’abréviation de « Marché International des Professionnels d’Immobilier ».]] de Cannes…
D’ailleurs, les tenants du projet ont pleinement confiance. Ils annoncent un renouveau de tout le bassin de vie, et des emplois comme s’il en pleuvait. Ils mettent surtout en avant que le maintien des cristalleries ne pourra se faire qu’à travers une galaxie d’ateliers, de boutiques à thème commun (celui, pourtant peu précis, « de l’équipement de la maison, de la décoration et des loisirs »), avec une merveilleuse dose de nature à portée de main, une nature « Natura 2000 », une nature « périmètre d’intérêt paysager », une nature environnementalement correcte! Wouaw, je rêve en couleurs, du ski à Seraing, du travail pour tous et l’environnement y gagne!
Bien que le rapport urbanistique et environnemental reste très laconique sur ce dernier aspect des choses, la société SPECI, aux manoeuvres dans le dossier, a notamment veillé à ce que l’urbanisation épargne le plus possible la Terre aux Choux, dite aussi « Aux Macrales », ses batraciens et les 50 espèces d’oiseaux qui y sont régulièrement répertoriées. Vraiment, c’est trop gentil : toutes ces bestioles ont bien de la chance qu’on leur laisse tant d’espace, et en zone urbanisable de surcroît, alors qu’elles ne paient pas d’impôts! Là encore, une révision du plan de secteur s’imposait. Car rien ne garantit que cette étendue herbeuse restera exempte de construction, par le seul bon vouloir d’un promoteur qui, demain, peut revendre l’ensemble de son projet clé en main à un tiers, lequel considérera qu’aucune convention ne le lie à quiconque concernant la non-urbanisation de la Terre aux Choux.
Retour sur la qualité environnementale du rapport présenté à l’enquête publique, avant d’aborder les choses sur un plan plus esthétique : où est la logique de protection de l’environnement, si le projet gèle de la fausse neige et chauffe des bassins de piscine, même en circuit fermé? Peut-on admettre ce greenwashing éhonté qui nous offre « un environnement très bucolique avec pièces d’eaux centrales et espaces verts d’agréments » en installant deux blocs de quatre étages destinés au parking, en guise d’entrée de site? S’agit-il à ce titre d’un projet unique, exceptionnel? Les aires de détente du « village commercial » seront-elles publiques ou privées? Entretenues par la Ville de Seraing ou par le gestionnaire du Shopping Center?
Encore une brique pour élever le mur du « je lave tout vert » : Cristal Park s’offre un accès direct en train grâce à l’arrêt à réactiver sur la ligne 125A. Mais quelle bonne nouvelle! La récente étude Tritel[« TRITEL a récemment réalisé pour le SPW le “ Plan de développement de la desserte ferroviaire en Wallonie pour la période 2013-2025”. Cette étude très complexe, intégralement réalisée par TRITEL, aborde tous les enjeux liés au développement du chemin de fer (desserte, gare, infrastructure, etc.). L’étude aboutit à de nombreuses propositions, tant pour le transport de voyageurs que de marchandises, et notamment à une liste de 34 projets d’infrastructure ferroviaire, qui permettront à la Wallonie d’être « force de proposition » dans le contexte des négociations relatives au futur Plan d’investissement du Groupe SNCB. L’étude est désormais en phase de consultation auprès du monde politique et des forces vives wallonnes. » ([www.tritel.be)]] a justement souligné tout l’intérêt de la ligne 125A pour un redéploiement de la mobilité à l’échelle des bassins de vie. Dommage que le RUE, si précis[[Le rapport urbanistique et environnemental, ou RUE, doit donner des options d’aménagement, et non pas dessiner le plan-masse du projet (articles 18 et 33 du CWATUPE). Dans le cas qui nous occupe, l’emplacement de chaque bâtiment, son orientation, ses dimensions, ont déjà été tracés, alors que cela devrait relever du dossier de demande de permis d’urbanisme, c’est à dire l’étape suivante, pour autant que le RUE soit approuvé.]] dans les surfaces et le tracé des cheminements internes à son périmètre, ne lâche aucune information graphique sur le type de liaison qui serait à établir avec cet arrêt.
Un petit mot tout de même sur l’aspect visuel du projet. Dans la vallée de la Meuse, les lignes de force du paysage s’enchevêtrent : les berges naturelles et les quais bétonnés, les pylônes à haute-tension, les falaises, d’énormes usines qui montrent tout, comme à Cockerill-Ougrée, ou d’autres qui se cachent derrière d’interminables bardeaux de métal peint, comme à Tilleur. Ce n’est pas une piste de ski qui va détonner dans cet ensemble. La pauvre, elle n’aura d’ailleurs pas l’air de grand chose, à-demi enterrée[Il manque au dossier une présentation en coupe, qui montrerait l’élévation projetée de l’aquaparc et de la piste de ski, ainsi que leur implantation par rapport au dénivelé du terrain et aux bâtiments existants]], alors que quelques centaines de mètres en amont, le [château de Chokier se tient perché sur un rocher que les géologues du monde entier viennent inspecter avec émerveillement.
Notion d’intérêt public
Pour poursuivre en beauté, ne manquez pas de méditer ces lignes écrites en 2009 par Janine Kievits, alors chargée de mission en aménagement du territoire chez IEW, sur l’avatar précédent de Cristal Park :
Mais là n’est évidemment pas le fond du problème. Celui-ci tient, bien davantage, au type de développement loisirs/commerces qui nous est une fois de plus présenté comme étant l’avenir de la Région. On reste pantois devant l’énergie que mettent les autorités locales et parfois régionales de Wallonie à soutenir de tels projets, qui certes font ponctuellement les affaires (juteuses) d’un promoteur, mais ne constituent absolument pas le tissu économique dont notre région a besoin pour assurer le bien-vivre de la population. Comment croire que la Wallonie de demain sera tissée de centres de loisirs et de retail-parks, axés sur un type de consommation dont on doute qu’il soit créateur durable de bien-être ? Comment croire que le bien-être de la population sera assuré par ces mondes de carton-pâte qu’on lui jette en pâture, et dont la jouissance postule une aisance financière qui ne sera plus, demain, à portée d’une majorité ? Est-ce cynisme, inconscience, inculture ? Manque d’imagination ? Ou simplement perte de rigueur de la part d’autorités communales qui, à force de mêler intérêts publics et privés, finissent par ne plus très bien voir la limite entre les deux, et par confondre dynamisme et mégalomanie ?
Sorti du radar pendant deux ans, Cristal Park nous revient au galop. Mais il va bientôt devoir compter avec quelques sérieux opposants de tous bords qui n’accepteront pas qu’il se conforme si peu à l’économie du plan de secteur. S’il passe la barre, ce projet forcera à reconsidérer la notion d’intérêt public[[En toutes lettres, sur le site cristalpark.com : « Un centre commercial thématique dédié exclusivement à l’équipement de la maison, la décoration et l’artisanat. Ce centre de 65.000 m² GLA sera le plus grand d’Europe ; il se développera sous la forme d’un village commercial avec rues piétonnes, squares, places publiques, …, le tout entouré de 2.000 places de parkings. »]]. Faut-il vraiment, pour « réorganiser » les Cristalleries du Val Saint-Lambert, brader à ce point le territoire?
Pour agir ou réagir :
Enquête publique sur le Rapport Urbanistique et Environnemental, du 12 mars au 10 avril 2012. Consultation du dossier jusqu’à 20h ce jeudi 5 avril.
Les réclamations peuvent être envoyées par courrier, mail ou fax ; consultez le site de la Ville de Seraing
Le mercredi 18 avril 2012, entre 7h30 et 10h00, un délégué du service des travaux se tiendra au Service des Travaux Publics, (annexe de l’hôtel de ville), rue Giordano BRUNO n°191 pour prendre note, s’ il échet, des ultimes réclamations verbales.
Une réunion de concertation sera organisée le mardi 20 mars 2012, à 18h00, au Château du Val St-Lambert où sera entendue toute personne qui le désire. Il sera dressé procès verbal où seront transcrites les réclamations et/ou observations verbales émises lors de cette séance.