De l’utilité d’un registre des nanomatériaux

Une semaine après le décès de Heinrich Rohrer, colauréat du prix nobel de physique de 1986 pour son invention du microscope à effet tunnel, et qui a permis l’étude et la manipulation de la matière à l’échelle atomique, revenons brièvement sur l’intérêt de cadrer ce qui en a découlé: les nanomatériaux.

La société civile, par la voix des organisations syndicales, de consommateurs et environnementales, s’est exprimée ce 7 mai sur la nécessité de créer un registre des nanomatériaux, sur base du fait que « Malgré leur présence croissante dans nos vies, nous ne savons que très peu de choses sur eux et leurs impacts –à court et à long terme– sur la santé humaine et l’environnement« .

Il est un fait indiscutable: les États-membres de l’Union Européenne se sont prononcés pour une application du principe de précaution dans le cas des substances chimiques par l’article 5 du règlement REACH « pas de données, pas de marché ». Cette exigence découle des multiples situations problématiques auxquelles nous avons été confrontés par le passé – à savoir une non-anticipation des dommages que peut causer une substance à la santé humaine ou l’environnement et la nécessité de les gérer après-coup, une fois que des dommages parfois graves, irréversibles, aient été causés (voir les rapports Late Lessons from early warnings de l’Agence européenne de l’environnement)(présentation en français).

Les nanomatériaux sont des substances chimiques qui, comme les autres, devraient se voir appliquer ce principe. Tel n’est pas le cas: alors que les moyens techniques de mesures efficaces de la toxicité ne sont toujours pas finalisés, on trouve pléthore de nanomatériaux dans les produits de consommation quotidienne. Cosmétiques, contenants alimentaires, textiles, etc. n’en sont que quelques exemples. Aujourd’hui, il est impossible de certifier que l’utilisation actuelle des nanomatériaux n’entrainera pas des dommages peut-être graves, voir irréversibles sur la santé ou l’environnement. Et il est d’autant plus surprenant de voir la liberté accordée à leur utilisation, au mépris total du principe « pas de données, pas de marché » pourtant avalisé depuis des années. Les dommages peuvent être directs, mais aussi collatéraux: la sur-utilisation – peu essentielle – du nanoargent comme antibactérien dans des produits tel les textiles est déjà identifiée comme pouvant entrainer le développement de résistances bactériennes à ses effets – et donc de réduire son efficacité dans les applications médicales permettant de réduire les risques de maladies nosocomiales, par exemple.

C’est à ce constat alarmant que la demande de registre se propose de trouver réponse: en rassemblant notamment les données toxicologiques, écotoxicologiques, les quantités utilisées et les voies d’exposition des travailleurs, des consommateurs et de l’environnement, les autorités publiques disposeront des informations indispensables pour évaluer les risques et prendre les mesures nécessaires pour les limiter.

Bien sûr, le bon sens eut sans doute préféré que les moyens techniques de mesures de la toxicité soient développés en parallèle des applications, et que celles-ci se voient évaluées avant qu’une utilisation plus large n’en découle. Mais la déesse Innovation n’aime pas être contrariée pour d’aussi banales considérations que la santé ou l’environnement…

Valérie Xhonneux

Anciennement: Santé & Produits chimiques