Quatorze questions pour retracer un parcours de maraîchère urbaine. Maral Voskertchian, éco-conseillère, initiatrice d’un potager dans le jardin de sa colocation bruxelloise, chargée de mission à La ferme du Parc Maximilien, se prête au jeu d’une interview centrée sur son ressenti.
Comment va ton potager bruxellois ?
Avant de commencer mon potager, je n’ai pas assez observé l’orientation du jardin et mes semis ont souffert du manque d’ensoleillement. Par contre, il y a plein de plantes mellifères qui se sont installées à la place des légumes et qui ravissent les insectes. Nous avons aussi installé une zone humide avec quelques plantes aquatiques et les moineaux du quartier ont adoré notre initiative. En dehors des barbecues régulièrement organisés dans cet espace, le potager est un super prétexte pour être dehors. Avoir les mains dans la terre suscite de la curiosité et crée rapidement de la discussion.
Les derniers légumes achetés et cuisinés sont…
Des navets et des carottes pour accompagner les potions et les orties récoltés à la Ferme et qui ont été cuisinés en soupe pour l’équipe.
Quel est ton premier souvenir (ou un très ancien) lié à l’agriculture/agriculture urbaine ?
J’ai grandi à la campagne. Mon premier souvenir, c’est la chasse aux pommes de terre restée dans les champs après leur récolte, avec une affection particulière pour celle en forme de cœur que j’offrais à mes amis. Arrivée en ville, mon premier souvenir lié au jardinage, c’est le mouvement de réappropriation des pieds d’arbre.
Un projet d’agriculture urbaine qui t’inspire ?
Le Talus, une ancienne déchetterie marseillaise transformée en tiers-lieu par un groupe de citoyen. Ils organisent toute une série de projet : du maraîchage au poulailler pédagogique en passant par la vente de semences ou encore le compostage collectif. C’est un projet qui, à mes yeux, vend de l’espoir. Par ailleurs, ce projet met en avant ce qui distingue l’« agriculture » de l’« agriculture urbaine ». En ville, un projet d’agriculture urbaine doit être pensé de manière multifonctionnelle pour pouvoir s’intégrer au mieux dans le tissu urbain. De cette multifonctionnalité découle tout un tas de projets qui ne sont pas uniquement liés à la relocalisation de la production alimentaire en territoire urbain. Hors, on a souvent tendance à résumer l’agriculture urbaine à cela. Les projets d’agriculture urbaine soulèvent d’autres enjeux très importants : favoriser la biodiversité, faire de l’éducation à l’environnement, questionner la place de l’animal en ville et redéfinir en permanence son rapport au vivant.
Un outil de jardinage qui ne te quitte pas ?
Mes mains. On pense souvent qu’il faut avoir du matériel à disposition avant de se lancer. Un petit carré de terre, que ce soit en bac ou en pleine terre et des mains forment un super point de départ pour lancer son potager.
Un paysage agricole (réel ou imaginaire) qui t’inspire ?
Lors de ma formation à l’Institut Eco-Conseil, nous avons participé à une visite de terrain organisée par Faune et Biotope. Je garde un vif souvenir des haies vives plantées entre les champs, des aménagements mis en place pour favorise la biodiversité. Je n’avais jamais vu autant d’oiseaux. Avant cette visite, mon imaginaire du paysage agricole se résumait aux cultures intensives, aux champs lisses et uniformes.
Est-ce que la crise sanitaire a changé ton rapport à l’alimentation/l’agriculture urbaine ?
Oui, bien sûr. Ne fut-ce que par rapport à l’immunité du corps et au rôle de l’alimentation par rapport à la santé, à l’importance de manger des aliments riches en minéraux et vitamines, de choisir des légumes et fruits bio. Et puis bien sûr, j’aime soutenir les producteurs locaux.
Quels lieux, encore inexploités aujourd’hui en matière d’agriculture urbaine, pourraient devenir les potagers de demain ?
Je n’ai pas de statistiques en tête, mais intuitivement, je pense que les lieux encore inexploités pour les petites productions, ce sont les jardins privés. Ce sont des parcelles qui pourraient permettre une petite production familiale ou devenir des espaces qui favorisent la biodiversité. Il faut avancer sur plusieurs fronts en même temps : valoriser ces espaces qui existent, mener un travail de sensibilisation et d’éducation à la gestion des espaces verts privés, accompagner des projets de végétalisation des villes (des toitures aux cours d’école).
Comment commencer un potager urbain ?
Au départ, il faut se demander quels sont nos envies et nos besoins, mais aussi le temps que nous sommes prêts à donner à ce potager, les usages que nous voulons en faire, l’espace disponible, les personnes impliquées, etc. Un potager urbain peut être multiforme et répondre à plusieurs objectifs parfois très différents.
Quels légumes étranges voudrais-tu faire pousser ?
J’ai suivi une formation sur les champignons il y a quelques temps et j’ai été impressionnée par le glanage de racines. Si je devais faire pousser un légume étrange, ce serait un légume racine comme la bardane.
Comment intégrer l’agriculture urbaine dans les espaces publics ?
Progressivement. Il faut partir d’un bon diagnostic, savoir ce que veulent les gens, qui sont les acteurs présents. Déterminer si l’endroit s’y prête, si les habitants et habitantes y voient un intérêt. Ne pas faire du jardin urbain pour faire du jardin urbain.
Une lecture, un podcast, un film à recommander ?
Je recommande la lecture du roman graphique « Les cerveaux de la ferme, au cœur des émotions et des perceptions animales » de Sébastien Moro et Layla Benabid. Les deux auteurs y vulgarisent plusieurs centaines de travaux scientifiques menés des années 1980 à nos jours. À la Ferme du Parc Maximilien, nos animaux font partie intégrante de l’équipe et la thématique du bien-être animal de nos missions. Sans eux, nous serions incapables de mener à bien nos projets.
Et enfin… A quelle œuvre d’art as-tu pensé durant cette interview ?
J’ai pensé à un tableau de Matisse qui représente le jardin de Renoir. Nous recevons beaucoup d’écoles primaires et secondaires à la Ferme. En faisant des recherches pour construire une animation sur les représentations des jardins et potagers en art, je suis tombée sur cette peinture. Ce jardin a l’air un peu sauvage, un peu secret.