De la durabilité de l’industrie alimentaire

C’est ambitieux et volontaire, la fédération de l’industrie alimentaire veut réduire ses impacts environnementaux à néant. Cent actions devraient mener le secteur à atteindre cet objectif.

Aucune fédération industrielle wallonne n’affiche pareille ambition. La Fevia, fédération du secteur alimentaire, ose ainsi se mettre à nu, reconnaître son impact environnemental et se remettre en question. Chapeau !

Par là même, l’industrie reconnait que nos ressources naturelles sont limitées et qu’il lui faudra les gérer si elle se veut pérenne. On ne s’enlise plus, et c’est un bon pas, dans le débat sur les potentielles ressources qui viendraient remplacer les déclinantes.

L’étude : des conclusions qui posent question

La Fevia a commandité une étude aux bureaux Factor-X et Comase destinée à établir une feuille de route pour atteindre la neutralité en CO2, eau, déchet et biodiversité en 2030. Inviter Inter-Environnement Wallonie à commenter cette étude, c’est opter pour le dialogue et ouvrir le débat de la durabilité. Cette démarche va dans le bon sens tant il nous semble essentiel pour aborder la durabilité de commencer par entrer en dialogue avec l’ensemble des parties prenantes.

L’étude, si elle ne touche pas au système agro-alimentaire industriel tel que nous le connaissons – nous y reviendrons – , a été menée avec sérieux et présente une centaine de mesures à prendre pour tendre vers la neutralité dans les 4 thématiques abordées. Une série de mesures concerne également l’amont et l’aval de la filière alimentaire. Il n’est en effet pas concevable de parler de neutralité environnementale de l’industrie alimentaire sans aborder les impacts environnementaux dans l’agriculture, la distribution et la consommation. L’industrie alimentaire a indiscutablement une influence sur toute la filière.

Les conclusions de l’étude sont interpellantes. L’ensemble des mesures de réduction proposées sur le périmètre propre de l’industrie alimentaire permettront d’améliorer les bilans environnementaux mais pas d’atteindre la neutralité en 2030. L’étude cherche alors des mesures en amont et en aval dans la filière alimentaire. Ces mesures dites de neutralisation sont cadrées pour éviter les pièges de la compensation carbone. Le constat posé par l’étude est clair et sans appel : les actions de réduction et de neutralisation ne permettent pas d’arriver à la neutralité en 2030. « Aucune activité ne peut avoir un impact nul sur son environnement ». Nous pouvons lire alors cette phrase étonnante « Malgré tous les effets de réduction d’impacts, il restera un solde à gérer, correspondant à la valeur ajoutée de l’entreprise ou du secteur. » Qui et comment peut-on établir que les impacts environnementaux restant correspondent à la plus-value du secteur ? Mais surtout peut-on par là implicitement accepter que la planète puisse supporter ces impacts ? Les conclusions de l’étude n’appellent-t-elles pas à la nécessité de repenser notre système agro-alimentaire ?

La durabilité et les défis pour l’industrie alimentaire

Les industriels ont-ils toutes les cartes en main pour prendre les bonnes décisions ? Les conclusions appellent à se pencher sérieusement sur la durabilité du secteur. Oser l’aborder c’est oser regarder en face le contexte dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui et dont l’impact sur l’industrie agro-alimentaire ne peut que s’accroître. Quels sont les éléments de ce contexte en forte évolution ? La crise alimentaire mondiale qui implique que les modèles agricoles et alimentaires soient en capacité d’assurer localement les besoins de la population mondiale. La crise climatique qui pose à la fois la question de la responsabilité notamment de l’agriculture et de sa capacité à s’y adapter. La crise sanitaire et particulièrement les maladies liées à nos systèmes alimentaires (maladies cardiovasculaire, obésité,…) et la forte augmentation des coûts de santé publique. La crise économique et financière qui accroit les inégalités sociales sur le plan alimentaire. La crise sociale avec les agriculteurs chez nous et dans le Sud qui se voient contraints d’abandonner leur exploitation et de trouver un autre emploi. Et j’en passe. Ce sont autant de défis que notre industrie alimentaire qui doit affronter si elle se veut pérenne et qui pourraient ainsi contribuer à la transition vers une société plus durable.

Une industrie pionnière ?

Parmi les 100 actions présentées dans l’étude pour tendre vers la neutralité, nous retrouvons beaucoup de bonnes pratiques et d’actions d’optimisation des processus. Si on entend par là que ces pratiques ne sont pas encore généralisées, il est effectivement pertinent de s’y atteler. On peut aussi se demander si ces mesures sont suffisantes pour relever les défis de la durabilité. Hors nous faisons le pari que l’industrie alimentaire pourrait devenir pionnière en durabilité. La Wallonie possède de nombreux atouts : proximité des consommateurs, une agriculture encore familiale variée dans ses productions, des conditions pédoclimatiques favorables, un intérêt et une inquiétude grandissante des consommateurs vis-à-vis de leur alimentation, une industrie alimentaire diversifiée dans ses produits et dans la taille de ses entreprises, etc.

Encore faut-il s’entendre sur ce que signifie « durabilité » ? Le Rawad[ [www.rawad.be, les 16 organisations membres du Rawad sont : Ecoconso, l’Union des Agricultrices Wallonnes, Bioforum Wallonie, l’Observatoire de la Santé du Hainaut, le Collectif Stratégie Alimentaire, les Conviviums Slow Food wallons, Accueil Champêtre, la Fédération Horticole Wallonne, Hainaut développement, le CNCD/11.11.11, Max Havelaar, Saveurs Paysannes, Mutualité socialiste-Solidaris, Fédération d’Economie Sociale Saw-B, la fédération belge francophone des fermes d’animation et IEW.]]
, le Réseau des acteurs wallons pour une alimentation durable, créé notamment par IEW, présente dans sa charte sa vision de l’alimentation durable : « Dans le respect des principes de souveraineté alimentaire et du droit à l’alimentation, un système alimentaire durable permet à tous aujourd’hui et demain, d’accéder à un régime sain et équilibré. Le système est socialement et économiquement viable pour chacun des acteurs. Il préserve l’environnement et respecte les diversités culturelles alimentaires. »
IEW a également développé une analyse et des propositions pour « Repenser notre agriculture et notre alimentation ».

Notre fédération, IEW, s’intéresse par ailleurs aux circuits courts alimentaires. Consciente de l’intérêt économique, social mais également environnemental de ce type de commercialisation, IEW s’investit en tant que Référent Circuit Court au sein du tout nouveau Centre de référence circuits courts logé à l’Agence de stimulation économique. Parmi les nombreuses autres pistes d’action, les circuits courts sont certainement à amplifier au sein de l’industrie alimentaire.

La Fevia a souhaité faire une étude de faisabilité à contexte socio-économique inchangé. Nous pensons qu’il s’agit d’une limitation importante qui déforce quelque peu l’étude. Il serait intéressant d’analyser les scénarios prospectifs de notre système agro-alimentaire[[Agrimonde. Agricultures et alimentations du monde en 2050 : scénarios et défis pour un développement durable, Note de synthèse, Février 2009 ; duALIne – durabilité de l’alimentation face à de nouveaux enjeux. Questions à la recherche, Rapport Inra-Cirad (France), 236 p]] et pourquoi pas de développer des scénarios pour la Wallonie avec toutes les parties prenantes de l’alimentation. Cela permettrait à l’industrie alimentaire de mieux comprendre le contexte dans lequel elle évolue et de faire des choix judicieux pour son avenir et l’avenir de notre société.

Il faudra pour l’y aider que les choix politiques soient clairs et que le cadre législatif et incitatif soutienne effectivement toute la filière alimentaire dans sa contribution à développer un système agro-alimentaire durable. Que ce soit à travers une alliance emploi-environnement sur l’agro-alimentaire qui semble être une piste prometteuse et/ou tout autre dispositif public.

L’industrie alimentaire vient de mettre sur pied avec la Fédération wallonne de l’agriculture et Comeos, la fédération de la distribution, une plate-forme qui a pour objectif la croissance durable du système agro-alimentaire wallon. Ce lieu nous semble idéal pour poser les jalons de la durabilité. Espérons que cela se fera en dialogue et concertation avec la société civile et certainement avec les consommateurs, le secteur environnemental et celui de la santé. Du côté des consommateurs, il nous semble indispensable de remettre en question certaines habitudes alimentaires et en parallèle investiguer le devenir de certains produits. Que ces acteurs soient réellement parties prenantes dès le départ. Les défis à relever sont suffisamment importants et complexes.

Oser remettre en cause notre système agro-alimentaire et faire de la Wallonie une région pionnière d’un système agro-alimentaire sain et durable. En voilà un défi !