De la rénovation à l’urbanisme circulaire

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La construction d’une maison neuve nécessite en moyenne entre 200 et 400 tonnes de matériaux 1, soit environ 40 fois plus de matériaux qu’une rénovation2 !

Sachant que le secteur de la construction, en Belgique, représente :

  • 50% des matières premières extraites et produites,
  • 30% de la consommation d’eau,
  • 33% de la production des déchets,
  • 40% de la demande en énergie 3,

il apparaît clairement que la conservation du bâti « déjà-là » grâce à sa rénovation, sa transformation éventuelle, son entretien (prendre soin, faire durer) est un levier fondamental dans la diminution des émissions de GES, la préservation des ressources naturelles (des matières premières à l’eau consommée) et la diminution des déchets de construction.

Outre ces aspects, rénover le bâti « déjà-là » est également une façon de maintenir des paysages bâtis aux formes et typologies variées, de garder le caractère et l’histoire des lieux, de valoriser les aménités. C’est une excellente façon d’éviter l’uniformité immobilière qui s’étend partout en Wallonie et rend nos paysages bâtis semblables, peu importe où se pose le regard.

Enfin, au regard des objectifs de freinage de l’artificialisation des sols, rénover le bâti déjà-là, transformer l’existant, changer les usages des bâtiments obsolètes, l’adapter, le transformer au lieu de construire du neuf en rase campagne est un axe stratégique prioritaire pour IEW.

Du PEB à L’ACV 4 : une ronde d’acronyme

En Belgique, d’octobre à avril, selon la météo, le niveau de frilosité des occupants et occupantes, le niveau d’isolation de l’enveloppe du bâtiment, nous réchauffons nos intérieurs. Les méthodes varient : du poêle à pellets à la chaudière au mazout en passant par la pompe à chaleur mais globalement le résultat visé reste le même : ne pas avoir froid chez soi. 5 Or le chauffage des bâtiments en Belgique représente 40% de toute l’énergie consommée. Des efforts conséquents ont donc été mis en place depuis plusieurs années pour améliorer la performance énergétique des bâtiments, en améliorant leur isolation et les systèmes de ventilation intérieure. Les constructions neuves et rénovations importantes doivent répondre à des normes plus exigeantes 6.

Nous nous réjouissons que la certification PEB soit obligatoire et que l’efficacité accrue des bâtiments permettent une diminution effective de la consommation en énergie et donc des émissions des GES qui y sont liées. Cependant, « les bâtiments les plus performants sur le plan énergétique nécessitent davantage de matériaux (d’isolation) et disposent d’installations techniques plus complexes. De plus en plus de matériaux d’isolation, de panneaux solaires, de systèmes de ventilation, … et d’autres éléments nécessaires sont ajoutés aux éléments de construction classiques qui sont nécessaires au bon fonctionnement des bâtiments à haute performance énergétique. (…) Ce sont alors les matériaux de construction eux-mêmes qui sont responsables de la plus grande partie de l’impact environnemental d’un bâtiment (jusqu’à plus de 50 % de son impact global). » 7 En d’autres termes, il est urgent de s’intéresser de près à ce que nous construisons, à la manière de construire et à embrayer rapidement vers des solutions alternatives et circulaires, parmi lesquelles : la rénovation du bâti « déjà-là ».

Si nous prenons l’Analyse du Cycle de Vie d’un bâtiment dans son ensemble, les phases d’extraction des ressources, de constructions et de fin de vie sont également particulièrement énergivores et émettrices de CO2 (notamment) !

Illustration : rfcp.fr

« À chaque étape de son cycle de vie, un bâtiment consomme des ressources (intrants) et génère des émissions (extrants) qui ont souvent un impact significatif sur l’environnement (eaux grises, gaz d’échappement, produits annexes dangereux, CO2, …). Cela peut entraîner la pollution de l’eau, de l’air et du sol et peut même détruire des écosystèmes, contribuant ainsi à la perte de biodiversité. Enfin et surtout, elle peut également nuire à la santé des humains et d’autres créatures vivantes. Tous ces impacts environnementaux doivent être identifiés, inventoriés et classés afin qu’une évaluation puisse être effectuée de manière scientifiquement fondée. » 7

L’Analyse du Cycle de Vie permet d’adopter une vue globale sur le bâti, de percevoir l’ensemble des ressources utilisées et impacts émis tout au long de sa vie et d’agir sur les moments « critiques » de son existence, c’est-à-dire la construction, son entretien et sa rénovation et, éventuellement, sa fin de vie (On considère aujourd’hui qu’un bâtiment de bureaux à une durée de vie de 30 ans (!!), un logement, une durée de vie de 60 ans (!). Quand on pense que certaines maisons brugeoises ont été construites vers 1200 – 1300 et sont toujours habitées…).

« Nous avons un grand défi à relever avec la transformation du stock de bâtiment existant pour les rendre viables d’un point de vue environnemental et social dans une société qui doit réduire drastiquement ses émissions de carbone et le prélèvement des ressources. » 8

{Point PEB et Stratégie RenoPlus}
La rénovation énergétique du bâtiment, malgré sa gourmandise en matériaux d’isolation, reste une priorité ! Isoler les bâtiments pour éviter les déperditions de chaleur est important : chauffer des espaces remplis de courants d’air est contre-productif et terriblement énergivore ! En améliorant la performance énergétique du bâti « déjà-là » sans le démolir (!), cela permet de réduire de la consommation énergétique (même s’il est probable que la performance énergétique atteigne pas le PEB A, les économies d’énergie seront malgré tout sensibles), de réduire le coût des factures d’énergie pour les occupants et occupantes et de continuer la création d’emplois locaux pour mener à bien la vague de rénovation portée par le projet Réno +. Le taux de rénovation wallonne est particulièrement faible : 1%/an. L’ambition de la Région est de tripler le nombre de rénovation annuelle. Le site WalloReno vise à soutenir cet effort en centralisant toutes les informations utiles pour se lancer dans un projet de rénovation (un guide et une liste des outils d’accompagnement).

Mais n’oublions pas que l’isolation du bâtiment ne fait pas tout : le certificat PEB, quel que soit son résultat, ne dit rien du comportement des occupants et occupantes des lieux (attention à l’effet rebond possible et à l’augmentation de la température de confort intérieure) et ne tient pas compte non plus des consommations liées à l’éclairage et à l’utilisation d’appareils électroménagers. L’adoption de comportements sobres reste nécessaire. Le projet de co-recherche Slowheat interroge dans ce sens les normes de confort et les pratiques de chauffe et propose d’explorer la pratique d’une vie basse température, basse énergie.

Enfin, gardons en tête que la « durabilité » d’un bâtiment ne peut se réduire à sa performance énergétique. D’autres facteurs entrent en ligne de compte : son taux d’occupation (la taille du bâtiment/logement est-elle adaptée à son utilisation ?), son emplacement (les trajets journaliers peuvent-ils être effectués autrement qu’en voiture individuelle ?), la place laissée à la biodiversité (le jardin est-il réduit à un green de golf stérile et soiffard en arrosage ?), etc. Habiter un bâtiment passif et faire tous ses déplacements seul.e en voiture ne participe pas à la réduction des gaz à effet de serre !

Obsolescence programmée

Dans notre société de consommation, nous en sommes arrivés à considérer normal que les bâtiments aussi deviennent « obsolètes », qu’ils soient abandonnés, démolis, transformés en déchets et remplacés par de nouveaux bâtiments qui deviendront, un jour, à leur tour, « obsolètes ». La recherche d’une meilleure performance énergétique a sans doute accéléré la tendance à la démolition-reconstruction de certaines parties de notre territoire. L’avantage fiscal des opérations de démolition-reconstruction est évidemment la cerise sur le gâteau pour les promoteurs immobiliers 9.

Fatigués de voir des dizaines d’immeubles de bureaux bruxellois démolis à tour de bras sous prétexte d’obsolescence, Inter Environnement Bruxelles, l’Association du Quartier Léopold et Ecores ont conçu un outil simplifié de calcul du coût énergétique de ces opérations de démolition-construction neuve. Le résultat de ce calcul est exprimé en années nécessaires pour amortir le poids énergétiques du bâtiment existant ainsi que l’énergie nécessaire pour sa démolition et la construction neuve. Des scénarios alternatifs de rénovation simple ou lourde (c’est-à-dire qui porte sur au moins ¼ de l’enveloppe du bâtiment) sont également calculés. Le résultat est sans appel : « Une rénovation lourde s’avère donc souvent la meilleure des solutions, car c’est dès à présent que les émissions de gaz à effets de serre doivent diminuer drastiquement : plus tard, il sera trop tard. » 10

L’avantage de cet outil est que son appropriation est aisée, y compris pour des non-spécialistes, même si, idéalement, une analyse du cycle de vie complète serait plus pertinente (mais l’accès aux données nécessaires n’est pas toujours faciles…). Son but n’est pas de s’opposer à tout projet mais d’inciter à une réflexion plus globale en vue de choisir la meilleure option possible (grâce à des opérations alternatives de rénovation légère, rénovation importante ou encore déconstruction et réemploi sur place des matériaux) et d’ « évaluer les résultats qui en ressortent en regard des dynamiques territoriales spécifiques que nous observons avec toute l’attention amoureuse que méritent leurs économies/écologies particulières. » 11

Cet outil a en tout cas pour vertu d’attirer l’attention sur la facture carbone de certaines opérations immobilières et d’inviter tout un chacun et, en particulier le secteur de la construction, à changer ses (mauvaises) habitudes. Démolir a un coût. Construire du neuf aussi. Surtout dans un contexte de raréfaction des ressources naturelles et d’augmentation des prix de l’énergie.

Pour les professionnels, des outils plus pointus et complémentaires sont d’ores et déjà disponibles et opérationnels : TOTEM, BIM, ACV, BAMB. Au-delà de la mélodie de leurs acronymes, ces outils ont tous pour objectif d’aider le secteur de la construction à objectiver et réduire les impacts environnementaux des bâtiments, aussi bien au niveau de l’énergie consommée que de l’utilisation des ressources.

Illustration : dixit.net

Faire avec le « déjà là », c’est rentabiliser les ressources et l’énergie qui ont été investies, prolonger le cycle de vie des bâtiments qui nous entourent, métamorphoser le bâti sans en faire table rase.

Le déchet est-il une ressource ?

Le meilleur déchet est celui qui n’existe pas. Or, rappelons-nous un chiffre vu en début d’article : le secteur de la construction représente 33% des déchets belges. C’est dire que les efforts à fournir sont conséquents.

« La quantité et la nature des déchets varient fortement suivant qu’il s’agit de travaux de construction, de rénovation ou de démolition. Une estimation faite dans le cadre du Plan wallon des déchets – Horizon 2010 répartit la provenance des déchets de construction et de démolition à concurrence de :

  •  36 % de travaux hydrauliques et routiers ;
  • 6 % de travaux de construction de bâtiments neufs ;
  • 6 % de travaux de rénovation ;
  • 52 % de travaux de démolition (dont 21 % de démolitions résidentielles)

La composition des déchets dépend du type d’ouvrage démoli ainsi que des matières utilisées lors de la construction. » 12

Ces déchets se divisent en trois grandes catégories : les inertes (briques, béton, tuiles, carrelages, mortier, etc), les non dangereux (papier, carton, bois, métaux, etc) et les dangereux (amiante, bois traité, solvants, résidus de peinture, etc) auxquelles s’ajoutent les terres excavées. 3

En adoptant son Plan Déchet-Ressource en 2018 le Gouvernement Wallon s’est doté d’une vision stratégique sur la prévention des déchets. Ce plan répond à la Directive Européenne 2008/98/CE qui « vise également à promouvoir le réemploi, notamment en encourageant la mise en place et le soutien de réseaux de réemploi et de réparation, l’utilisation des instruments économiques, de critères d’attribution de marchés, d’objectifs quantitatifs ou toutes autres mesures.» 13 Cette Directive Européenne énonce de grands principes dans la gestion des déchets et encourage à appliquer la hiérarchie des modes de traitement telle qu’inspirée par l’échelle de Lansink :

Illustration : Bruxelles Environnement

Cette Directive repose sur trois grands principes :

  • Le principe de prévention qui englobe aussi bien la prévention de production des déchets que la prévention des dommages causés par les déchets.
  • Le principe de « pollueurpayeur », cette directive prévoit que le coût de l’élimination des déchets soit supporté par le détenteur des déchets, les détenteurs antérieurs ou les producteurs du produit générateur de déchets.
  • La responsabilité élargie du producteur qui vise à impose aux producteurs ou aux importateurs de reprendre les déchets qu’il a produit, en vue d’en assurer une gestion efficace et d’atteindre des objectifs de valorisation et réutilisation du déchet

En somme, la philosophie de cette directive, qui s’inspire de la théorie du cycle de vie, s’inscrit dans une perspective de développement de l’économie circulaire. 14

Cette directive devait être transposée dans nos textes législatifs wallons pour 2020 et ce travail de transposition touche à sa fin avec la préparation en cours d’un Arrêté du Gouvernement Wallon relatif aux déchets, à la circularité des matières et à la propreté publique 15. Cet arrêté reprendra certaines dispositions de la directive 2008/98/CE et notamment, les mesures relatives au tri à la source des déchets de construction et de démolition, et à la manipulation en toute sécurité des substances dangereuses relatives aux activités de construction et de démolition (dont l’amiante en particulier).

Cet arrêté fera le lien entre différents textes législatifs et stratégies wallonnes. Il s’inscrit dans la lignée les engagements pris dans la Déclaration de Politique Régionale 2019-2024, contribuera à différents objectifs du Plan wallon des déchets-ressources adopté en 2018 (parmi lesquels développer le tri à la source sur chantier, imposer un inventaire et un plan de gestion couplé à une obligation de déconstruction sélective, augmenter le réemploi et le recyclage sur les chantiers, promouvoir l’utilisation de granulats recyclés) ainsi qu’à la mise en œuvre de certaines mesures et l’atteinte des objectifs de la stratégie « Circular Wallonia ».

{Economie circulaire & Wallonie}
Les définitions de l’économie circulaire sont nombreuses. La définition adoptée par la Wallonie est inspirée par celle formulée par la Fondation Mac Arthur et repose sur 4 axes :

• Conception et production circulaire : lors des phases de conception, de production et d’organisation, l’utilisation des ressources est optimisée en prenant compte les externalités produites à chaque étape du cycle de vie (de l’extraction jusqu’à la fin de vie).
• Nouveaux modèles économiques : l’ensemble des initiatives qui proposent de nouveaux modes de production, de distribution, de consommation et de création de valeur ajoutée. Elles contribuent à optimiser l’utilisation des ressources matérielles et immatérielles, par exemple en remplaçant la vente d’un bien par l’offre d’une solution de services.
• Logistique inversée : le processus par lequel une entreprise met en place un système de récupération de ses produits (défectueux, insatisfaisant, en fin de vie, etc.) et emballages auprès de ses clients, intermédiaires et/ou utilisateurs finaux afin de les réintroduire dans le cycle de production et d’utilisation.
• Symbioses industrielle : cette collaboration s’organise entre plusieurs entreprises et se base sur l’échange et/ou la mutualisation de certaines ressources dans le but d’utiliser les déchets de l’une comme matières premières d’une autre.

L’économie circulaire permet l’optimisation des ressources et rompt avec le schéma traditionnel de production linéaire, qui va directement de l’utilisation d’un produit à sa destruction, auquel se substitue une logique de “boucle”. Source : https://economiecirculaire.wallonie.be/concept

Tous ces textes insistent sur la priorité à accorder à la prévention des déchets (éviter d’en faire et s’assurer que les déchets ne contaminent pas l’environnement) et converge pour considérer les déchets comme ressources qu’il faut valoriser et adopter les principes de l’économie circulaire. Dans un monde fini, chaque ressource compte. Détruire n’a pas de sens, surtout quand on peut l’éviter. « L’économie circulaire dans la construction tend à minimiser la production de déchets par la réparation, la maintenance, le réemploi des produits et le recyclage des matériaux mais aussi via une réflexion quant à la conception et à la manière dont sont assemblés les éléments construits dont on souhaite prolonger et optimiser la durée de vie. En prolongeant la durée de vie des matériaux, produits et bâtiments, il est possible de réduire l’extraction et l’utilisation des matières premières primaires, l’impact environnemental et les émissions provenant de la production et du traitement des matériaux et les déchets de l’industrie de la construction. » 16

La meilleure prévention des déchets passe par le maintien de l’existant. Mais quand la démolition d’un bâtiment est inévitable (s’il est instable, inadaptable, etc), il doit devenir une « banque de matériaux disponibles » qui après avoir été soigneusement déconstruits et peuvent être réemployés, soit sur le site de la reconstruction, soit ailleurs. A l’heure actuelle, seulement 1% à 2% des matériaux de construction sont réemployés ! Certes, le taux de « recyclage » des matériaux de construction avoisine les 90% mais il ne faut pas oublier que l’opération de recyclage consomme de l’énergie pour transformer la matière et n’apporte aucune valeur ajoutée via le produit final, à l’inverse du réemploi.

Cette démarche de réemploi implique d’adopter de nouveaux réflexes : inventorier les matériaux réutilisables, les démonter avec soin, cataloguer les matériaux pour que ceux et celles qui en ont besoin puissent les trouver, intégrer les matériaux dans les (re)constructions dès la conception du projet, intégrer des critères de circularité dans la rédaction des marchés publics, etc. Ces points d’attention ont bien été identifiés dans la Stratégie Circular Wallonia, élaborée avec des acteurs clés des filières concernées. Les appels à projet fleurissent dans le cadre de l’opérationnalisation de cette stratégie, par exemple pour favoriser l’émergence et le maintien de chantiers et services circulaires.

De nombreux acteurs wallons et bruxellois travaillent déjà depuis plusieurs années à faire bouger les lignes et à intégrer de la circularité dans les projets de construction et rénovation : Rotor, Opalis, Retrival, Circonflexe, etc. Les guides de bonnes pratiques se multiplient. Nous pourrions citer par exemple :

Les initiatives et projets-pilotes se multiplient en Belgique et à l’étranger. Bref, ne reste « plus qu’à » … passer à l’échelle supérieure.

Illustration : Stratégie Circular Wallonia, p. 62

De la gestion des déchets à la circularité des bâtiments

Appliquée au secteur de la construction, Les principes de l’économie circulaire peuvent être classés en trois thématiques  :

  • conception et construction de bâtiments dont les matériaux peuvent être récupérés en fin de vie : réaliser des bâtiments qui portent en eux les principes de circularité et de longue durée de vie en se focalisant sur l’adaptabilité de la construction, sur le choix des matériaux et des assemblages ainsi que sur la réduction de production des déchets,
  • utilisation des ressources matérielles disponibles dans les bâtiments existants (urban mining) : encourager l’inventorisation des éléments présents dans les ouvrages existants et permettre leur déconstruction  en vue d’un meilleur recyclage ou d’un réemploi
  • développement de nouveaux modèles économiques visant à créer de la valeur ajoutée pendant tout le cycle de vie des bâtiments et des matériaux (extension de la durée de vie, économie du partage et économie de la fonctionnalité, p. ex.)
Définition de l’économie circulaire dans la construction (CSTC, 2018)

« Pour chacun de ces axes, différents principes sont énoncés :

  • Concevoir et construire
    • Adaptabilité dans le temps : un bâtiment polyvalent doit être conçu pour être utilisés le plus longtemps possible et doit pouvoir être adapté pour répondre aux besoins changeants des occupant.e.s – cette flexibilité doit être envisagée dès la conception
    • Tenir compte des différentes couches bâties : construire en couches fonctionnelles indépendantes et de durée de vie différentes permet de conserver l’intégrité de la construction dans ses évolutions.
    • Matériaux/Produits : sélectionner les matériaux en fonction de leur devenir en fin de vie et de leur impact environnemental. 3 principes gouvernent le choix des matériaux et produits :
      • Principe de précaution : minimiser le nombre de types de matériaux différents ; éviter les composites inséparables ; choisir des durées de vie compatible avec la strate fonctionnelle.
      • Principe de réversibilité : modulaire / standard ; préfabrication ; facile à manipuler et à déconstruire ; visibilité du point de connexion.
      • Principe d’éco-conception : éviter les toxiques, dangereux et contaminants ; privilégier les matières premières locales et renouvelables ; choisir des matériaux recyclables ou réutilisables.
    • Assemblages : assembler les éléments constitutifs des strates fonctionnelles avec des moyens d’assemblage accessibles et réversibles permet de la modifier ou les récupérer.
    • Déchets : estimer, collecter, trier et minimiser et prévenir la production des déchets, ce qui réduit l’impact environnemental et augmente l’efficacité du chantier.
  • Urban mining (exploitation raisonnée des ressources présentes dans les bâtiments existants)
    • Conserver : maintenir en place et en œuvre la plus haute valeur des ressources déjà bâties.
    • S’informer et déconstruire : réaliser un audit de pré-démolition, c’est-à-dire, un enregistrement détaillé des éléments (matériaux, quantités, dimensions, etc.) en vue de planifier la déconstruction. La déconstruction consiste à extraire soigneusement les éléments construits. Elle est réalisée afin d’obtenir des flux de déchets homogènes (on parlera alors de démolition généralement sélective, qui est la première étape nécessaire dans la chaine de traitement des déchets) ou d’obtenir des éléments pour la réutilisation (on parlera alors de démontage ou de démantèlement, qui s’apparente à une action de prévention qui permet de garder en circulation certaines ressources).
    • Remanufacturing / Maintenance : remise à niveau de qualité neuve
    • Réemploi et préparation au réemploi : opération consistant à réutiliser des produits ou des composants qui ne sont pas des déchets (mais qui nécessitent de nombreuses opérations en vue de leur réutilisation)
    • Recyclage.
  • Modèles d’affaires
    • Maximiser l’efficacité des ressources : créer des produits ou proposer des services efficaces, c’est-à-dire qui utilisent peu de ressources naturelles, dont les ressources sont renouvelables et/ou locales, et qui génèrent peu de déchets.
    • Délivrer une performance plutôt que la propriété : fournir des services ou des solutions produits-services qui satisfassent les demandes des utilisateurs sans que ceux-ci aient à posséder les services ou produits.
    • Passer de la production de biens à la maximisation de l’utilisation du bien.
    • Créer de la valeur à partir des déchets : éliminer la notion de déchets en transformant les flux de déchets en flux utiles et valorisables pour la fabrication d’autres produits. »

La circularité dans le bâtiment concerne donc tout aussi bien la construction « neuve » (mais qui pourrait se faire principalement à base de matériaux de réemploi) que la rénovation en vue d’adapter ou de transformer un bien ou d’en récupérer les composants.

L’application des principes de circularité dans le secteur du bâtiment ne pourra se faire sans changement des mentalités à différents niveaux. La manière de concevoir les bâtiments devra être plus flexible et adaptable : idéalement, il faudra concevoir le projet en fonction des matériaux disponibles. Cette nouvelle façon de travailler aura des répercussions sur la rédaction des marchés publics, des demandes de permis, etc. Un certain nombre de cadres normatifs devront également être revus 17. La sensibilisation et la formation des acteurs de terrain va être primordial pour enclencher la massification de ces nouvelles pratiques.

Éloge d’un savoir faire

« Le travail sur l’existant est donc bien différent du travail sur le neuf. Il nécessite une attention particulière au « déjà-là ». (…) C’est accepter les contraintes du travail de ses prédécesseurs, mais aussi apprendre à en tirer parti. Ce n’est donc pas la même pratique de l’architecture, pas le même rapport entre le geste et la technique, pas les mêmes rapports entre le temps de conception et de réalisation, et surtout pas le même dialogue entre les acteurs qui font le projet. » 18

Le titanesque travail de maintenance, réparation, rénovation, transformation du bâti existant va mobiliser les compétences et savoir-faire du secteur du bâtiment. Des gestes oubliés vont trouver une nouvelle jeunesse et de nouveaux métiers vont émergés de ces nouvelles pratiques (eco-démonteur, valoriste, opérateur de tri, sourceur de matériaux, inventoriste, etc). La généralisation des pratiques d’économie circulaire dans la construction va créer de nouveaux emplois locaux directs (le démontage/déconstruction nécessitera 7 plus de main d’œuvre qu’une démolition) et indirects (par exemple le secteur de la formation).

L’urbanisme circulaire : une stratégie anti-étalement urbain

L’étalement urbain est une des grandes causes de l’artificialisation des sols. Or l’artificialisation des sols met à mal leurs capacités à soutenir la vie sur terre (pour plus de détails je vous renvoie à la niews Une directive cadre, la clé des sols ? ) et l’étalement urbain, par les comportements qu’il génère (en matière de consommation en ressources naturelles, mobilité, etc) a un impact important sur le dérèglement climatique. Bref, maîtriser et l’étalement et l’artificialisation des sols est essentiel et urgent.

Illustration : Les fonctions des sols ©Flore Vigneron pour le Cerema

« L’urbanisme circulaire doit produire une ville flexible, capable de s’adapter en continu aux évolutions des besoins, pour optimiser l’usage des sols déjà artificialisés, et ainsi éviter la consommation de nouveaux sols agricoles ou naturels. » 19

Le concept d’« urbanisme circulaire » est développé depuis quelques années par l’urbaniste français Sylvian Grisot, auteur du Manifeste pour un urbanisme circulaire publié aux éditions Apogée. Si nous devions résumer le concept d’urbanisme circulaire en quelques mots, nous dirions : adapter l’existant pour éviter de construire toute extension de la ville sur des terres encore non artificialisées

Ce concept repose sur la philosophie de l’économie circulaire et sur une certaine idée de sobriété pour s’inscrire à l’échelle des villes et communes, rurales y compris. Alors, comment adapter l’existant ? Sylvain Grisot propose des mécanismes d’actions concrètes :

  • « Intensifier les usages. La première boucle de l’urbanisme circulaire propose de mieux utiliser la ville existante pour éviter de construire, en jouant sur ses temps et son organisation. La ville regorge d’espaces et de bâtiments vacants ou sous-utilisés, souvent simplement ignorés. Plutôt que de construire, pourrait-on mieux exploiter les potentiels de la ville existante ? Et s’il faut vraiment construire, comment favoriser la mixité des usages [et l’adaptabilité des bâtiments] ?
Illustration : dixit.net
  • Recycler les espaces. Le processus linéaire de fabrication de la ville génère ses déchets : les friches urbaines [et les SAR]. La troisième boucle de l’urbanisme circulaire propose de recycler ces espaces pour leur donner de nouveaux usages. Comment recycler les friches urbaines pour y reconstruire la ville ? Comment, parfois, redonner au sol de la ville des usages non urbains ? »

Tous ces mécanismes permettent de (re)faire la ville sur la ville et de l’adapter à l’évolution constante de nos modes de vie. « Le vieillissement de la ville n’est pas le seul moteur du renouvellement ; les usages et notre pratique des espaces urbains changent, les manières de s’y déplacer, d’y vivre, d’y travailler, de visiter [aussi]. » 20 L’urbanisme circulaire nous offre la possibilité de métamorphoser les espaces sans pour autant en faire table rase.

Sachant que « cela fait un demi-siècle qu’on consacre l’essentiel de nos efforts à construire du neuf toujours plus loin. Mais aujourd’hui, on a des virages à prendre, et vite. Nous oublions que la ville se renouvelle tout doucement, 80% de la ville de 2050 est déjà là ! Les enjeux de l’adaptation de la ville existante sont donc la priorité, et le neuf devrait être construit avec beaucoup plus d’exigence. » 21 Nous pouvons facilement imaginer que le chiffre avancé pour la France soit à peu près similaire pour la Belgique. Il est temps de changer notre manière de penser, d’imaginer, de ménager notre territoire bâti.

De la ville circulaire au territoire circulaire

Dans l’introduction de la Stratégie Circular Wallonia, nous avons relevé un paragraphe qui nous semble particulièrement intéressant : « L’aspect territorial est un maillon essentiel pour déployer les solutions promues par l’économie circulaire et pour offrir des opportunités de création de valeur tout en valorisant les potentialités et ressources locales. Toutes les ressources du territoire seront ainsi mobilisées, notamment en repensant la planification et l’aménagement en termes d’optimisation de flux de matières et d’énergie, de synergies, de substitution, d’optimisation de l’usage des espaces par la mutualisation, le partage ou la multiplication des fonctions associées aux lieux, et en bénéficiant de la multitude de services rendus par les écosystèmes. La transition vers une économie circulaire aura également un impact sur la mobilité et le transport, dont celui des marchandises. » 22

Cette déclaration vertueuse nous fait rêver. Atteindre un territoire « circulaire » tel que décrit ci-dessus est évidement l’objectif à atteindre. Et celui pour lequel nous plaidons depuis longtemps. Mais cela ne se fera pas sans l’impulsion d’une vraie vision politique, globale, qui dresse des balises claires et atteignables, qui renforcera la coopération entre les communes (au moyen de leur refinancement ?), la coopération entre tous les acteurs du territoire : des habitants et habitantes, agriculteurs et agricultrices, entreprises, industries, etc. Nous attendons une stratégie d’aménagement du territoire qui soit le reflet de ces bonnes intentions, qui les traduisent en outils opérationnels agiles et efficaces.

Bibliographie

  • Hélène Ancion, Stop béton, le territoire au service de l’urgence climatique et sociale, IEW, 2019
  • Arnaud Collignon, Climat et logement, pour une rénovation structurelle, profonde et « en une fosi » du bâti, IEW, 2018
  • Sylvian Grisot, Manifeste pour un urbanisme circulaire, pour des altenatives concrètes à l’étalement urbain, Apogée, 2021
  • Christine Leconte, Sylvian Grisot, Réparons la ville !, Apogée, 2022
  • Intégrer l’économie circulaire, vers des bâtiments réversibles, démontables et réutilisables, sous la direction de Solène Marry, Parenthèses/Ademe, 2022
  • Philippe Panerai, La ville de demain, PUF, 2022
  • Jérôme Canéi, David Lamy, Economie circulaire et gestion des déchets de construction et de déconstruction : Contexte, enjeux et vision sectorielle, webinaire, 25 avril 2022
  • Ambroise Romnée, Jeroen Vrijders, Vers une économie circulaire dans la construction. Introduction aux principes de l’économie circulaire dans le secteur de la construction, CSTC, septembre 2018
  • Ambroise Romnée, Jeroen Vrijders, L’économie circulaire, bien plus que du recyclage !, CSTC, 2017
  • Construction et rénovation circulaires – Actions et recommandations d’accélération de l’économie circulaire dans la construction à l’attention du Fédéral, Rapport final d’étude, Annexe 1, Ambroise Romnée, Amandine Deheneffe, Alizé Carême, ICEDD

  1. https://www.youtube.com/watch?v=kafcqYAKjf4
  2. Intégrer l’économie circulaire, sous la direction de Solène Marry, Parenthèses/ADEME, 2022, p.6
  3. https://www.confederationconstruction.be/Portals/28/2022/Webinaires/25%20_04_22_webinaire%20CCW%20TRADECOWALL%20final.pdf
  4. De la Performance Energétique du Bâtiment à l’Analyse du Cycle de Vie
  5. Il est intéressant de noter, bien que cela ne soit pas le propos de cet article, que le niveau de confort attendu en matière de température intérieure a nettement augmenté ces 40 dernières années. Si le thermostat affichait 18° dans les années 70, il avoisine les 21° depuis quelques années. La « faute » à la meilleure isolation des bâtiments et au fameux « effet rebond » ?
  6. Les bâtiments à construire doivent atteindre le standard NZEB (Nearly zero energy building) ou Q-ZEN (bâtiment dont la consommation est quasi nulle ou bâtiment Quasi Zéro Energie). Source : https://energie.wallonie.be/fr/exigences-peb-du-1er-janvier-2021-au-10-mars-2021.html?IDC=7224&IDD=114100
  7. https://www.totem-building.be/pages/about.xhtml
  8. Intégrer l’économie circulaire, sous la direction de Solène Marry, Parenthèses/Ademe, 2022, p.138
  9. https://www.lesoir.be/279745/article/2020-02-13/renover-un-batiment-ou-le-demolir-et-reconstruire-que-choisir
  10. https://demolition-reconstruction.be/?Calculateur&projet=26
  11. Marco Schmitt et Mathieu Sonck,« Faut-il casser Bruxelles ? », Bruxelles en mouvements n°265,  juillet/août 2013
  12. http://etat.environnement.wallonie.be/files/live/sites/eew/files/Publications/Rapport%20analytique%202006-2007/Chap07/6_CycleVieMatieresMatConstDemol/DEC_04.pdf
  13. Plan Wallon Déchet Ressource, p.53
  14. La législation européenne sur les déchets : situation actuelle et évolutions futures, Aïda Ponce Del Castillo, HesaMag#09, 1er semestre 2014, https://www.etui.org/sites/default/files/Hesamag_09_FR-28-34.pdf
  15. Le projet de décret relatif aux déchets, à la circularité des matières et à la propreté publique vise à transposer les directives suivantes en droit wallon :
    – la directive (UE) 2018/849 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive 2000/53/CE relative aux véhicules hors d’usage, la directive 2006/66/CE relative aux piles et accumulateurs ainsi qu’aux déchets de piles et d’accumulateurs et la directive 2012/19/UE relative aux déchets d’équipements électriques et électroniques ;
    – la directive (UE) 2018/850 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive 1999/31/CE concernant la mise en décharge des déchets ;
    – la directive (UE) 2018/851 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive 2008/98/CE relative aux déchets ;
    – la directive (UE) 2018/852 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive 94/62/CE relative aux emballages et aux déchets d’emballages ;
    – la directive (UE) 2019/883 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 relative aux installations de réception portuaires pour le dépôt des déchets des navires, modifiant la directive 2010/65/UE et abrogeant la directive 2000/59/CE ;
    – la directive (UE) 2019/904 du Parlement européen et du Conseil du 05 juin 2019 relative à la réduction de l’incidence de certains produits en plastique sur l’environnement
  16. Construction et rénovation circulaires – Actions et recommandations d’accélération de l’économie circulaire dans la construction à l’attention du Fédéral, Rapport final d’étude, Ambroise Romnée, Amandine Deheneffe, Alizé Carême, ICEDD, p.23
  17. Pour plus de détails : Construction et rénovation circulaires – Actions et recommandations d’accélération de l’économie circulaire dans la construction à l’attention du Fédéral, Rapport final d’étude, Ambroise Romnée, Amandine Deheneffe, Alizé Carême, ICEDD
  18. Sylvain Grisot, Manifeste pour un urbanisme circulaire, éditions Apogée, Pp 131-132
  19. Idem, p.80
  20. Intégrer l’économie circulaire, sous la direction de Solène Marry, Parenthèses/Ademe, 2022, p.17
  21. Christine Leconte, Sylvian Grisot, Réparons la ville ! Editions Apogée, 2022, p.25
  22. Stratégie Circular Wallonia, Service public de Wallonie, 2021, p.7