La participation citoyenne, est-ce que ça marche ? Quels impacts ont les assemblées citoyennes sur les participant·es, sur les décisions publiques et les institutions, sur la société ? Dans cet article, nous interrogeons ces notions d’impact, en l’illustrant avec deux expériences concrètes : le dialogue citoyen permanent en Communauté germanophone et la première commission délibérative mixte au Parlement wallon. Nous vous invitons également à passer à l’action : le collectif CaP Démocratie lance une nouvelle pétition pour exiger le suivi concret des recommandations citoyennes de cette première commission par le nouveau Parlement wallon. Et si vous faisiez, vous aussi, vivre la démocratie ?
Lors d’une rencontre du réseau Participation, Vincent Jacquet, chercheur en sciences politiques à L’UNamur, a partagé ses réflexions sur l’impact des dispositifs de participation encadrée et institutionnalisée, notamment les assemblées citoyennes. Ces mécanismes soulèvent fréquemment des interrogations et suscitent parfois du scepticisme, voire du cynisme. Une question récurrente émerge alors : la participation, est-ce efficace ? Pour le savoir, il est nécessaire d’analyser l’impact à plusieurs niveaux.
1) L’impact sur les participant·es eux/elles-mêmes.
C’est souvent l’aspect le plus facile à documenter. À travers des questionnaires administrés immédiatement après un processus participatif, ou plusieurs mois (voire années) plus tard, de nombreux travaux mettent en évidence le caractère transformateur de l’expérience. Elle est d’autant plus marquante pour les personnes peu habituées à participer à ce type de démarche. Cela peut parfois modifier leurs représentations, leurs comportements, voire leurs engagements politiques.
2) L’impact au-delà des participants, sur les décisions politiques.
Certaines formes de participation, comme les budgets participatifs, peuvent avoir un lien direct avec la décision politique. Par exemple, en Wallonie et à Bruxelles, environ 24 % des communes ont mis en place des budgets participatifs. Précisons cependant que leur ampleur reste limitée : le montant médian est de 2€ par habitant et par an, avec des écarts allant de 0,01€ à 15€, très loin des 200€/habitant/an observés à Porto Alegre, ville pionnière en la matière.
La majorité des dispositifs participatifs ont constitutionnellement une fonction principalement consultative – y compris les budgets participatifs. Ils visent à nourrir la décision politique, sans pour autant la lier directement à la volonté citoyenne. C’est aussi le cas des assemblées citoyennes tirées au sort. Pour évaluer leur impact réel, il est essentiel d’examiner les dynamiques institutionnelles et politiques en jeu. Quels partis ou acteurs institutionnels se sont emparés des propositions issues de ces dispositifs ? Qui les a défendues ? Pour quelles raisons ? Comment sont-elles intégrées dans le jeu partisan ou les réformes en cours ? Selon le chercheur, trop souvent, l’attention de la recherche se focalise uniquement sur l’ingénierie du processus participatif, au détriment de cette analyse politique fondamentale.
3) L’impact sur l’espace public et les institutions publiques
Au-delà des décisions immédiates, quelles résonances ces dispositifs ont-ils dans l’espace public ? Sont-ils de simples îlots d’échange entre les participants, ou génèrent-ils des effets plus larges ? Quelles nouvelles dynamiques internes à l’institution peuvent-ils créer ? Par exemple, dans un service administratif, ces processus peuvent-ils modifier les façons de faire, de décider, de se comporter ?
Evaluer l’impact de la participation suppose donc de dépasser l’analyse des caractéristiques de leur conception et de leurs dynamiques internes pour interroger ses effets politiques, sociaux et institutionnels sur le moyen et long terme.
Une évaluation en profondeur entamée pour le dialogue citoyen de la communauté germanophone
Ce dialogue citoyen est le premier mécanisme délibératif permanent à avoir été institutionnalisé au sein d’un Parlement en 2019 (voir ici pour une description détaillée de son fonctionnement). Ce parlement citoyen composé de citoyens tirés au sort propose des sujets à débattre et formule des recommandations politiques auprès du Parlement. Les parlementaires sont contraints de prendre position sur leur éventuelle mise en œuvre et de les justifier.
Une équipe de l’UCLouvain suit de près ce dispositif depuis sa création. Dans une étude disponible gratuitement ici, l’équipe a analysé l’impact politique des deux premières assemblées citoyennes qui ont parcouru le cycle complet en 4 phases prévu par la législation :1) le choix du sujet, 2) la délibération par l’assemblée 3) la formulation des recommandations et 4) leur suivi et mise en œuvre selon le processus législatif formel.
Les chercheurs ont constaté qu’une minorité de recommandations ont été acceptées telles quelles. Dans de nombreux cas, les autorités politiques conservent les idées et les objectifs des recommandations citoyennes en les ajustant à la réalité politique. Elles constituent une source d’inspiration pour le travail législatif, principalement dans le cadre de réformes en cours. Des enquêtes complémentaires seront nécessaires pour mieux connaître les motivations des députés dans leurs sélections. L’étude de trois autres cycles est en cours et permettra d’affiner la compréhension de l’impact des assemblées sur la législation.
Dans un autre article soulignant l’évolution du dialogue citoyen au cours du temps, l’équipe de chercheurs conclut : « L’une des grandes leçons à tirer de ces cinq années d’institutionnalisation en Ostbelgien est qu’il faut toujours prévoir suffisamment d’espace et de temps pour la flexibilité, l’apprentissage et l’adaptation. Cela profite non seulement aux citoyens, mais aussi aux responsables politiques qui doivent trouver le moyen de gérer des normes changeantes dans une société et une démocratie en évolution. »
Et du côté de la première commission délibérative au Parlement Wallon ?
Nous l’avons décrit dans un précédent article : de novembre 2023 à mars 2024 s’est tenue au Parlement wallon (PW) la première commission délibérative mixte. Pendant, cinq journées de travail, 30 citoyen·nes tiré·es au sort et 10 député·es ont réfléchi ensemble à une question centrale : “Comment impliquer les Wallonnes et les Wallons dans la prise de décision de manière permanente, en s’inspirant notamment du dialogue citoyen permanent existant en communauté germanophone qui procède par tirage au sort ?”
Les résultats de l’enquête menée auprès des participants – citoyens comme parlementaires- avant et après la commission- révèlent plusieurs éléments intéressants.
D’abord, le dispositif reste, fin 2023, largement méconnu : avant de recevoir leur invitation, 90 % des citoyens interrogés déclaraient ne pas avoir entendu parler des commissions délibératives organisées par le Parlement wallon. Le comité d’accompagnement a invité dans ses recommandations à davantage faire connaître ce dispositif auprès des citoyens.
L’expérience semble avoir été largement appréciée. Après participation, 80 % des citoyens et 80 % des parlementaires expriment un ressenti globalement positif.
L’un des fondements de ce type de processus repose sur le tirage au sort, souvent critiqué ou questionné en termes de représentativité. Or, 80 % des citoyens et près de 70 % des élus considèrent que ce mode de sélection a permis de refléter la diversité de la population wallonne.
La confiance dans la capacité des citoyens à formuler des recommandations utiles s’est elle aussi renforcée. Avant la commission, seuls 20 % des parlementaires estimaient que les citoyens étaient capables de participer utilement. Après l’expérience, près de 70 % d’entre eux partagent cette opinion – un niveau équivalent à celui des citoyens.
Les modalités de prise de décision politique ont aussi fait l’objet de différentes appréciations. Ainsi, 70 % des citoyens jugent souhaitable que les décisions politiques importantes soient prises par des élus, à condition qu’ils consultent une assemblée de citoyens tirés au sort. Cette proposition, soutenue par un peu plus de 40 % des parlementaires avant la commission, recueille près de 80 % d’avis favorables chez ces derniers après l’expérience. Une formule encore plus hybride – une assemblée mixte composée à la fois d’élus et de citoyens tirés au sort – séduit particulièrement les citoyens, 80 % d’entre eux la jugeant souhaitable après la commission. À l’inverse, l’idée que les décisions importantes devraient être prises uniquement par des élus est perçue comme peu ou pas du tout souhaitable par la moitié des citoyens interrogés.
Les perspectives sont plutôt encourageantes. Près de 90 % des citoyens se déclarent prêts à participer à nouveau si l’occasion se présente, et 80 % des élus partagent cette disposition.
Quant au suivi, 90 % des parlementaires estiment que le Parlement doit être prêt à mettre en œuvre les recommandations issues de la commission délibérative. Dans le même esprit, 90 % des citoyens et des parlementaires jugent important que l’ensemble des personnes tirées au sort soient personnellement recontactées pour être informées du suivi donné à leurs propositions.
Recommandations citoyennes : où en est le suivi par le nouveau Parlement élu ?
Rappelons que le 8 avril 2024, la commission parlementaire permanente des Affaires générales et des Relations internationales a examiné les recommandations issues de cette première commission délibérative, proposant un suivi concret pour chacune. Le rapport a été présenté en séance plénière le 24 avril, avec des interventions de toutes les familles politiques. Les élections régionales de juin ont entraîné un renouvellement d’environ 50 % du Parlement wallon, posant la question de la continuité du suivi.
C’est dans ce contexte que le collectif Cap Démocratie a entrepris, entre septembre 2024 et février 2025, de rencontrer tous les partis politiques, ainsi que les collaborateurs institutionnels, afin de sensibiliser les nouveaux députés et les interpeller sur leurs intentions concernant les recommandations de la commission mixte.
Le nouveau Président du Parlement wallon, Willy Borsus (MR), a demandé un retour des groupes politiques sur le suivi envisagé. Sur cette base, il prépare actuellement, avec le greffe, des propositions concrètes pour implémenter certaines recommandations. La Conférence des Présidents sera « prochainement » saisie pour faire avancer leur intégration dans les politiques publiques.
Pour accélérer le processus et encourager le dialogue : une nouvelle pétition de CaP démocratie
Afin d’encourager voire accélérer cette dynamique et renouveler le dialogue avec les députés, le collectif Cap Démocratie a lancé une nouvelle pétition, conformément à l’article 127 du règlement du Parlement wallon. Si elle atteint 1 000 signatures, la commission parlementaire compétente aura l’obligation d’auditionner les porteurs.
C’est aussi une opportunité pour le mouvement de ramener le débat dans l’espace public : sur les marchés, dans les rues, devant les magasins, des citoyens sensibilisent d’autres citoyens à cet enjeu fondamental pour la démocratie.
Vous souhaitez soutenir le projet, faire vivre la démocratie participative : à vous de jouer !
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Crédit image illustration : Adobe Stock
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