L’urbanisme et l’aménagement du territoire entretiennent des rapports étroits avec la construction. Avec la construction au sens « briques et mortier », mais aussi avec la construction de normes utiles et vivantes, avec la construction de concepts et de contenus scientifiques, avec la construction de l’intimité, avec la construction d’un patrimoine commun, corpus infiniment riche de façons de construire et de façons de vivre.
Anniversaire à l’université
En ces temps de reconstruction du CoDT, le CREAT a fêté ses 50 ans à Louvain-la-Neuve ce 8 octobre 2015 avec la publication d’un Livre des Amis. Le Centre de recherches et d’études pour l’action territoriale a voulu, à travers « Cinquante ans d’action territoriale. Un socle, des pistes pour le futur » donner toute la place à des compositions inédites émanant de plus de trente auteurs. L’objectif est que ces textes servent, dès aujourd’hui, la réflexion des chercheurs et des décideurs, ainsi que de tous les citoyens.
La Fédération IEW avait été sollicitée pour prendre part à l’aventure. J’ai proposé de présenter notre projet d’exploration des aménités en tant que biens publics->http://iew.be/IMG/pdf/lccatm_80_light.pdf] et eu le grand plaisir de voir ma contribution acceptée. Vous la découvrirez [ICI.
Dans son introduction à l’ouvrage du CREAT, Yves Hanin souligne la « nécessaire prise en compte de la complexité des jeux et des capacités des acteurs autant que de la singularité des lieux. L’oublier, c’est tomber dans le piège scientiste ou, plus grave encore, produire des non-lieux. » On applaudit en espérant que cet avertissement sera enfin entendu. Une nIEWs de janvier 2012, « Les ateliers du territoire ferment, un vaste chantier s’ouvre », se terminait sur le même ton : « Il ne faudrait pas que ce soit, comme beaucoup le craignent, le territoire qui s’adapte. Il l’a déjà fait par le passé, ce qui le rend tristement banal ou banalement triste en de nombreux endroits. Plus de respect et un vrai souci de la localisation, une gestion de la cartographie qui vise l’excellence et non la géométrie, voilà quelques-unes des bonnes résolutions que la phase opérationnelle pourrait adopter. »
Le jour de l’anniversaire, le CREAT a eu la bonne idée de soumettre les auteurs au feu nourri des questions de Xavier Attout, journaliste passionné par les questions d’aménagement du territoire et d’immobilier, collaborateur d’Espace-Vie, la revue de la Maison de l’urbanisme du Brabant-Wallon. De cette table-ronde en forme d’auditoire universitaire, il ressort – entre autres – que la question de la participation citoyenne est relativement mal comprise et mal considérée : un chantier éminemment prioritaire parce que la confiance reste à construire, comme l’évoque la dernière nIEWs de Véronique Hollander.
Soigner l’espace commun – soigner l’existant
Travailler au bonheur des habitants de nos villes de demain, tel était le propos du colloque « Urbanisme de projets durables – Espaces publics structurants » organisé par Europan Belgique et la DG04 le 1er octobre dernier à la Géode de Charleroi. Pour amener les hommes et femmes politiques de notre région à prendre toute la mesure de l’importance de ce territoire complexe qui se glisse « entre les bâtiments », Pierre Sauveur avait choisi une brochette de projets où les espaces publics ont la part belle. Tous les fichiers présentés lors de cette journée centrée sur une nouvelle politique de la ville sont accessibles ici.
Enfin, tout récemment, le CEPESS réussissait la gageure de réunir plus de trois cents personnes autour du thème controversé des villes nouvelles. Il s’est dégagé un consensus assez éberluant : occupons-nous de l’existant ! Adaptons le projet aux particularités du morceau de territoire où il s’installera ! J’épinglerai, parmi les exposés, celui de Mohamed Benzerzour, qui a su brillamment démontrer comment tenir compte du contexte et des usagers en protégeant l’environnement. Et parmi les interventions lors du débat interactif, celle-ci, de Vincent Delwiche, que je vous livre avec mes propres mots : au plus on investit sur la feuille de route, au plus cette feuille dure. Le projet prend alors une tournure passionnelle, chacun veut y apporter sa pierre et il faut l’accepter. Sinon, on se retrouve seul avec un projet qui n’est pas reconnu.
L’après-midi, la Députée régionale Véronique Waroux, prenant à la lettre le thème de son atelier – « Des villes nouvelles génératrices de citoyenneté et de cohésion sociale oui, mais comment ? » – l’ouvrit par le constat, basé sur sa propre expérience de terrain, que plusieurs quartiers nouveaux et des éco-quartiers, vantés pour leurs performances, apparaissent refermés sur eux-mêmes et, malgré l’abondance d’espaces verts, de jeux, de cours, étrangement vides. Parmi les réponses des oratrices, j’ai trouvé celle de Jodelle Zetlaoui-Leger très inspirante, sous sa gangue de vocabulaire crypté. Traduction libre : les habitants actuels et futurs du quartier où prendra place le projet sont destinataires et porteurs du projet. L’accessibilité des personnes à la réflexion sur le projet n’est pas un boulet ou un cadeau offert du bout des lèvres, c’est une nécessité pour que la réalisation fonctionne, qu’elle soit durable au sens propre. Quant à la norme, si souvent brandie comme une garantie dans les projets d’éco-quartiers, elle n’est jamais qu’une mesure pour vérifier la bonne performance d’un élément. Elle n’est pas le but ou la solution. Elle n’est en aucun cas suffisante pour exprimer le succès d’un lieu. Il faut arrêter d’avoir une culture de la solution et commencer à avoir une culture de l’existant, si on ne l’a pas encore… En écho, Lidewij Tummers – la Lettre des CCATM n°69 de 2013 sur le Genre lui doit beaucoup – rappelait qu’il n’existe pas de recette systématique pour réussir un projet ou un urbanisme plus incluant. Dans le cas de la féminisation des structures de décision et des représentants politiques choisis par les citoyens, atteindre un chiffre (par exemple, 50 % de femmes) n’est qu’un début. Rien ne prouve en effet que les personnes choisies s’occuperont effectivement de l’amélioration des conditions d’usage de manière structurelle, fondamentale. Cela vaut aussi vis à vis des aînés et de l’accessibilité universelle. La pratique du terrain est irremplaçable pour trouver des réponses adaptées et durables, ainsi que des interlocuteurs valables.
Vraiment, une belle journée. Les actes seront disponibles dans un futur proche. Vous pouvez d’ores et déjà signaler au CEPESS votre intérêt pour cette publication : info@cepess.be
Seuils, portes, construire l’intimité pile et face
Chacun sa porte, chacun son seuil, et, derrière, un monde où l’on laisse parfois entrer les autres. Se construire une intimité est un processus complexe, toujours en marche, que les éléments immobiliers et mobiliers accompagnent. Les étudiants en architecture de l’UCL LOCI Tournai (anciennement Saint-Luc) ont mené une analyse des seuils et portes de Mons sous forme de dessins et de photos au long d’un itinéraire dans la ville. Suite à cela, dans le contexte de leur cours de « socio-anthropologie de l’habiter », ils ont franchi les seuils pour rencontrer et filmer les personnes vivant derrière ces portes. Enfin, une exposition, dans le cadre de Mons 2015, s’appelait « Pile et face : Seuils et portes de Mons » et se déroulait aux Ateliers des Fucam du 4 au 28 février 2015, un laps de temps honteusement trop court. Par chance, le site web qui dédoublait l’exposition est toujours consultable. mons.atelier-cartographique.be replace photos et vidéos dans leur contexte cartographique et, à condition de zoomer puis de cliquer (d’abord sur le plan de Mons pour découvrir le patchwork de photos de portes, vitrines, portails, puis sur les flèches encerclées pour visionner les vidéos) vous pourrez apprécier ce travail de terrain à la fois esthétique et humain. Attention, visionnement parfois émouvant !
Centres anciens protégés : reconstruire la norme
C’est décidé, on ne se quittera pas sans faire à nouveau allusion au CoDT. Simplement pour rappeler qu’une norme, c’est un repère à l’aide duquel les projets peuvent être traités de manière égale. Un avantage à bien peser avant de verser allègrement dans des outils à valeur indicative. La jurisprudence de l’indicatif sera, certainement, un champ d’expérience fascinant, mais les dossiers ne seront pas moins compliqués à interpréter. Sur la simplification et la sécurité juridique apportées par le régime indicatif, de nombreux citoyens, chercheurs et associations se permettent d’être dubitatifs. Pour les projets situés en centres anciens protégés, sur le trajet de haies, ou dans les parages des arbres, la défense de la norme sera au cœur de l’argumentaire d’IEW lors de l’étape parlementaire de l’examen du projet de décret puis du projet d’arrêté.
En savoir plus
Les cinq Mardis [tabous] du territoire qui s’annoncent vous offriront l’occasion d’approfondir les sujets abordés dans cette nIEWs. Au programme :
Bienvenue !
Paru en 2009 dans les Cahiers de l’urbanisme n°69, l’article de Lorenzo DIEZ « Le patrimoine, un développement durable qui s’ignore » reste d’une fraîcheur et d’une clarté de vue bienfaisantes. Centré sur le patrimoine bâti de Nancy (le terrain de jeu de l’auteur), l’article donne des idées pour n’importe quelle localité.
L’architecture vernaculaire regroupe des façons de construire à perte de vue, où l’uniformité n’est jamais de mise. Petit avant-goût via Wikipédia.
Pour les anglophones ou les apprentis en anglais : une interview de Denise Scott-Brown et Robert Venturi, deux architectes américains qui n’ont jamais eu peur de travailler avec les gens et les lieux. Je vous le concède, l’intervieweuse est assez épouvantable, mais les réponses du couple valent de l’or. « Les fonctions et la programmation, ainsi que les usages, changent constamment ; pour que votre bâtiment s’y adapte, concevez-le comme une moufle, plutôt que comme un gant.» « Une ville, c’est d’innombrables tracés d’activités, culture et usage, culture et connaissance, erreurs, réunions, elle ne sera utile que si elle est impure. Oubliez les formes et l’espace, cherchez du côté de la signalétique et de la stimulation! » «Le contexte est important. Vous devez concevoir votre projet depuis le dehors vers l’intérieur, et non de votre bâtiment vers son environnement. » « Avant, nous étions très choquants, maintenant, nous sommes juste barbants. »
L’illustration à l’entrée de cette nIEWs est un extrait de la grande peinture murale de la petite rue des Chandeliers, dans la Marolle à Bruxelles. Google Streetview n’est pas parvenu à la photographier, raison de plus pour aller la voir sur place. Elle a été peinte par les gens du quartier.