Des objectifs climatiques qui s’éloignent… À quel coût ?

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La Déclaration de politique régionale wallonne (tout comme au niveau fédéral d’ailleurs) l’assure : « Le Gouvernement s’inscrit pleinement dans l’objectif de neutralité carbone en 2050 et un objectif intermédiaire de -55% de gaz à effet de serre d’ici 2030. En collaboration avec l’Autorité fédérale et les autres entités belges, le Gouvernement se donnera les moyens de les atteindre ». De grandes inquiétudes pèsent néanmoins sur l’atteinte de ces objectifs, alors que les rares dates inscrites dans le Plan Air-Climat Énergie (PACE) sont, les unes après les autres, reportées. 

Pour rappel, dans sa version originale, le plan était déjà bien trop faible selon Canopea : les mesures datées et budgétisées étaient rares et encore trop peu de mesures étaient effectivement mises en place. En outre, le précédent gouvernement, bien qu’ayant approuvé le texte, n’avait déjà pas respecté les timings prévus.

Et le Gouvernement actuel semble encore accélérer en matière de procrastination. L’interdiction d’installation des chaudières mazout (dans les nouveaux bâtiments pour le 1er mars 2025 et dans les bâtiments existants le 1er janvier 2026) a par exemple été reportée pour les deux catégories de bâtiments. De même, les premières obligations de rénovation pour les biens mis en location pour la première fois (label PEB F au 1er janvier 2025, selon le PACE) ont, elles aussi, sauté de manière beaucoup plus discrète.

L’Europe va nous présenter la facture de l’inaction !

La législation européenne concernant les réductions d’émissions en 2030 est contraignante. Et l’État belge a reçu un objectif : -47% pour les émissions hors ETS 1 (tout ce qui concerne le logement, le transport, l’agriculture,…) d’ici 2030. Le Plan national énergie climat (qui rassemble les mesures prévues par les 3 Régions et le Fédéral, mais qui n’a pas encore été rendu officiellement à la Commission) n’atteint pour le moment que 42,6%, à condition de mettre en place les mesures qui y figurent (ce qui n’est pas le cas) !

Solution : la Belgique va devoir “compenser” avec des crédits carbone achetés à d’autres pays ou en achetant des crédits sur le marché européen ETS – seul 8 pays dont le nôtre ont reçu l’autorisation de le faire. À ce stade, la Belgique serait contrainte d’avoir à acheter au minimum pour 285 millions d’euros1 de crédits carbone.

Ce coût est une estimation provisoire. D’abord parce qu’à force de procrastiner, on devrait être bien plus éloigné de notre objectif d’ici 2030 (on attend des chiffres du côté wallon…). Ensuite, le prix de ces crédits devrait augmenter en toute logique, car, toujours d’après la Commission, la Belgique ne sera pas le seul pays de l’UE à ne pas atteindre son objectif, ce qui devrait pousser le prix des crédits carbone à la hausse2.

 Les discussions intra-belges sur “qui va payer” vont être compliquées 

Belgique oblige, les Régions vont devoir se partager la note. Qui va payer ?

D’un côté, la Flandre est encore plus à la traine que la Wallonie. Si leur plan climat prévoyait -40%, soit bien en dessous de l’objectif fixé par l’Europe, l’Agence flamande de l’énergie et du climat estime carrément qu’à politique inchangée, ils n’atteindront que -34% en 2030. Soulignons que les Flamands disposent, eux, d’une estimation officielle de leur retard !

Du côté wallon, pas encore de chiffres officiels donc. Mais certains ont commencé à calculer le coût de l’inaction en terme d’émissions. Une analyse des Shifters estime ainsi les émissions qui résulteraient d’un report d’un an de l’interdiction de remplacer les chaudières mazout. Résultat : 1 000 000 tCO2 émises en plus sur la durée de vie des chaudières ! En 2030, cela représente plus de 250 000 tCO2, soit 20 millions d’euros en crédits carbone à acheter.

Soulignons que la facture dans un scénario “a (non) politique inchangée” tournerait autour du demi milliard d’euros3 !

Des actions concrètes et rapides, pas des paroles

La Déclaration du Gouvernement wallon nous avertissait que « Le Gouvernement révisera le Plan Air Climat Energie 2030 en intégrant et hiérarchisant par ordre de priorités les mesures dont les impacts les plus significatifs auront été démontrés ». On sait aussi que cet exercice devrait avancer fin avril, où chaque Ministre du Gouvernement est invité à dire ce qu’il compte faire pour le climat.

Pour Canopea, le risque est que ces nouvelles discussions ne servent qu’à repousser l’action. Si le Gouvernement est sérieux dans son objectif climatique, tout le monde sait quelles mesures doivent être prises pour produire de l’effet à court terme (2030, c’est demain) et préserver au maximum les Wallon·nes, surtout les plus pauvres. On sait en effet que certaines mesures climatiques réclament des ajustements sociaux. En voici quelques-unes qui ne peuvent attendre :

  • Rendre contraignante la rénovation des logements loués ;
  • Accélérer l’installation de plus de réseaux de chaleur, la rénovation des logements publics et la création d’infrastructures de mobilité active ;
  • Réduire la vitesse sur les routes ;
  • Réformer la Taxe de Mise en Circulation pour favoriser les véhicules légers électriques ;
  • Rendre la pompe à chaleur plus intéressante financièrement que les chaudières fossiles;
  • Interdire la publicité de produits nuisibles au climat et à la cohésion sociale…

Tout cela ne PEUT plus attendre.

Au-delà des amendes, un contexte historique

On nous répondra que certaines de ces mesures coûtent cher et que l’heure est à l’économie… Nous ne pouvons que nous inscrire en faux par rapport a cette vision court-termiste. Si améliorer l’efficacité de l’appareil étatique est un objectif auquel on ne peut que souscrire, cela ne peut vouloir dire réduire la voilure en termes d’investissements publics dans la transformation environnementale.

Car au-delà des amendes européennes, ces investissements non seulement nous prémunissent du chaos climatique qui coutera lui beaucoup plus cher4,mais réduisent aussi nos factures énergétiques et nous rendent plus autonomes face aux géants russe et américain.  En ces temps troublés, abandonner nos objectifs climatiques est tout simplement ne pas comprendre la marche de l’Histoire.

Crédit image illustration : Adobe Stock

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  1. Le différentiel entre -47% et -42,6% est environ 3560 kt CO2, multiplié par 80€/tCO2. Certaines sources estiment un prix du CO2 bien plus élevé (260€), ce qui amènerait alors une facture à presque 1 milliard d’euros (https://www.transportenvironment.org/articles/national-climate-targets-off-track) ↩︎
  2. EU wide assessment of the draft updated National Energy and Climate Plans (12/23) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=COM%3A2023%3A796%3AFIN ↩︎
  3. Imaginant que la Flandres ne bouge pas, que la Wallonie atteint ~40% et que dès lors au total la reduction belge s’élève ~ -38,2% soit 570 millions€ ↩︎
  4. Voir cette étude publiée dans Nature par exemple : Kotz, M., Levermann, A. & Wenz, L. The economic commitment of climate change. Nature 628, 551–557 (2024). https://doi.org/10.1038/s41586-024-07219-0 ↩︎