On peut, mais c’est vrai, il faut les vouloir ces produits locaux dans les cantines ! Il faut même une sacrée dose de motivation, parce que le chemin est semé d’embuches. Et pourtant, des collectivités[[Par collectivité, nous entendons toute structure qui propose de la restauration collective, comme les écoles, les entreprises, les homes, les CPAS, etc.]] qui ont fait ce choix, il y en a. Certes, elles sont loin d’être la majorité, mais elles y croient. Et de nouvelles, régulièrement, tentent de leur emboîter le pas. Pourquoi ?
Parce qu’elles se rendent comptent qu’elles ont un rôle à jouer. Un rôle de solidarité avec les producteurs de chez nous, qui ont de plus en plus de mal à s’en sortir. Un rôle de responsabilité par rapport au climat, puisque des produits cultivés chez nous demandent moins de transport pour arriver dans nos assiettes et ont donc un impact carbone moindre sur la planète. Et puis cela permet généralement d’avoir une meilleure transparence quant aux modes de production et de transformation de ces produits. Mais également un rôle de responsabilité par rapport aux usagers des cantines, en leur proposant des produits sains et de qualité.
Les marchés publics
Quand on parle d’embuches, elles sont d’ordre assez divers. Pour commencer, il y a les marchés publics. S’ils existent, c’est pour éviter les copinages et autres favoritismes, ce qui est une bonne chose. Cependant, afin de respecter les règles de libre concurrence dictées par l’Europe, on ne peut introduire de clause, dans les cahiers des charges, qui vise à privilégier les produits locaux. Il est donc difficile d’aller capter cette offre particulière, uniquement par l’intermédiaire d’un cahier des charges.
Plusieurs astuces tentent de contourner – de manière légale, précisons – cette difficulté. La meilleure manière est probablement de prospecter son marché, d’aller rencontrer plusieurs fournisseurs en produits locaux pour s’assurer que la demande qui figurera dans le marché public sera adaptée aux réponses possibles en produits locaux. Il s’agira de faire attention à la saisonnalité, aux conditionnements disponibles sur le marché, aux types de finition du produit possibles en termes de transformation, etc.
Par ailleurs, l’APAQ-W (Agence wallonne pour la promotion d’une agriculture de qualité) a développé depuis 2013 une plateforme virtuelle, le « Clic Local, ] », qui permet de faciliter les marchés publics entre les collectivités et les producteurs.
Rivaliser avec un secteur bien rôdé
Une autre difficulté que rencontrent les collectivités est qu’elles doivent composer avec un nombre plus conséquent de fournisseurs qui proposent une gamme peu diversifiée de produits. En comparant avec leurs grossistes traditionnels, c’est sûr, cela demande plus de temps et de démarches. Les grossistes ont toujours tout fait pour faciliter la vie de leurs clients, dont les collectivités. Ils proposent en un seul lieu tous les produits dont les collectivités pourraient rêver, en tous types de format et de conditionnement, à des prix défiant toute concurrence, ils facilitent leurs démarches administratives et assurent une garantie d’approvisionnement à toute épreuve. Mais ce n’est bien sûr possible qu’à coup d’importations, d’agriculture intensive et de pression sur les prix auprès des producteurs.
Les producteurs locaux ne peuvent rivaliser avec ce service. Il suffit d’une maladie ou de mauvaises conditions climatiques pour voir leur culture réduite à néant. Il est donc impossible pour eux de garantir une constance dans l’approvisionnement. Sauf à se rassembler pour regrouper leurs produits, augmenter la diversité de ceux-ci et diminuer les risques. Mais faudrait-il d’abord s’assurer que la demande soit suffisante pour s’engager dans cette voie.
Les cuisines de collectivités ont également des demandes bien spécifiques. Par exemple, très peu d’entre elles sont équipées de légumeries. Elles achètent alors principalement des légumes en 4ème gamme, c’est-à-dire déjà lavés, épluché et coupés. A quelques exceptions, ce type de produits finis n’est proposé que par l’agro-industrie. Les producteurs wallons qui souhaiteraient proposer ces produits devraient d’abord investir dans une chaine de transformation. Mais c’est un investissement extrêmement coûteux. Encore faudrait-il – de nouveau – s’assurer que la demande soit suffisante pour s’engager dans cette voie.
Les types de conditionnements sont aussi parfois très spécifiques pour la restauration collective. Par exemple, certaines collectivités, pour répondre à des recommandations nutritionnelles spécifiques, exigent des pots de yaourt de 100gr. Ce ne sont typiquement pas des conditionnements que proposent les producteurs en yaourt fermier. De nouveau, cela demanderait des investissements conséquents pour changer la chaine de production. Et – encore et toujours – faudrait-il s’assurer que la demande soit suffisante pour s’engager dans cette voie.
Et si les politiques soutenaient ces démarches ?
Malgré tous ces freins, un certain nombre de collectivités ont introduit des produits locaux dans leurs menus. Chacune à sa manière, en cherchant des solutions les moins contraignantes possibles et en faisant certainement preuve de flexibilité. Et si elles le font malgré ces freins, c’est parce qu’elles sont convaincues du bien-fondé de cette démarche.
Mais cela reste une minorité. Et si on veut que les producteurs adaptent leur offre, se rassemblent, s’organisent et se structurent autour de ce « nouveau débouché », bref, si on veut qu’ils lèvent une série de freins cités ci-dessus, il va falloir assurer une demande conséquente. Et c’est là que les politiques entrent en scène. Il faut donner une impulsion et un signal fort aux producteurs en fixant des objectifs clairs d’introduction de produits locaux dans la restauration collective publique.
C’est un levier que n’ont pas hésité à actionner nos voisins français. Le Grenelle de l’Environnement avait établi un objectif de 20% de produits bio dans les cantines scolaires à l’horizon 2012. Suite à cette impulsion, des filières se sont structurées et des plateformes logistiques de distribution de produits locaux bio se sont créées pour approvisionner les cantines. Ensuite, François Hollande a fixé un nouveau cap, celui d’atteindre 40% de produits de proximité dans la restauration collective à l’horizon 2017. Cette orientation est alors traduite dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 en mettant l’accent sur l’ancrage territorial de la production, de la transformation et de la commercialisation des produits agricoles. Certes, si on se limite aux objectifs, ce n’est pas une réussite car ils sont loin d’être atteints. Par contre, l’impulsion est lancée, les démarches sont engagées, certaines municipalités sont déjà bien avancées voire dépassent de loin les objectifs et surtout l’offre se structure et se développe pour répondre à cette demande croissante.
Des moyens ont été octroyés, au niveau local, pour accompagner aussi bien les filières en amont que les collectivités en aval. Pour ces dernières, la sensibilisation, l’éducation au goût, la formation des cuisiniers et la réflexion sur les menus étaient à l’ordre du jour.
Si les collectivités wallonnes motivées font preuve de créativité, de flexibilité et d’une bonne dose de bonne volonté pour acheter des produits à nos agriculteurs wallons, il est grand temps que les pouvoirs publics permettent à ces démarches de se développer davantage. Donner une impulsion et un signal clair au secteur en fixant des objectifs d’introduction de produits locaux dans les collectivités sera certainement un élément clé pour changer d’échelle, augmenter la demande et donc développer l’offre adaptée.