La presse semble soudain passionnée par un vieux débat – qui du diesel ou de l’essence est le plus polluant – suite au VWgate qui devient, de ce fait, le dieselgate. Le trône du roi diesel vacille (soulignons que ce carburant était choisi du fait qu’il est moins cher à l’achat et pas en vertu d’un quelconque avantage d’un point de vue écologique ou de santé), ce qui, d’office – ben oui, à court terme on voit pas ce qui serait choisi d’autre – remettrait en selle l’essence. Pourtant, l’essence, c’est aussi un gros souci. Et là où on ne l’attendait pas : en matière de particules fines. Pas de chance, aucun des deux ne s’en sort : la neutralité technologique est de mise. Une seule solution : changez de mobilité, pas de voiture !!!
Adopter comme limite légale à partir de 2013 les émissions mesurées en 2003-2006 sur les véhicules diesel les moins performants et hésiter encore quant au sort à réserver aux véhicules essence : telle est la décevante réponse que la Commission européenne donne à l’un des problèmes de santé publique les plus graves auxquels nos sociétés sont confrontées. La volonté initiale de la Commission était grande. Mais, hélas, pas autant que sa perméabilité aux arguments de l’industrie automobile. Histoire d’un scandale ignoré…
En matière de quantification des particules fines émises par les véhicules à moteur, jusqu’à présent, c’est la masse de particules (ou leur poids en langage courant, exprimé en kg) qui est mesurée et soumise à limitations.
Cependant, à la veille du nouveau millénaire, sur base d’études scientifiques mettant en évidence le caractère plus nocif des particules les plus fines, des pouvoirs publics ont, en Amérique, en Asie, et en Europe, décidé de développer des programmes scientifiques visant à mesurer le nombre de particules émises et à intégrer ces résultats dans leurs législations.
Du 19 au 21 mars 2007 se tenait à Milan (Italie) une conférence internationale sur le transport et l’environnement, organisée par le Centre de recherches conjoint de la Commission européenne (le JRC : Joint Research Center). Une des quatre sessions y était entièrement consacrée à la mesure des émissions de particules fines et à leur réduction. 28 intervenants, principalement issus d’universités, de centres de recherches ou d’administration européens mais également américains et asiatiques y brossaient un tableau complet de l’état de la science dans ce domaine (les exposés peuvent être consultés ici).
Pour les véhicules légers (c’est-à-dire dont la masse est inférieure à 2.610 kg), les résultats du programme de mesure des particules (PMP) auquel participaient l’Allemagne, la Coré, la France, la Grèce, le Japon, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse étaient cohérents avec ceux obtenus aux Etats-Unis. Les véhicules à moteur diesel équipés d’un filtre à particules émettaient de l’ordre de 1011 (en français : cent milliards de) particules par km, tout comme les voitures à moteur essence conventionnel (avec injection en amont des soupapes). Les véhicules à moteur essence à injection directe dans la chambre de combustion (en cours de généralisation depuis plusieurs années) émettaient de 1012 à 1013 particules/km (mille à dix mille milliards), proches en cela des véhicules à moteur diesel non équipés de filtre à particules (5 1013 particules/km). Parmi les véhicules diesel équipés de filtres à particules testés, un seul, dont le filtre présentait un substrat plus poreux que les autres, donnait de moins bons résultats : environ 6 1011 particules/km[[Parkin C. : An Overview of the UN-ECE particle measurement programme, Department for Transport, UK, 2007]] . Retenez bien ce chiffre !
Les valeurs mentionnées ci-dessus sont des moyennes, obtenues dans les conditions des tests standards. Ainsi, les filtres à particules équipant les véhicules diesel doivent-ils être régulièrement « régénérés », c’est-à-dire que les particules captées par le filtre sont brûlées (typiquement environ tous les 300 à 400 km et lorsque certaines conditions de fonctionnement du moteur sont remplies), ce qui génère… des particules. Bien heureusement, les particules émises lors des régénérations sont moins nombreuses que celles captées. Mais cela modifie cependant les résultats : un véhicule émettant 9 1010 particules/km en-dehors des phases de régénération en émettra en moyenne 2,9 1011, soit trois fois plus, sur la totalité du cycle (en tenant compte des durées respectives du fonctionnement « normal » et de la régénération)[[Marmakos A. et al. : Particle Emissions from a Euro 5a Certified Diesel Passenger Car, JRC Scientific and Technical reports, European Union, 2011, p. 28]].
Ceci, cependant, ne modifie pas les conclusions générales (que nous avions déjà présentées ici sur base d’une étude de la littérature effectuée par l’ADEME en 2005) : en termes de nombre de particules émises, et donc de santé, les moteurs à essence à injection directe sont tout aussi, voire plus, nocifs que les moteurs diesel équipés de filtres à particules. Vérité difficile à admettre tant elle bouscule toutes les idées reçues. Mais vérité que l’industrie a très bien intégrée (elle connaît les chiffres mieux que personne), en menant des opérations de lobby destinées à proposer une norme en nombre de particules moins ambitieuse pour les moteurs à essence !
Les limites d’émissions Euro 5 et Euro 6 sont précisées dans le règlement (CE) 692/2008. Pour les véhicules diesel (allumage par compression), ce sera 6 1011 particules/km pour Euro 5 (mais à partir du 1er janvier 2013) de même que pour Euro 6 (aucune amélioration n’est planifiée, donc). Pour les véhicules essence (allumage commandé), la norme doit être définie au plus tard pour le 1er septembre 2014 (pour intégration dans Euro 6, qui n’entrera pleinement en vigueur qu’au 1er septembre 2015)[[Règlement (CE) No 692/2008 de la Commission du 18 juillet 2008 portant application et modification du règlement (CE) no 715/2007 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2007 relatif à la réception des véhicules à moteur au regard des émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 5 et Euro 6) et aux informations sur la réparation et l’entretien des véhicules, annexe XVII]].
L’ADAC, importante association automobile allemande, réalise des mesures sur différents types de véhicules depuis 2008, sur base de son propre cycle de test, plus représentatif des conditions réelles d’utilisation que le cycle officiel NEDC utilisé dans la réglementation européenne. Ses conclusions sont claires et en parfaite cohérence avec celles du JRC : « les véhicules essence à injection directe testés émettent considérablement plus de particules que les véhicules diesel et les véhicules essence à allumage multipoint auxquels ils ont été comparés ; ils ne respectent pas la limite de 6 1011 particules/km applicable aux véhicules diesel »[[ADAC : Particle number limit for direct-injection petrol engines, september 2011, p. 2]]. L’ADAC propose néanmoins d’adopter les mêmes limites pour l’essence que pour le diesel, avec une possibilité de postposer l’entrée en vigueur pour l’essence si les délais s’avéraient impossibles à tenir.
Qu’en dit le commission européenne ? Un projet de règlement (consultable ici) est en cours d’examen. Partant du principe de neutralité technologique et du fait que rien ne prouve que les particules issues des moteurs à essence soient moins toxiques que celles issues des moteurs diesel, la Commission propose d’adopter les mêmes normes pour les véhicules essence que pour les véhicules diesel, avec cependant une possibilité offerte pendant trois ans aux constructeurs d’obtenir une norme dérogatoire dix fois plus élevée.
L’industrie tire à boulets rouges sur cette proposition ! L’ACEA (l’association des constructeurs européens d’automobiles : www.acea.be) propose dans une réaction au projet de la commission (consultable ici) une limite dix fois plus élevée pour l’essence, soit 6 1012 particules/km. Et fait flèche de tout bois pour critiquer la Commission. Dans le considérant 3 du projet de règlement, la Commission écrit « les particules émises par les véhicules peuvent être déposées dans les alvéoles pulmonaires, conduisant potentiellement à de sérieuses affections et de maladies souvent létales. Par conséquent, il est dans l’intérêt public d’avoir un haut niveau de protection par rapport à ces particules ». L’ACEA réplique vertement que ces considérations sont « radicales et incendiaires » et ajoute « les déclarations dans le considérant 3 ne sont pas étayées, elles sont simplistes, elles ne reflètent nullement aucune donnée rapportée scientifiquement et elles ne sont rien d’autre qu’une invitation faite à la presse pour sauter sur une histoire ».
Il est à espérer que certains journalistes auront en effet à c½ur de donner quelque publicité à cette histoire. Il s‘agit d’une part d’un grand enjeu en termes de santé publique (pour quelques éclairages, voir les articles consacrés à ce thème sur notre portail santé-environnement). D’autre part, cette information devrait également conduire à une modification en profondeur de notre manière d’opposer moteurs essence et moteurs diesel. Car, outre une augmentation du nombre de particules fines, l’application de la technique d’injection directe aux moteurs à essence entraîne également une augmentation des émissions d’oxydes d’azote – et ces deux catégories de polluants étaient, jusqu’à maintenant, considérées comme l’apanage des véhicules diesel…