Il y a un an, la Région wallonne finalisait ses seconds plans de gestion par districts hydrographiques (PGDH) et rendait sa copie à la Commission – cette fois dans les temps – au mois d’avril. IEW avait émis un avis plutôt critique sur ces plans. Aujourd’hui, c’est au tour de la Cour des comptes de pointer du doigt certaines carences dans la mise en œuvre de la directive-cadre eau en Wallonie.
Pour rappel, la mise en œuvre de la directive-cadre sur l’eau (DCE) est plus large que la seule élaboration des PGDH. La DCE demande aux Etats membres d’adopter une approche transversale pour concourir à l’objectif d’atteinte du bon état et de non dégradation de la qualité de toutes les masses d’eau. Ceci implique une gestion coordonnée des différents acteurs, un réseau de surveillance efficace, des objectifs environnementaux ambitieux mais réalistes, un programme de mesures en phase avec l’état des lieux, l’application du principe pollueur-payeur à travers la récupération des coûts des services à l’eau… La Cour des comptes[[https://www.courdescomptes.be/FR/Publications/Fiche.html?id=d98c57a1-1d55-4d9f-8cbe-5dadb8ada5ff]] (CC) s’est penchée sur ces différents éléments pour apprécier la façon dont la Région met en œuvre cette législation phare pour l’environnement. A noter que cet audit, réalisé pendant l’élaboration des 2nd PGDH, se concentre sur le contenu et la mise en œuvre des 1ers plans mais il intègre aussi des éléments des deuxièmes.
La lecture du rapport de la CC est interpellante car les critiques émises à l’égard de certains éléments des 1ers plans sont malheureusement toujours valables pour les seconds et il faudra attendre 2021, avec un nouveau cycle de plans de gestion, pour espérer voir la Région intégrer les recommandations de cette instance et de la Commission. Si la Cour des comptes met en avant quatre « faiblesses significatives », nous développons ici un premier sujet de préoccupation. Un deuxième volet, relatif aux mesures agricoles, fera l’objet d’une analyse dans un prochain article.
Un déséquilibre au niveau des contributions des secteurs aux coûts des services liés à l’eau
Le principe de récupération des coûts est une disposition importante de la DCE qui devait être appliquée dès 2010. Même si les mesures fiscales ou tarifaires ne doivent pas recouvrir intégralement les coûts des services utilisés par les différents secteurs économiques, c’est la norme vers laquelle il faut tendre. En matière d’eau, il faut distinguer différents services liés à l’eau (production et distribution d’eau potable, protection de la ressource, assainissement) et différents secteurs (ménages, industries, agriculture).
Le rapport montre, sur base des données de 2007 que, si globalement le taux de récupération était proche de 100%, il y a de grandes disparités entre districts, services et secteurs. Ainsi, en matière d’assainissement, les ménages contribuaient entièrement aux coûts qu’ils génèrent (102%) alors que l’industrie ne contribuait qu’à hauteur de 20% si on tient compte uniquement des secteurs utilisateurs de ce service ou de 54,5% pour l’ensemble du secteur. Par contre, en matière de production et distribution d’eau potable, ce sont les ménages qui présentaient le taux de récupération le plus faible alors que les autres secteurs contribuaient plus que les coûts qu’ils n’engendraient.
Pour l’état des lieux qui a servi de base aux PGDH2, la CC note certaines évolutions qui ne vont pas nécessairement dans le sens d’une juste récupération des coûts. Ainsi en 2010, les ménages contribuaient encore plus aux coûts d’assainissement (147%) creusant encore l’écart avec l’industrie qui présentait un taux de récupération global de 40%. En revanche, pour le service de production et distribution, les ménages ont contribué davantage alors que la sur-récupération dans les autres secteurs est réduite. De ces états des lieux, la Cour des comptes dresse quelques constats :
Lors des PGDH 1, il n’y a eu aucune analyse de l’impact des mesures du plan sur le taux de récupération des coûts. Certaines mesures pouvant creuser davantage l’écart entre secteurs ;
Les mesures ont été adoptées selon « la sensibilité des secteurs à une augmentation des coûts plutôt que dans l’optique d’une contribution appropriée de ces différents secteurs » (Ndla : ce qui ouvre la porte à des arbitrages politiques qui permettraient d’épargner un secteur plutôt qu’un autre) ;
Un équilibre entre les contributions des différents secteurs et ce, pour les différents services, n’est pas en objectif en soi du programme de mesures, alors que c’est pourtant un fondement de la DCE.
Néanmoins, cela ne veut pas dire que la Wallonie reste inactive en matière de récupération des coûts. Le coût-vérité de l’assainissement des eaux du réseau domestique augmente graduellement (de 1,475 €/m³ en 2012 à 2,115€ en 2016). Pour les eaux usées industrielles, une réforme fiscale[[Décret-programme du 12 décembre 2014]] est passée par là et taxe désormais l’unité de charge polluante à 13€ contre 8,9€ auparavant, avec une indexation automatique du montant de cette taxe. De même, le montant de la taxe sur les eaux usées domestiques rejetées par les industries voit enfin son montant indexé pour s’aligner sur celui du coût vérité de l’assainissement (CVA). Certains représentants de l’industrie avaient en son temps protesté contre cette augmentation, arguant que cette charge environnementale, s’ajoutant à d’autres, nuit à la compétitivité des entreprises wallonnes. On comprend l’argument, maintes fois utilisé et parfois un peu trop facilement, et notre propos ici n’est pas de nier l’équilibre subtil entre les différents coûts jouant sur la compétitivité. Or il faut savoir que le taux de taxe sur les eaux usées industrielles en Wallonie est inférieur à celui pratiqué dans les régions limitrophes où le montant moyen de la taxe est environ 30€/UCP. De plus, si cette augmentation vise à rééquilibrer la contribution du secteur industriel, on est encore loin du compte ! Premièrement, le passage à 13€/UCP ne reflète qu’une normale indexation du montant initial. Deuxièmement, d’après les calculs de l’administration, le coût réel pour traiter cette charge polluante dans le respect du principe du recouvrement des coûts serait de 39€ ! Inimaginable à appliquer du jour au lendemain…Mais l’assainissement des eaux industrielles doit bien être couvert d’une façon ou d’une autre. Et actuellement, ce sont les ménages qui, à travers leur facture d’eau, font plus que l’appoint.
Si le rapport de la Cour des comptes n’apporte finalement rien de neuf sur cette question, il objective la façon dont la Région s’écarte des prescrits européens, en toute connaissance de cause. Aucune nouvelle mesure dans les PGDH2 ne vise à mieux équilibrer les contributions des secteurs. Le Gouvernement wallon préfère attendre la mise en œuvre du décret fiscal et une analyse de ces effets, tout en sachant cette réforme nettement insuffisante. Il ne propose aucun calendrier pour atteindre, progressivement une juste récupération des coûts auprès des secteurs responsables et il faudra probablement attendre les troisièmes PGDH pour fixer des objectifs en la matière.
Dans un second article, nous développerons les constats de la Cour des comptes concernant les mesures agricoles.