Données sensibles, céphalées et bière trappiste

Il était une fois une ONG environnementale qui souhaitait exercer son droit d’accès à l’information. La conviction de faire son boulot ne la mettait pas à l’abri d’une anxiété diffuse : elle visait en effet un secteur où la règle est l’opacité maximale en raison « d’enjeux économiques majeurs » ! Mais, convaincue qu’elle défendait des enjeux collectifs de santé publique tout aussi majeurs, elle n’hésite donc plus et demande à l’instance publique fédérale ad hoc lesdites données sensibles.

Un refus lui est signifié d’emblée. Qu’à cela ne tienne, gonflée à bloc, elle introduit un recours devant la Commission créée à cet effet. Démarche judicieuse : elle obtient gain de cause, la Commission estimant que l’intérêt public de permettre l’accès aux informations l’emportait sur l’intérêt protégé, confortant au passage l’intime conviction de l’ONG. Les précieuses données enfin en sa possession (elles se firent largement désirer…), elle procède à leur analyse et publie ses conclusions sur son site internet, concrétisant ainsi pleinement l’accès à l’information du citoyen.

Une bonne Trappiste (voire deux) pour fêter ce travail fructueux à peine savourée que paf, la riposte arrive, telle un coup de massue : une lettre recommandée émanant d’un bureau d’avocats exerçant à Bruxelles, Londres, New-York et d’autres prestigieuses villes avance que l’ONG n’aurait pas respecté la législation concernant la ré-utilisation des données en publiant cette analyse. Laquelle analyse serait, de surcroît, unilatérale et erronée. Cette motivation se voit flanquée de menaces de poursuites judiciaires en cas de nouvelle utilisation des données acquises de haute lutte !! Le choc est rude. Mal de tête assuré (qu’il s’agisse des effets secondaires de la Trappiste doit être d’emblée écarté, dégustée qu’elle fut avec sagesse).

La surprise cède la place à la perplexité, « chronicisant » les céphalées . Les questions se bousculent…

 Est-ce qu’une analyse de données constitue une ré-utilisation de l’information ? Délicate question qui plongera sans nul doute les juristes dans de subtils argumentaires basés sur l’interprétation des textes législatifs.

 L’analyse était-elle unilatérale et erronée ? Ici aussi le débat risque d’être serré. L’ONG, soucieuse de sauvegarder sa réputation forgée sur une expertise engagée, fiable et solidement argumentée a l’habitude de prendre les précautions d’usage avant d’avancer des avis et positions. Que l’analyse pique au vif le secteur concerné est certes compréhensible, mais on s’étonnera que la réponse fut faite sur la forme et non sur le fond.

 Quel est le sens même du droit d’accès aux données ? La logique du secteur qui s’estime lésé reviendrait à dire qu’une fois les informations obtenues et lues, il ne resterait ensuite qu’à les encadrer et laisser la poussière s’accumuler, l’opacité redevenant la règle !

 Mais aussi… : comment interpréter la réaction du secteur visé, soit l’envoi d’un tel courrier ? Est-ce une réaction musclée visant, d’une part à protéger ses intérêts privés et, d’autre part à intimider tout qui viendrait bousculer une habitude établie ? Comment y réagir fermement tout en gardant un maximum de chance que la cause en sorte gagnante ?…

Deux certitudes protègent heureusement les valeureux militants d’un naufrage dans une perplexité abyssale :
• examiner avec attention les données détenues par l’autorité en charge de l’environnement et issues d’un secteur dont les activités ont des impacts néfastes sur la santé publique et sur l’environnement est une mission essentielle que l’ONG continuera à exercer même sous la menace ;

• boire une bonne Trappiste pour se déstresser et aborder les questions avec sérénité est nécessaire, voire indispensable !

Il va sans dire que toute ressemblance avec des personnes ou des secteurs existant ou ayant existé ne saurait être que purement fortuite.