Donnez-nous, donnez-nous des jardins

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Des jardins pour y faire des bêtises. Et des places pour y mettre un marché. Et des vues longues, lointaines, sur des horizons variés. Donnez-nous des espaces verts, des rues, des panoramas, et surtout laissez-nous ceux et celles qui nous restent ! Ça fait du bien à tout le monde, ça attire des visiteurs et des habitants, ça maintient en ville ceux qui y habitaient déjà.

Si cette introduction tombe sous le sens, alors pourquoi accueillir en ville des projets ineptes, encombrants, qui ne visent que la satisfaction de leurs promoteurs ? Est-ce faire œuvre de « densification », quand on fait fuir tout le monde et qu’on ne veut parler de son projet avec personne ? Sont-ce là les seuls candidats qui se présentent au portillon de l’urbanisme wallon ? Quand bien même ce serait le cas, rien n’oblige nos édiles à dire oui à tout. N’existe-t-il pas de projets qui génèrent du bien-être pour les riverains et le quartier où on les construit ?

Pierre Vanderstraeten est convaincu que ces projets existent, ou peuvent exister, pour peu que soient réunies les clés de lecture qui amèneront la nouvelle construction à fonctionner AVEC le lieu plutôt que CONTRE lui. Dans un nouveau Décodage de l’aménagement, le 8 juillet prochain, il se concentrera sur la question suivante : « Qu’est-ce qui fait vivre un quartier?«  Déjà, en 2014, le Décodage sur les aménités présenté en duo avec Pierre Cox avait fait mouche. Pour 2015, Pierre Vanderstraeten portera un regard attentif sur ces lieux urbanisés que l’on habite parfois de moins en moins, les villes.

Qu’est-ce qui permet à un quartier de se sentir partie prenante avec une agglomération plus large ? Qu’est-ce qui fait que le gens habitent leur ville et pas seulement leur maison ou leur appartement ? Quelles sont les fonctions, les activités, les couches historiques, les gens et les particularités topographiques qui permettent à un quartier de polariser l’intérêt, de créer l’envie d’y passer ou d’y habiter ? Les configurations urbaines wallonnes présentent-elles un cadre intéressant pour interagir avec elles? Pierre Vanderstraeten exploitera notamment les découvertes issues du travail qu’il a mené avec Barbara Le Fort et Yves Hanin : « Les tissus urbanisés wallons – Des fiches pour illustrer leur potentiel de transformation par une densification de qualité ».

Chez IEW, nous croyons fermement que les typologies de l’habitat, du réseau de rues et de cours et jardins, sont une richesse à valoriser plutôt qu’un mauvais sort fatal. Ne les a-t-on pas trop souvent ignorées, ces typologies ? Quelle erreur !

Quand des touristes néerlandais viennent visiter nos contrées, les décibels d’enthousiasme dans le groupe sont aussi élevés en descendant les rues du Plope, Gaillard-Cheval ou Haute-Sauvenière à Liège, qu’en apercevant le fameux rocher Bayard à Dinant. Quand, à l’approche du site du Grand-Hornu, leur car ralentit entre les rangées de maisons des corons, l’ébahissement enduit les vitres de buée. Profitons de cet émerveillement inattendu. Osons regarder, montrer, partager ce qui nous plaît dans les villes de notre région. Même si ça ne figure pour l’instant dans aucun guide ! Même si aucun Gille de Binche n’apparaît sur l’image. Faisons vite, avant que nos villes ne cèdent le pas à une esthétique de gare TGV.

L’intérêt amusé pour les « Ugly Belgian Houses » est immensément élastique et international. Un nouveau compte Tumbler pourrait rassembler des « Not so Ugly Belgian Townscapes », et se construire petit à petit une audience, sans voler d’Internautes à son frère aîné. Pour les amoureux du cadastre, je verrais bien un tableau Pinterest « Finages et parcelles habitées de Belgique ». En attendant que les usagers de ce site rassemblent suffisamment d’images de la vraie vie wallonne de tous les jours, on peut commencer la collection soi-même. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Regardez ce qu’on récolte sur Pinterest pour les mots « Hoxton » « Streets ».

A l’heure où le ministre Di Antonio donne priorité à l’identification de sites pour les villes nouvelles et quartiers nouveaux de Wallonie (une nouvelle recherche de la CPDT est d’ailleurs dédiée exclusivement à ce thème), mettre en avant les qualités des lieux existants n’est pas contradictoire. Les villes wallonnes sont certes déjà relativement densément construites. Mais l’occupation des immeubles pourrait être augmentée, notamment pour ce qui concerne les étages des commerces, une source potentielle de surfaces habitables, comme l’a rappelé récemment Xavier ATTOUT dans la revue Espace Vie n°249 de mars dernier : « Pourquoi personne n’habite au-dessus des commerces ». Ce qu’il écrit concernant Wavre s’applique à La Louvière autant qu’à Namur. Par égard pour la rente locative du rez-de-chaussée commercial, bien des propriétaires ont maximisé la largeur du pas-de-porte et des vitrines, au point de supprimer un accès latéral vers les arrières ou vers les étages. Le fait de laisser le reste de la maison inhabitée l’a rapidement rendue inhabitable. Revenir à des proportions plus équilibrées entre habitants et surfaces de vente dans les centres-villes appelle donc à des travaux très conséquents, dont le prix est lié à l’état d’abandon prolongé et aux nouvelles normes en vigueur. Mais diminuer l’étalage pour augmenter l’usage du bâtiment est effectivement utile à tous et rentable à long terme. Comme Pierre Vanderstraeten nous l’expliquera lors de sa conférence, ce type d’intervention agit localement et génère des effets sur un ensemble plus large.

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Verviers, espace privé : Parc Peltzer. Photo : Amis du parc Peltzer – La Tourelle

Le périmètre d’intervention est loin d’être le seul impacté par un projet. C’est bien cette façon de voir qui guide le combat des Amis du Parc Peltzer – La Tourelle à Verviers. L’objet de leur démarche est un parc privé, fermé à la fréquentation du public. Les retombées du projet immobilier qui va s’y installer, par contre, vont bien au-delà du parc au sens strict. Par ricochet, elles mettent en évidence les impacts positifs du parc à l’heure actuelle. Même si les riverains ne peuvent y entrer, il est là, il est visible, il abrite des centaines d’espèces animales et végétales qui ne connaissent pas les limites de droit et essaiment à qui mieux mieux. Comment en est-on arrivé à laisser un projet immobilier et sa rentabilité prendre le pas sur la convivialité et le bon aménagement des lieux ? La demande de permis doit en effet s’arc-bouter sur une telle série de dérogations qu’il serait bon pour l’autorité compétente de s’accorder quelques minutes de réflexion sur le bien-fondé d’un projet qui n’a finalement d’approprié pour le lieu prévu qu’un intérêt évident pour la luxuriance du parc. La Commission des Monuments, Sites et Fouilles ne s’y est d’ailleurs pas trompée et a remis un avis négatif sur le projet immobilier ; elle y met en avant les qualités du parc et les inadéquations du projet.

Il ne s’agit pas ici de monter en épingle un cas, et de passer sous silence ce qui se passe ailleurs. Les citadins de Wallonie sont en demande d’espaces verts, partout. Ça ne veut pas dire qu’ils n’en ont pas, cela veut dire qu’ils apprécient ceux qu’ils ont déjà… et qu’ils n’ont pas trop envie qu’on les leur enlève, comme un tapis vous glisserait sous les pieds. Comme un volet rabattu brusquement. Pour réussir la fameuse « densification », il va falloir moins de brutalité.

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Tournai, espace public : boulevard planté et asphalté. Photo B. Assouad

En savoir plus :
Barbara LE FORT, « Les tissus urbanisés wallons – Des fiches pour illustrer leur potentiel de transformation par une densification de qualité », sous la direction scientifique de Yves Hanin et Pierre Vanderstraeten, Conférence Permanente du Développement Territorial, Note n°57, mars 2015. Version téléchargeable à votre disposition.

Le compte-rendu de la formation IEW du 30 avril 2014, «Qu’est-ce qu’un endroit sympathique ? Décodage des aménités en aménagement du territoire » est disponible en ligne sur le site d’IEW.

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Namur, rue Nanon, remblais et déblais du chantier des Abattoirs de Bomel, juin 2015. En attendant que ces anciens potagers soient remplacé par un projet de parc urbain, on observe un semis spontané de graminées et d’annuelles , ainsi que la persistance de céraistes tapissantes. Les familles qui entretenaient les potagers avaient fleuri le talus, magnifiquement exposé. Photo H.Ancion.