Ne tournons pas autour du pot : la lecture du chapitre mobilité de la DPR nous a laissés sur notre faim. On y trouve des intentions louables, des engagements forts pour une mobilité plus soutenable. Mais aussi des éléments qui nous semblent relever soit d’une vision de la mobilité déconnectée des enjeux environnementaux soit d’une confiance exagérée en la technique pour répondre auxdits enjeux. Nous n’avons pu identifier, dans ce chapitre, ni de vision claire des objectifs à atteindre en fin de législature, ni de structure, de stratégie pour guider l’action. Puis il y a ce que l’on trouve en dehors du chapitre mobilité … Bref, en la matière, c’est l’action du Gouvernement – et particulièrement du ministre de la Mobilité – qui sera déterminante.
Parlons chiffres…
Il faut bien sûr éviter de faire dire aux chiffres trop de choses. Il n’empêche : alors que le chapitre mobilité de la DPR « pèse » 2 377 mots, les deux sections du chapitre économie qui traitent de questions directement liées à la mobilité en comptent respectivement 130 (« Le Circuit de Spa Francorchamps, une vitrine mondiale pour la Wallonie ») et 1 109 (« Les aéroports, moteur d’un développement ambitieux, innovant et équilibré »). Ainsi, l’équivalent de près de la moitié de l’espace accordé à l’ensemble des politiques de mobilité est dédié, dans la déclaration de politique régionale, à la promotion des deux modes de transport les plus polluants. Promotion en effet. D’une part, « Le Gouvernement mettra tout en œuvre pour sécuriser l’organisation annuelle du grand prix de Formule 1 dans les prochaines années ». Or, les « sports moteurs » restent l’un des plus efficaces vecteurs de valorisation de l’automobile. D’autre part, « Le Gouvernement soutiendra les sociétés de gestion des aéroports dans leurs projets de développement synonymes de création d’emplois et de valeur ajoutée pour la Wallonie. » Quant aux défis environnementaux de ce secteur, la DPR renvoie aux compétences européennes et à la technologie (les carburants dits « durables »).
… et acronymes
Depuis plusieurs décennies, les experts en mobilité et transport recommandent d’articuler les politiques de mobilité durable selon la logique ASI, acronyme anglophone de Avoid-Shift-Improve, soit éviter (les déplacements), transférer (vers les modes les moins polluants) et améliorer (l’efficacité énergétique et les performances environnementales des véhicules). Il n’en est pas question dans la DPR.
En Belgique, l’un des principes phares de la mobilité – qui était présent dans la DPR 2019-2024 mais est absent de l’actuelle – est incarné par l’acronyme néerlandophone STOP. Celui-ci représente la hiérarchie souhaitable des modes de transport, qui commence par les piétons (Stappers), se poursuit par les cyclistes (Trappers) et les transports publics, collectifs et partagés (Openbaarvervoer) et se termine par la forme de mobilité la moins souhaitable, la voiture personnelle (Personenwagens).
La politique wallonne de mobilité est, elle, guidée depuis la fin de la législature 2014-2019 par la vision FAST et les SRM. FAST (Fluidité, Accessibilité, Sécurité, Santé, Transfert modal) fixe des objectifs de réduction de la demande de transport et de parts modales pour 2030. La DPR s’inscrit dans la logique de cette vision : « En accord avec la vision FAST 2030, les objectifs du Gouvernement sont d’atteindre une mobilité efficiente, fluide, accessible, sécurisée, fiable, partagée, décarbonée, respectueuse de l’environnement, soutenante de la santé et inclusive ». Mais ne précise pas que FAST est hélas déjà dépassée. Elle avait en effet été adoptée en 2017 dans une logique de réponse aux objectifs fixés à la Belgique par le règlement européen « Effort Sharing Regulation » (ESR) relatif aux émissions de gaz à effet de serre (GES) des secteurs dits « non ETS » dont le principal est le transport. Les objectifs belges de l’ESR étaient à l’époque de -35% de GES sur la période 2025-2030 ; ils ont depuis été revus à la hausse, passant à -47% sur la même période. La vision FAST devrait donc être renforcée en conséquence. SRM est l’acronyme de Stratégie Régionale de Mobilité ; il en existe en fait deux. La SRM I est relative aux personnes et la SRM II aux marchandises. La DPR ne mentionne ni l’une ni l’autre. Nous aurions souhaité qu’il y soit fait référence non pour les suivre scrupuleusement, mais pour en souligner les faiblesses notoires et dire la nécessité de les réviser elles aussi. L’une et l’autre relèvent en effet plus du catalogue de bonnes intentions dont les effets potentiels sont très difficilement chiffrables que de l’outil stratégique permettant de structurer l’action politique.
Alors que la logique ASI érige en première priorité le contrôle de la demande de mobilité et que FAST fixe un objectif de réduction de la demande (pour les personnes) de -5% sur la période 2014-2030, la DPR actuelle précise que « le Gouvernement mettra tout en œuvre pour développer des solutions adaptées, attractives et guidées par la demande actuelle et future. ». Demande qui est donc implicitement considérée comme devant échapper à toute tentative de contrôle…
Mais voyons le chapitre mobilité dans le détail. Celui-ci est découpé en 8 sections thématiques.
Des transports en commun performants
La première section, consacrée aux transports en commun, montre des intentions louables : « le Gouvernement s’engage à renforcer l’offre de transports en commun et sa qualité ». De manière générale, il ressort de cette section que le Gouvernement wallon souhaite « améliorer l’expérience client tout au long du trajet », y compris pour les personnes en situation de handicap (accessibilité renforcée) et à faible compétence numérique.
De sérieuses questions se posent cependant quant aux moyens disponibles. En effet, le texte souligne que le TEC devra développer une « optimisation des dépenses » afin d’avoir une « meilleure justification de l’utilisation des deniers publics ». La DPR précise également que « les investissements seront réalisés avec le plus grand pragmatisme ». Certes, mais… l’optimisation (que le TEC pratique déjà, soit dit en passant) a ses limites … Par ailleurs, « le Gouvernement, s’agissant des extensions [du tram de Liège] vers Herstal et Seraing, déterminera le cadre juridique et budgétaire admissible pour la poursuite du chantier ». Sitôt dit, sitôt fait ! …
Bien que la DPR précise que ce serrage de ceinture se fera « sans l’être au détriment du service », il semble clair qu’aucun nouveau moyen ne sera débloqué pour développer l’offre. Aucune trajectoire budgétaire claire n’ayant été actée dans le contrat de service public de l’OTW (le TEC), il semble donc que le gouvernement espère faire mieux avec moins. Approche qui, malheureusement, a ses limites.
Au niveau des points positifs, on peut se réjouir que la DPR prévoie « une intégration et une simplification tarifaire ». Les leviers de mise en place de cette intégration tarifaire restent toutefois flous si ce n’est « [une collaboration] le cas échéant avec les opérateurs privés de mobilité ainsi que les autres régions et pays limitrophes ».
Enfin, le Gouvernement acte formellement, ce qui est regrettable, sa volonté de ne plus jouer les premiers de cordée en matière de transition énergétique : « Les efforts d’électrification de la flotte et d’efficience énergétique de l’entreprise seront maintenus, dans le strict respect de la réglementation européenne. »
Une multimodalité intelligente
La deuxième section aborde la question de la multimodalité que le GW veut « intelligente, au bénéfice de tous les usagers ». Et le gouvernement de proposer effectivement des mesures en faveur des usagers vulnérables : « le Gouvernement veillera à la sécurisation et l’amélioration des cheminements piétons et cyclables vers les gares, mobipôles, mobipoints, et arrêts de bus, ainsi que l’installation d’équipements vélo sécurisés et mobiliers urbains aux abords de ceux-ci. ». Le Gouvernement tient également à stimuler la mobilité partagée : cyclopartage, autopartage, et surtout création de réseaux de covoiturage (RECO) autour des grandes villes, dont Bruxelles ».
Usagers vulnérables et adeptes du covoiturage ne sont pas les seuls concernés par cette volonté de multimodalité : « une attention particulière sera également accordée au développement de solutions multimodales pour les deux aéroports wallons ». Ainsi, le Gouvernement wallon continue de considérer le fret aérien comme une solution de mobilité prioritaire, cela alors même que ce mode de transport n’est pas, et ne pourra jamais, être compatible avec les objectifs belges en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, quoi qu’en puissent dire les adeptes de la technologie salvatrice.
Un cadre pour la mobilité du futur
Au vu du titre de la troisième section, on pourrait se dire qu’elle aurait plus sa place en tête de chapitre, qu’il s’agit là du cadre dans lequel s’inscrivent toutes les mesures. La première phrase de la section écarte de suite cette interprétation : « La Wallonie incitera au développement des voitures autonomes ». La mobilité du futur est donc comprise ici comme s’inscrivant pleinement et de façon totalement assumée dans le paradigme technologique. Sans analyse préalable de la soutenabilité des voitures autonomes, de leur balance coûts/bénéfices, de leur capacité à répondre – ou non – aux défis de la mobilité. En gros, c’est neuf, c’est technologique, c’est « impressionnant », de grands acteurs économiques « poussent à la charrette » – donc le Gouvernement wallon se doit d’inciter au développement des voitures autonomes. Le Cyrano d’Edmond Rostand aurait dit « c’est un peu court, jeune homme » …
Le reste de cette brève section est à l’avenant : la mobilité du futur, pour les rédacteurs de la DPR, sera technique, connectée, digitale, … La fascination technologique a encore de beaux jours devant elle …1
Des modes actifs sécurisés
Le GRACQ, dans son avis, résume fort bien cette troisième section : il est rassurant de constater que le nouvel exécutif entend poursuivre le travail initié sous la précédente législature. Notamment le réseau wallon structurant, pour lequel un plan d’investissement est annoncé. De même, « les infrastructures piétonnes, parmi lesquelles la réhabilitation des sentiers publics, seront étendues, modernisées et mises en réseau par différents incitants et mesures. » Mais il est quelque peu inquiétant que rien ne soit évoqué quant aux moyens qui devraient être mobilisés pour mener à bien tous ces chantiers.
Le GRACQ, comme nous, manifeste « une déception importante : le principe STOP (priorité au piéton, puis au cycliste, puis aux TC, puis voiture), qui figurait dans l’ancienne DPR, a disparu de celle-ci. »
Des infrastructures routières de qualité et sécurisées
« L’état des routes fera l’objet d’une veille continue » nous promet la DPR. Qui souligne l’état inquiétant des ouvrages d’art du réseau routier. Entretenir ce dernier est déjà – budgétairement parlant – chose quasi impossible. Le Plan « Mobilité et Infrastructures pour tous 2020-2026 » (PMIPT) s’y attelait, avec 3 lignes de force : (1) privilégier l’entretien et la rénovation du réseau existant, (2) s’engager vers un réel transfert modal et un plus grand respect de l’ensemble des usagers et (3) accorder une plus grande place aux transports en commun et aux modes de déplacements actifs et doux.
Sans rien renier explicitement du PMIPT, le Gouvernement entend néanmoins en réaliser une évaluation et, sur cette base, développer « une stratégie d’investissement dans le réseau routier ». De plus, il ouvre clairement la porte (tournant le dos à la première ligne de force susmentionnée) à une extension ciblée du réseau « aux endroits opportuns ». Ce qui est cohérent avec la volonté de développer des solutions « guidées par le demande actuelle et future » mais paraît – quoiqu’en dise la DPR, assez peu « en accord avec la vision FAST 2030 ».
Une densification du réseau de bornes de recharge
Le Gouvernement présente, dans la sixième section, les leviers qu’il compte activer pour le réseau de bornes de recharge électrique. On peut ressentir une petite inquiétude à la lecture de la volonté de veiller à « alléger le cadre législatif, urbanistique et financier ». Mais on se rassure en constatant que c’est « en collaboration avec les autorités communales » qui sont sans doute les plus à même de déterminer les balises pour une implantation raisonnée dudit réseau. Ce que l’UVCW a du reste déjà fait – et fait savoir2.
On se souviendra que, en 2020, Canopea avait mis à l’agenda la question du développement d’une filière de rétrofit électrique en Wallonie. Le monde politique s’en était heureusement saisi ; le Parlement avait organisé des auditions en septembre 2021, invitant Canopea à s’y exprimer. Nous nous réjouissons dès lors de constater que le Gouvernement « veillera à développer la filière du rétrofit et à donner un cadre législatif clair à cette pratique ».
Une sécurité routière « vision zéro » à l’horizon 2050
Pour arriver à concrétiser cette vision, nous explique-t-on dans la septième section, le Gouvernement activera différentes mesures, dont des dispositifs de contrôle de vitesse. Vitesse que l’on gérera par ailleurs de manière dynamique. Mais le tabou demeure : en dehors des circonstances liées aux conditions de trafic, on ne touchera pas à la vitesse maximale autorisée. Ce qui reste pourtant une mesure efficace sur les plans3 :
- de la sécurité routière (moins d’accidents, de blessés et de tués) ;
- énergétique (moindre consommation) ;
- climatique (moins d’émissions de CO2) ;
- de la santé (moins de polluants, moins de bruit) ;
- de la congestion (trafic plus fluide) ;
- du portefeuille des automobilistes (factures de carburant ou d’électricité allégées) …
Par ailleurs, le Gouvernement « portera une attention particulière sur la sécurisation des traversées et à la mise en place localisée de zones apaisées en agglomération ». Nonobstant le « localisée », voilà qui est de bon augure. Rappelons à ce propos que Canopea, en collaboration avec l’association Parents d’Enfants Victimes de la Route (PEVR), a développé le concept de « zone à faible danger ».
Voies hydrauliques et transport de marchandises
Le chapitre Mobilité de la DPR se referme sur une huitième et dernière (petite) section dédiée au fret, centrée sur les voies hydrauliques et s’inscrivant dans la continuité par rapport aux politiques menées ces dernières années. On s’étonnera cependant que cette section, comme évoqué en introduction ci-dessus, ne renvoie pas à la stratégie régionale de mobilité des marchandises (SRM II). Comme si celle-ci n’existait pas …
Une adaptation de la fiscalité automobile
Pour être complet, il convient de noter que le chapitre Fiscalité de la DPR contient une section dédiée à la fiscalité automobile, qui propose deux mesures. La première a de quoi surprendre. En effet, le Gouvernement entend réformer la taxe de mise en circulation (TMC) adoptée sous la précédente législature en vue notamment « d’alléger la fiscalité sur les voitures électriques, pénalisées par leur lourdeur ». Or… c’est déjà le cas ! En effet, le décret du 07 septembre 2023 « modifiant le Code des taxes assimilées aux impôts sur les revenus en ce qui concerne la taxe de mise en circulation automobile » institue un « coefficient de carburant » dont c’est le rôle. Dès lors, la TMC due sur une voiture électrique sera (à partir du 1er juillet 2025) entre 3,8 fois (si sa puissance est supérieure à 160 kW) et 11 fois (puissance inférieure à 120 kW) plus faible que celle due sur une voiture thermique.
La deuxième mesure vise à instaurer un droit d’usage (vignette) pour tous les utilisateurs du réseau routier wallon. Ceci sans augmenter les contributions fiscales des Wallon·ne·s et « dans le respect des règles européennes ». Deux objectifs inconciliables. En effet, si le droit d’usage doit être « indolore » pour les Wallon·ne·s, il faut « compenser » son montant par le biais de compensations visant d’autres contributions – et sans le faire pour les autres automobilistes utilisant le réseau. Ce que ne permet pas le principe de non-discrimination inscrit à l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La DPR souligne que « aucune solution n’a jusqu’à présent été trouvée » à ce problème. Et pour cause …
Pour conclure
Le volet Mobilité de la DPR propose des mesures aux bénéfices environnementaux avérés – et d’autres dont les effets pourraient s’avérer contraires. Le tout sous forme d’un catalogue assez peu structuré dans lequel on peine à identifier une vision et une stratégie. Symboliquement, la DPR ne fait pas référence aux stratégies régionales de mobilité et n’évoque pas la nécessité de renforcer la vision régionale pour atteindre les objectifs belges de réduction des émissions de gaz à effet de serre figurant dans le règlement européen dit « ESR ».
Le grand avantage de cette DPR est de ne fermer aucune porte – et d’en ouvrir de prometteuses. L’action du Gouvernement – et du ministre de la Mobilité en particulier – sera donc déterminante. Tout espoir demeure donc permis. Canopea s’inscrit dans une logique de collaboration constructive pour aider la Wallonie à instaurer progressivement un modèle de mobilité réellement soutenable.
Crédit image d’illustration : Adobe Stock
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- Comme en atteste le succès d’ITS.be, congrès dédié aux « solutions intelligentes de mobilité soutenable basées sur la technologie » dont l’édition 2024 se déroule le 26 septembre à Bruxelles : https://its.be/congress2024
- Voir à ce sujet l’avis du conseil d’administration de l’UVCW (https://www.uvcw.be/no_index/files/10815-energie-bornes-recharge-avis-ca-uvcw-2023-02-14.pdf) et son article du 12 janvier 2024 (https://www.uvcw.be/energie/articles/art-8582).
- Voir par exemple cet article https://www.canopea.be/la-decence-et-le-courage-oublies-de-la-securite-routiere/ et celui-ci https://www.canopea.be/voitures-et-vitesse-cest-quand-quon-sy-met/